Tout commence en octobre 2015 par la découverte d'une photo intrigante sur les réseaux sociaux. Delphine Minoui, grand reporter, cherche à lever le voile sur sa légende qui évoque "une bibliothèque secrète au cœur de Daraya". C'est le point de départ d'entretiens sur plusieurs mois avec des jeunes syriens subissant à l'époque le siège de Daraya, banlieue de Damas, imposée par Bachar Al-Assad depuis plusieurs années.
La résistance par les livres, moyen de se cultiver et de s'élever intellectuellement : voici le fil rouge du récit de Delphine Minoui, relayant le vécu, le désespoir parfois mais surtout l'optimisme et la volonté farouche de résister pacifiquement des jeunes gens de Daraya. Ici l'exercice n'est pas purement littéraire mais traite de la lecture à la fois comme refuge et comme pont vers l'émancipation. J'ai apprécié lire les deux premiers tiers de l'ouvrage, pour découvrir le contexte évoqué et goûter à de jolies envolées sur le pouvoir des livres. L'engouement de Delphine Minoui est communicatif. On apprend beaucoup sur le quotidien de la population syrienne suite aux événements du printemps 2011. J'ai par contre eu plus de mal à terminer ma lecture. La fin de l'ouvrage rend compte de la suite des événements de manière plus factuelle, s'éloignant de l'histoire de la bibliothèque. C'est pour autant un documentaire littéraire remarquable et touchant qui fait écho à notre amour des livres : un récit lumineux sur les livres comme bouclier contre l'obscurantisme.
Deux personnages. Trois rencontres à des moments clés de leur vie. Trois nuits où tout change. Du mystère. Du drame. De la sensualité. Un dessin à l'acrylique envoûtant. Mais une chronologie impossible. Un espace-temps non crédible. Un peu à la "Benjamin Button". Trois histoires en une, intrigantes. Des destins croisés. Un fil rouge sur l'amour ou plutôt la confiance. Qui, ponctuellement ou au travers des années, peut être notre phare dans la nuit ? Une bande dessinée à l'atmosphère soignée et langoureuse qui rappelle la peinture réaliste américaine d'Edward Hopper. Une belle lecture.
Roman intrigant qui ne vous laissera pas indifférent
Repéré et adoré par ma collègue, je me suis plongée dans le récit de Maria, jeune grand-mère confrontée au choix de vie déroutant de sa fille et de son gendre. Après Marcus, son premier petit-fils avec qui elle entretient un lien très fort, naît Noun. Les parents lui annoncent alors qu'ils ne révèleront pas le sexe de cet enfant. Pas à cause d'un quelconque problème physique mais par choix.
Un enfant, une enfant, le mot lui même n’est pas genré, poursuit Thomas. Les gens ont tendance à l’oublier. Noun est libre et attendra le plus longtemps possible avec d’être genré(e).
Genré. Maria n’arrive pas à se faire à cet adjectif.
Maria, la cinquantaine, vit avec William. De son mari dont elle est veuve depuis longtemps elle a eu une fille qui donne donc naissance à son deuxième enfant trois ans après Marcus. Quelque peu marginaux, elle et son conjoint s'opposent aux stéréotypes de genre. Marcus a les cheveux longs, a le droit de s'habiller en jupe, de se mettre du vernis sur les ongles, de se faire appeler "Pomme" s'il le souhaite. Cela rend Maria perplexe et provoque l'hostilité de William, jusqu'à lui faire quitter son foyer... Maria tente de ne pas juger sa fille et d'entretenir une certaine tolérance vis à vis de ses principes mais la radicalité et peut-être un manque de pédagogie des parents va entraîner des tensions. On constate que la communication familiale est délicate.
L'intrigue captive et questionne. Je regrette toutefois que le parcours émotionnel de Maria soit prépondérant. J'aurais aimé une profondeur plus sociologique au déroulé de cette histoire. L'auteur pouvait nous apporter plus d'éléments pour tenter de répondre à la question centrale du récit : que faut-il savoir de l'autre pour l'aimer ? Et concrètement, qu'est-ce que cela change dans nos comportements de ne pas "genrer" la personne avec laquelle nous interagissons ? En deuxième plan se pose aussi la question de la place qu'est celle d'une grand-mère pour des petits-enfants. Ce court et subtil roman offre en tout cas un joli portrait de femme confrontée à une perte de repères vertigineuse.
Aujourd'hui 21 septembre 2015, c'est l'anniversaire de Marianne. Évidemment, tout le monde l'a oublié. Elle déprime. Coiffée de son bonnet phrygien et sein nu, cette jeune République de 223 ans décide de commencer à écrire son journal intime pour lui confier ses joies, ses peines et surtout ses doutes.
Naître le premier jour de l’automne, ça vous prédestine à la dépression.
Marianne, allégorie républicaine, est représentée comme une jeune femme sexy dont la bretelle tombe sans cesse, en clin d’œil au fameux tableau de Delacroix représentant "La Liberté guidant le Peuple". Ses insomnies s'amplifient depuis les événements de janvier 2015 : elle ressasse ses angoisses. Marianne commente son actualité, du débat sur la déchéance de nationalité au Brexit en passant par la crise des migrants et l'élection présidentielle... De façon totalement humaine et attachante c'est à dire avec son humour et ses contradictions, Marianne nous fait part de ses réflexions et nous entraîne à la rencontre de ses amis : Europe, John, Italia, Sam, Germania...
Au-delà du propos pertinent et drôle, le travail graphique est remarquable, dans un style vif proche d'une certaine caricature de presse à la Plantu (ce qui n'est pas étonnant puisque Baptiste Chouët est graphiste mais aussi dessinateur de presse pour Ouest France). Pour autant, il nous entraîne au détour de certaines planches dans une abstraction ingénieuse qui nous questionne sur ce qui fait le socle commun de l'identité française. Sa ligne est légère et enjouée. Le tout est ponctué d'autoportraits libres et bien vus de Marianne. La palette utilisée est sans surprise celle des bleus, du blanc et du rouge...
A la fois déclaration d'amour à notre République et mise en garde sur son déclin possible, cette première BD du nantais Baptiste Chouët est une véritable réussite pleine d'humour et de réflexions intéressantes qui font écho à nos propres interrogations et à nos doutes : à découvrir sans hésiter !
"Peuple"... un mot bien étrange
On l'attrape, on le tord, on l'arrange
Comme une rengaine tenace dans l'espace politique :
Aucun ne le comprend mais tous s'en revendiquent
Moi, je te vois, Marianne.
On ne voit que toi.
Mais on ne t'entend plus.
Après Le syndrome de la vitre étoilée sur la thématique du désir d'enfant (déjà repéré sur la toile sans pour autant me l'être procuré) Sophie Adriansen met à nouveau en scène son personnage de Stéphanie. Cependant, ce livre peut se lire indépendamment de son premier volet. Sa thématique bien sûr mais aussi son attrayante couverture et des critiques positives m'ont décidé à le lire. Sa construction est intéressante puisqu'il mêle l'histoire de Stéphanie et des citations et témoignages divers (extraits de textes juridiques, d'articles de presse, listes, phrases typiques entendues par les femmes enceintes, etc.). Ce roman a des allures de documentaire ou d'essai tout en incarnant le propos par le couple fictif formé par Luc et Stéphanie. On peut aussi le penser comme le journal intime / le carnet de bord de la grossesse de Stéphanie. Je me suis parfois reconnue dans ce personnage, parfois pas du tout. En tout cas, il m'a ému et fait m'interroger.
Militant, ce livre revendique le droit des femmes à disposer de leur corps, d'autant plus dans ces moments de vie si particuliers que sont les grossesses. Rester maître de sa grossesse, de son accouchement, de sa maternité, tout en acceptant de lâcher prise parfois : tout un programme. C'est avec bienveillance et sensibilité que ce sujet est abordé. Le livre est ainsi une caisse de résonance aux pensées chamboulées des futures et nouvelles mamans. Ce qui est appréciable c'est qu'un brin d'humour n'est pas exclu de temps en temps. On sent que le sujet passionne son auteur : de l’hyper-médicalisation de l'accouchement au changement de statut social que procure la naissance de son premier enfant en passant par les liens avec ses propres parents qui sont réinterrogés à cette période-là, des privations alimentaires pendant la grossesse à la rencontre avec son enfant en passant par la question de la césarienne de confort...
À la maternité, on ne délivre aucun diplôme. Chaque femme fait de son mieux.
La linea nigra, c'est cette ligne brune qui peut apparaître sur le ventre des femmes enceintes sous l'effet des hormones. C'est aussi un roman aux multiples facettes sur le désir d'enfant, la grossesse, l'accouchement et la maternité. Beaucoup d'éléments sont évoqués et mettent en lumières les chamboulements physiques et psychologiques en œuvre à ces périodes. Sans être d'un style très littéraire, ce texte fait écho aux émotions et introspections maternelles à travers des anecdotes réalistes, tout à tour amusantes ou émouvantes. Un livre à mettre entre les mains de toutes les futures et jeunes mamans (à l'instar de l'album Maman paru le mois dernier que je remets en avant à cette occasion). Une belle lecture.