pour le partage de cet album jeunesse signé Quentin Gréban
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Eva s’apprête à partir au marché avec sa maman. Cette dernière lui demande si elle a bien été aux toilettes. Bien sûr ! répond Eva. Mais une fois arrivée devant l'étale de légumes, catastrophe ! Eva émet un timide "pipi" avant d'intensifier au fil des pages l'expression de son besoin pressant : "piipiiii" ! Il faut se rendre à l'évidence : la situation demande à être réglée d'urgence et le retour à la maison s'impose. Le marchand de légumes prend alors l'initiative de mettre Eva sur ses épaules pour aider la maman à rentrer plus vite. Le policier fait ensuite grimper tout le monde sur son vélo. D'autres animaux se joignent au groupe. Ils montent dans le tramway, qui démarre en trombe mais déraille. Tout le monde pousse pour le remettre sur ses rails. Finalement, la foule arrive à la maison, devant la porte des toilettes et là… trop tard. On ressent parfaitement à la lecture de l'album l'urgence de la situation. Pour cette raison, on se régale d'ailleurs à le lire à haute voix. Les personnages anthropomorphiques sont expressifs et permettent à l'enfant de s'identifier au petit chat. On reconnait les illustrations surannées de Quentin Gréban et ses tons favoris tout en nuances de verts et de bleus. Un album malicieux pour aborder (à partir de 2/3 ans) l'apprentissage de la propreté... avec un pied de côté.
De Caroline Solé, découverte avec La Pyramide des besoins humains, j'ai adoré les personnages d'Akita puis de Thao mais ai aussi été très déçue par La fille et le fusil. Avec D'après mon adolescence, elle bondit à nouveau dans la liste des auteurs jeunesse à suivre. Elle offre ici à ses lecteurs un récit bien écrit et surtout totalement novateur. Ce récit est un dialogue entre l'autrice - 42 ans - et son moi adolescent, entre ses 13 et 18 ans. En s'appuyant sur des écrits de cette époque, extraits de journal intime, dessins, lettres, Caroline Solé explicite son processus d'écriture. Il en résulte un mélange original d'autobiographie, d'essai et de fiction. Elle nous parle d'une crise aiguë d'adolescence : à la fois si banale et si particulièrement transgressive. Dès les premières lignes est scellé un pacte : répondre aux questions que la jeune Caroline se posait. Comment s'y prendre avec les garçons ? La première fois, est-ce que ça fait mal ? Comment sait-on que l'on est amoureuse ? La première fois, ça sera quand ? Durant ses années collège, Caroline fantasme sur des garçons inaccessibles et rêve d'une première fois flamboyante. Puis, un mal-être se développe en elle, au point de se mutiler, de faire une fugue et de s'échapper en Angleterre, où elle vivra un temps dans la rue, en marge. Avec de la délicatesse mais aussi une franchise crue, Caroline Solé tente de répondre aux questions qui tourmentaient son moi adolescent : le désir, le plaisir, la mort, etc. C'est quelque peu déconcertant, voire effrayant, notamment lorsqu'elle raconte ses mois de vie marginale en Angleterre, mais aussi touchant d'intimité dévoilée et de bienveillance. Le texte se lit facilement, dans une langue accessible et moderne, au fil de pages aérées et illustrées de traces écrites de sa jeunesse. Les adolescents d'aujourd'hui se retrouveront forcément dans ses interrogations. Par ailleurs, ils ne seront pas déçus : l'auteur tient sa promesse et raconte ses premières fois (celle où elle a eu un rapport sexuel et celle où elle a véritablement fait l'amour). C'est un livre court mais riche, qui éclaire les précédents romans de l'auteur et donne aussi envie de revenir sur son propre cheminement de jeune femme.
Tu es vierge et tu te projettes dans un corps de femme en souffrance.
Tu n'as que quinze ans et tes mots résonnent comme de lointains carillons, dans un pays étranger. Je les avais oubliés. Il n'y a pas si longtemps, tu jouais à la potion magique : il fallait touiller tout ce que tu trouvais dans le jardin - de la terre, des feuilles, des cailloux - pour concevoir un breuvage qui te transformerais en princesse. Tu y croyais vraiment. Comme tu crois désormais abriter en toi cette Clara écorchée.
Le temps nous glisse entre les mains, laissant tout juste quelques tâches d'encre sur les doigts ; des carnets secrets pour se rappeler.
À ce stade de l'histoire, j'aimerais basculer dans la fiction. J'imaginerais un personnage d'adolescente à qui il arriverait des choses incroyables. Par exemple, une fille de la campagne, rêvant des lumières de la ville, pourrait brandir un fusil sur un homme célèbre, comme le fait l'héroïne de mon troisième roman. J'habiterais dans son corps, dans sa vie, pendant quelques mois. Je me fondrais en elle pour me sonder.
Mais c'est un carnet intime, ici.
Tout est véritablement arrivé. C'est ma vie que je raconte, donc je dois respecter les faits pour te retrouver et comprendre ton itinéraire. Même si, en réalité, tout est frauduleusement vrai. Une arnaque des plus sincères : à partir du moment où je me raconte, ma vie se réécrit. Et devient donc fiction.
Quinze ans, c'est un enfant de cinq ans ; fois trois.
Quelqu'un pleure constamment en toi.
Un matin semblable à de nombreux autres, une maman, première levée, dispose la table du petit-déjeuner. Elle veille à ce que rien ne manque. Se tient prête à emplir la maison de la bonne odeur de pain grillé. Ajoute la confiture de fraises. Elle lorgne ensuite du côté du jardin en se félicitant de sa bonne tenue. Elle note toutefois qu'il faudra mettre de l'ordre dans le bac de géraniums. La journée d'Anne-Marie semble bien commencer. Pourtant, cette journée n'est pas ordinaire. Et son fils aux cheveux embroussaillés et au traits encore ensommeillés qui arrive soudain dans la cuisine lui apparaît beau comme aux premiers jours. Immanquablement, alors qu'elle s’applique à ne pas y penser, elle est renvoyée "𝒂̀ 𝒕𝒐𝒖𝒔 𝒍𝒆𝒔 𝒎𝒂𝒕𝒊𝒏𝒔 𝒒𝒖𝒊 𝒐𝒏𝒕 𝒑𝒓𝒆́𝒄𝒆́𝒅𝒆́, 𝒄𝒆𝒖𝒙 𝒅𝒆𝒔 𝒃𝒂𝒍𝒃𝒖𝒕𝒊𝒆𝒎𝒆𝒏𝒕𝒔 𝒆𝒕 𝒄𝒆𝒖𝒙 𝒅𝒆 𝒍'𝒂𝒇𝒇𝒊𝒓𝒎𝒂𝒕𝒊𝒐𝒏, 𝒍𝒆𝒔 𝒎𝒂𝒕𝒊𝒏𝒔 𝒅'𝒆́𝒄𝒐𝒍𝒆 𝒆𝒕 𝒍𝒆𝒔 𝒎𝒂𝒕𝒊𝒏𝒔 𝒅𝒆 𝒈𝒓𝒂𝒔𝒔𝒆 𝒎𝒂𝒕𝒊𝒏𝒆́𝒆, 𝒍𝒆𝒔 𝒎𝒂𝒕𝒊𝒏𝒔 𝒅'𝒉𝒊𝒗𝒆𝒓 𝒅𝒂𝒏𝒔 𝒍𝒂 𝒍𝒖𝒎𝒊𝒆̀𝒓𝒆 𝒃𝒍𝒆𝒖𝒆 𝒆́𝒍𝒆𝒄𝒕𝒓𝒊𝒒𝒖𝒆 𝒆𝒕 𝒍𝒆𝒔 𝒎𝒂𝒕𝒊𝒏𝒔 𝒆𝒏 𝒗𝒂𝒄𝒂𝒏𝒄𝒆𝒔, 𝒍𝒆𝒔 𝒑𝒂𝒄𝒊𝒇𝒊𝒒𝒖𝒆𝒔 𝒆𝒕 𝒄𝒆𝒖𝒙 𝒅𝒖 𝒎𝒂𝒖𝒗𝒂𝒊𝒔 𝒑𝒊𝒆𝒅 [...]" et à ce qu'aujourd'hui veut dire. Aujourd'hui est un dimanche de déménagement. Théo, le dernier des trois enfants d'Anne-Marie et Patrick, quitte la maison pour s'installer non loin de là dans son studio d'étudiant. Il leur échappe. Du trajet en Kangoo (celle du magasin dans lequel travaille Patrick), au soir qui tombe sur le couple parental, chaque étape de cette journée à la fois si banale et si particulière est racontée : le déballage des cartons, le déjeuner dans un restaurant du quartier, le trajet du retour sans Théo, les échanges avec des proches (Julien, le fils aîné, et Françoise, la voisine et amie). Ces quelques pages à l'écriture sobre, calquée sur le flot de pensées d'Anne-Marie, se tournent bien vite et dépeignent avec simplicité et sensibilité une journée qui marque une nouvelle étape de la vie des personnages. Philippe Besson, que je découvre à l'occasion de cette lecture, nous raconte le syndrome du nid vide : la perte de repères d'une mère dont le fils quitte la maison. Cette étape s'apparente pour elle à un vacillement, un chagrin inavouable, presque un deuil. Mais le récit est aussi très lumineux et doux ; une sorte d'hommage à l'élégance, au courage et à l'amour des mères. Au-delà des réflexions sur la maternité, et plus particulièrement le lien mère-fils, l'auteur traite aussi de ce que sont la famille et le couple à l'origine de cette famille. Ce couple souvent mis plus ou moins au second plan pendant des années et qui doit apprendre à redevenir un couple de premier plan une fois les enfants émancipés. Ainsi, Philippe Besson nous offre un récit très vraisemblable (malgré un dénouement un peu surprenant) et poignant, qui fait écho à la fierté mêlée d'inquiétude présente pour la vie dans chaque cœur de maman.
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Au téléphone, Julien comprend qu'il est de son devoir de rassurer sa mère. Ce faisant, il apprend une leçon nouvelle : les fils parfois rassurent les mères, le rapport un jour s'inverse et c'est maintenant, c'est maintenant que ça se passe, elle a toujours pris soin de lui elle prend encore soin de lui alors qu'il a vingt-sept ans et voilà que, dans un inattendu retournement, il doit prendre soin d'elle, se montrer attentif, attentionné, prononcer des mots réconfortants : "T'inquiète, il s'en sortira très bien. Il est dégourdi, Théo."
"Maman, faut couper le cordon, tu sais"
Ah non, pas ça, pensa-t-elle. Pas cette expression toute faite qu'on lui serine. Chaque fois, elle a envie de répliquer : un, il a été coupé le cordon, deux, pas par moi et on s'étonne après. Pourtant, elle ne balance jamais cette réplique. Les gens lui objecteraient qu'elle n'a rien compris, qu'il s'agirait d'une métaphore. Comme si elle ignorait ce que c'était une métaphore ! Et sa réponse à elle, elle ne serait pas métaphorique par hasard ? Elle dit : " oui, oui, je sais".
D'abord, est-ce qu'ils savent encore ce que c'est : être un couple ? On s'oublie, on s'efface, on se dilue, quand on est parents. On se consacre entièrement à ses enfants, on agit en fonction d'eux, on prévoit les déplacements, les week-ends, les congés en fonction d'eux, que reste-t-il pour le couple, pour les tourtereaux qui se sont trouvés un jour et se sont promis d'être toujours là l'un pour l'autre ? Pas grand-chose, honnêtement. Presque rien. Des interstices.
Combien de fois ont-ils clamé que les enfants c'est bien sympathique, on les adore mais quand même ça prend toute la place alors vivement qu'ils s'en aillent pour qu'on puisse souffler et profiter ? Combien de fois ont-ils laissé entendre qu'ils avaient hâte de cesser d'être des parents pour redevenir des époux, parce que bon, hein on a le droit de penser à nous aussi, pas vrai ? Sauf que voilà, c'est maintenant, c'est tout de suite et elle n'est pas certaine de se rappeler comment on fait.
Il y a ça, d'un coup, dans un été qui s'en va, dans une rue déserte, sur un trottoir balayé par le vent, une mère et son fils, arrimés l'un à l'autre.
Pourtant, il pourrait d'ores et déjà rentrer chez lui, parcourir les trois cents mètres qui le séparent de son nouveau domicile, ce serait une façon de ne pas conférer de solennité à ce qui advient, mais cela témoignerait d'une indifférence méchante à l'égard de la peine immanquable de sa mère. Et méchant, il ne peut pas l'être : celle qui s'éloigne est tout de même son premier amour. D'ailleurs, lui aussi, il est ému, et ça le décontenance, ça le déséquilibre un peu, il ne va pas le nier. Ce n'est pas rien, ce qui se passe, c'est un basculement vertigineux ; il entre dans la grande photo du monde.
Une famille, ça se transforme, ça continue, et cependant, ça reste cette chose qui tient chaud, qui rassure.
J’avais du mal à écrire ; je tournais en rond. Mes personnages me procuraient un vertige d’ennui. J’ai pensé que n’importe quel récit réel aurait plus d’intérêt. Je pouvais descendre dans la rue, arrêter la première personne venue, lui demander de m’offrir quelques éléments biographiques, et j’étais à peu près certain que cela me motiverait davantage qu’une nouvelle invention. C’est ainsi que les choses ont commencé. Je me suis vraiment dit : tu descends dans la rue, tu abordes la première personne que tu vois, et elle sera le sujet de ton livre.
Ainsi débute le pétillant roman de David Foenkinos. Frais, aussi riche de notes de bas de page que d'autodérision, il est terriblement bien écrit. Ses personnages, bien qu'il ne soit pas physiquement décrits, sont parfaitement caractérisés. On apprend ainsi à connaître la touchante Madeleine Tricot, sa fille Valérie mariée à Patrick Martin et leurs deux enfants, Lola et Jérémie. Le narrateur - l'auteur lui-même - partage quelques repas et moments divers avec les uns et les autres. Il collecte les confidences livrées de façon plus ou moins enthousiaste par chacun des protagonistes et qui s'avèrent un précieux et pertinent matériau pour son projet. On est aux premières loges du récit en train de s'écrire sous nos yeux. Et tout ne se fera pas sans émettre des doutes sur le potentiel romanesque de ses personnages et sur sa capacité à ne pas malencontreusement intervenir dans leur parcours de vie. On se questionne en même temps que l'auteur : si la réalité constitue souvent la trame de la fiction, la fiction peut-elle changer la réalité et avoir un impact sur le déroulement des événements ? L'auteur et ses personnages nous offrent une comédie réjouissante où se mêlent digressions sur Karl Lagarfeld, mélancolie, retournements de situation, humour, considérations littéraires et réflexions sur l'amour et le poids des non-dits. Un décorticage de la sensibilité humaine et de la façon dont un écrivain s'inspire du réel moderne et drôle. Je n'en dis pas plus et vous laisse sur ces nombreuses citations relevées au fil des pages, signe de la gourmandise avec laquelle j'ai lu ce livre.
Je ne voulais surtout pas me laisser embarquer dans l'écriture d'un roman qui servirait d'arrosoir pour les fleurs d'une tombe.
Les rares fois où Madeleine l'avait vu, il avait toujours été incroyablement souriant. Mais selon elle, ce sourire était comme une fissure sur un mur, on ne voyait que ça, si bien qu'on oubliait le mur, et la maison autour.
On traque partout les reflets de notre intimité.
Nous étions unis dans la stupéfaction du quotidien essoufflé.
Au fond, j'ai aimé me demander qui elle était, et comment elle évoluerait dans mon livre ; je n'avais pas d'angoisse particulière à l'idée de la découvrir au chapitre 45 ou 114. Elle avait tout d'une personnalité de milieu de roman ; tout à fait le genre à relancer une intrigue.
Qui croirait au récit d'une vie perpétuellement palpitante ? Le plus souvent, dans notre quotidien, nous brodons des péripéties autour de l'ennui.
Pouvait-on construire un bon roman sur des Martin ? Pour me rassurer, je suis allé faire un tour sur Internet, et j'ai tapé leurs noms en entier. Je suis tombé sur une avalanche de Patrick Martin ou de Valérie Martin. C'est un élément qui m'a beaucoup plu. Tout d'abord, c'est un nom idéal pour ne jamais être retrouvé sur Facebook. Aucune chance qu'un psychopathe puisse déceler la trace d'une Valérie Martin qu'il aurait croisé en soirée. Il y a une grande force d'anonymat chez les Martin, ce qui leur confère forcément une capacité au combat pour exister dans la multitude. Ce sont les Chinois du nom. Et ça, c'est incontestablement romanesque.
Je lui ai tendu la main, mais elle m'a fait la bise en me disant : "À ce soir à la maison !" Elle est partie d'une démarche rapide et enjouée, mais au bout de quelques mètres, elle a fait demi-tour. "Il faut que je vous dise... je crois que je n'aime plus mon mari. Je vais le quitter. C'est important que vous le sachiez... pour votre livre." Puis, elle est repartie comme si elle ne m'avait rien dit d'important ; juste un point-virgule dans un roman.
L'adolescent pense craindre l'avenir, alors qu'il souffre de la disparition du passé.
Elle se leva subitement pour aller chercher une bouteille. " Vous ne trouvez pas que ce qu'on vit est beaucoup plus whisky que tisane ?" dit-elle, presque tragiquement. J'étais totalement d'accord.*
* On pouvait associer chaque événement de notre vie à une tonalité liquide ; il y a des moments citron pressé et des moments vodka cerise. Ce matin par exemple, je me sentais assez excité par mon projet, une ambiance totalement jus de papaye.
J'avais pourtant fantasmé sur cette grande tour consacrée aux assurances, avec son self rempli de salariés. Cette vie-là me fascinait. Quand j'allais rencontrer des élèves dans les lycées pour parler de mes livres, je demandais toujours qu'on déjeune à la cantine. Je pouvais atteindre une sorte d'orgasme gastronomique avec un œuf mayonnaise servi dans une petite assiette en plastique.
Je crois surtout qu'il avait envie de parler ; en annonçant qu'il me faisait une fleur, il s'offrait tout le bouquet.
Au milieu du salon, Valérie se tenait debout face à moi. Clairement, elle attendait un commentaire sur son apparence. Maquillée, habillée d'une robe moulante, juchée sur des talons hauts, son allure était la bonne -annonce de ce qu'elle pensait.
_ Si elle vous parle à vous, tant mieux. Vous avez de la chance. Moi, elle ne me dit plus rien, c'est terrible. Au début, les enfants vous racontent pendant des heures l'historique de leurs moindres bobos, et puis avec les années, ils se mettent à enfouir les chagrins les plus douloureux.
_ Ce n'est pas faux.
_ C'est idiot, car je crois m'y connaître davantage en douleur qu'en égratignures", dit-elle avec une tristesse subite.
Après ma lecture mitigée du Prix Goncourt 2020, j'ai lu le dernier Prix Goncourt des lycéens. Pour en rendre compte de façon succincte, je me suis dit que j'allais à nouveau utiliser le format de la liste essayé l'année dernière. En ouvrant ce livre, vous découvrirez :
𝑇𝑟𝑜𝑖𝑠 𝑑𝑒𝑠𝑡𝑖𝑛𝑠 𝑑𝑒 𝑓𝑒𝑚𝑚𝑒𝑠 qui se croisent et se font écho. Trois femmes camerounaises qui entendent dès leur naissance qu’il faut qu’elles soient patientes pour remplir comme il se doit le rôle d’épouse qui leur est réservé : Ramla, une adolescente belle et éduquée qui aurait rêvé devenir pharmacienne et épouser l’homme qu’elle aime ; sa demi-sœur Hindou, mariée à son cousin alcoolique et violent ; et Safira, la première épouse du quinquagénaire auquel Ramla est destinée.
𝑈𝑛𝑒 𝑐𝑜𝑛𝑠𝑡𝑟𝑢𝑐𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑒𝑛 𝑡𝑟𝑜𝑖𝑠 𝑝𝑎𝑟𝑡𝑖𝑒𝑠 qui donne une vue d'ensemble de la vie promise à ces femmes : une première partie centrée sur Ramla et les préparatifs de son mariage, une deuxième partie sur sa cousine Hindou qui raconte son calvaire une fois mariée, et enfin celle centrée sur Safira, la première épouse, obsédée par l'idée de se débarrasser de Ramla, sa nouvelle coépouse.
𝐷𝑒𝑠 𝑓𝑎𝑖𝑡𝑠 𝑑𝑒 𝑓𝑖𝑐𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑞𝑢𝑖 𝑑𝑖𝑠𝑒𝑛𝑡 𝑙𝑎 𝑟𝑒́𝑎𝑙𝑖𝑡𝑒́ 𝑑𝑒 𝑣𝑖𝑜𝑙𝑒𝑛𝑐𝑒𝑠 𝑡𝑜𝑢𝑗𝑜𝑢𝑟𝑠 𝑑'𝑎𝑐𝑡𝑢𝑎𝑙𝑖𝑡𝑒́ au Sahel : mariage forcé, polygamie subie, viols, coups, humiliations, etc. Les hommes considèrent les femmes comme des marchandises. Les femmes elle-même perpétuent un esclavagisme désolant en imposant aux générations suivantes le silence, la "patience" et la dignité, trop conscientes du prix à payer à manquer de docilité. Là où la sororité pourrait se révéler un réconfort et une arme, elle se voile de rivalité.
𝐷𝑒𝑠 𝑟𝑒́𝑓𝑙𝑒𝑥𝑖𝑜𝑛𝑠 𝑒𝑛𝑔𝑎𝑔𝑒́𝑒𝑠 𝑠𝑢𝑟 𝑑𝑒𝑠 𝑠𝑢𝑗𝑒𝑡𝑠 𝑓𝑒́𝑚𝑖𝑛𝑖𝑠𝑡𝑒𝑠. Reflet de la propre expérience de l'auteur, le texte décrit l'effroyable sort réservé aux femmes dans cette partie de l'Afrique. L'organisation sociale et familiale à l’œuvre semble sans échappatoire : tout plutôt que le déshonneur, l'exclusion et la misère. Ce livre provoque sidération et compassion et appelle à la vigilance : beaucoup de droits restent à conquérir pour les femmes, surtout dans cette région du monde.
𝑈𝑛𝑒 𝑝𝑟𝑜𝑠𝑒 𝑎𝑐𝑐𝑒𝑠𝑠𝑖𝑏𝑙𝑒 et percutante de par son aspect réaliste, sans pudeur, mais qui ne passe malheureusement pas à côté de certains impaires. À titre d'exemple, cette répétition : "Méprisant son tourment, mon père n'avait pas arrêté de la tourmenter [...]". Ce n'est donc pas bouleversant stylistiquement parlant.
Rien de mémorable pour moi mais un bon livre à mettre entre les mains des lycéens pour une prise de conscience féministe et pour découvrir les fonctionnements insidieux du mariage forcé et de la polygamie.
Ô ma mère ! Que c'est dur d'être une fille, de toujours donner le bon exemple, de toujours obéir, de toujours se maîtriser, de toujours patienter !
Ô ma mère, je t'aime tellement mais je t'en veux aujourd'hui.
Ô ma mère, ressaisis-toi ! Regarde-moi. Ai-je l'air heureuse comme le doit être toute mariée ?
Et toi, mère, es-tu heureuse comme la mère d'une mariée ? Pourquoi ces larmes que tu essuies parfois ? Pourquoi ce maquillage outrageux aujourd'hui, toi qui ne te maquilles jamais ? Pourquoi ces yeux rouges derrières le knôl noir ?
Annonce du décès de Joseph Ponthus via le compte Instagram de son éditeur le 24 février 2021
Lu, contacté, rencontré, apprécié... Baptiste, alias Joseph, aura marqué mon année littéraire 2020. En novembre, quelques semaines après avoir honoré mon invitation, un cancer lui est diagnostiqué. Il décède au mois de février. Comme pour la plupart des gens ayant croisé son chemin, il m'a paru accessible, tendrement chaleureux, sincère, attachant, raffiné en toute simplicité. Il s'exprimait, comme l'a si justement et joliment écrit Éric Poindron dans Marianne, avec "la révolte et la bonté en bandoulière". Il pleure dans mon cœur ces dernières semaines : adieu, cher poète.
C'est vendredi et il pleut comme la Bretagne sait le faire [...] / Je ne sais pas s'il pleut sur Nantes / Mais il pleut sur Lorient / Et / J'ai le cœur chagrin
Je n’y allais pas pour faire un reportage / Encore moins préparer la révolution / Non / L’usine c’est pour les sous / Un boulot alimentaire / Comme on dit / Parce que mon épouse en a marre de me voir traîner dans le canapé en attente d’une embauche dans mon secteur / Alors c’est / L’agroalimentaire / L’agro / Comme ils disent / Une usine bretonne de production et de transformation et de cuisson et de tout ça de poissons et de crevettes / Je n’y vais pas pour écrire / Mais pour les sous
L'usine serait ma Méditerranée sur laquelle je trace les routes périlleuses de mon Odyssée / Les crevettes mes sirènes / Les bulots mes cyclopes / La panne du tapis une simple tempête de plus / Il faut que la production continue / Rêvant d’Ithaque / Nonobstant la merde