Coup de cœur pour cette bande dessinée didactique hilarante sur la thématique des contes. Premier point : l'objet. Le livre est de magnifique facture, avec une épaisse couverture cartonnée d'un vert foncé, des dorures - notamment sur les tranches ♡ - des pages de garde travaillées, du papier épais et un marque-page en tissu qui participe de l'effet "vrai faux livre ancien et précieux". Les illustrations au graphisme plutôt rond se présentent en bichromie de violet ensorcelant et d'orange enthousiaste. Le tout est pensé et soigné de A à Z (et m'a fait penser au roman D'or et d'oreillers de Flore Vesco).
Alternant analyses et récits, Lou Lubie nous propose une lecture fluide, au propos moderne et énergique. Elle revient sur l'origine des contes en expliquant notamment que les contes - de tradition orale - ont finalement été fixés par écrit par des auteurs qui, s'adressant à un lectorat particulier, à une époque particulière, ont fait des choix narratifs. Elle liste les principaux auteurs qui ont transposé les contes sur papier :
- Basile au XVIIe s. en Italie (écrit pour les adultes de la cour / avec un langage sophistiqué / des récits burlesques et irrévérencieux)
- Perrault au XVIIe s. en France (écrit pour les enfants / donc avec une morale / avec une écriture raffinée / avec des héros plutôt passifs et vertueux)
- Les frères Grimm au XIXe s. en Allemagne (écrivent pour affirmer l'identité allemande / avec moins de détails et plus d'actions / des héros plus débrouillards / des récits plus cruels)
- Disney au XXe s. aux USA (moins sanglant / plus ludique / plus romantique / plus sexiste)
Elle n'oublie pas de citer également des noms moins connus (et féminins !) tels que Marie-Catherine d'Aulnoy (qui a inventé le terme de "conte de fées"), Gabrielle-Suzanne de Villeneuve, Marie-Jeanne Leprince de Beaumont ou encore Bozena Nemcova. Elle nomme également Andersen qui a lui inventé ses propres contes (au XIXe s.) : La Petite Sirène, La Princesse au petit pois, Poucelina, Le Vilain Petit Canard, etc.
Lou Lubie revient sur la définition du conte et ses analyses narratives (schéma narratif, schéma actanciel, classification ATU) et psychanalytiques. Elle énumère les principaux conflits inconscients que peuvent aider à surmonter les contes selon Bruno Bettelheim :
- La rivalité fraternelle (comme dans Cendrillon)
- L'angoisse de la séparation (comme dans Hansel et Gretel)
- Les conflits avec un parent (via la figure de la belle-mère notamment)
- Les complexes œdipiens (comme dans Blanche-Neige ou Le Petit Chaperon rouge)
Enfin, elle en vient à aborder l'éthique des contes : sont-ils sexistes ? Racistes ? Modelés selon des valeurs religieuses ? J'ai particulièrement apprécié la présentation et le décryptage des différentes versions plus ou moins misogynes de La Belle endormie / La Belle au bois dormant :
- Version Basile : pour adultes seulement /!\
- Version Perrault : étonnamment ok, pas de baiser du prince
- Version Grimm (reprise par Disney) : pas ok, baiser non consenti !
J'ai adoré découvrir ou redécouvrir les récits originels et non déformés par l'esprit Disney (même si j'adore ce dernier, entendons-nous bien) comme La Petite Sirène (qui se suicide), Barbe bleue (bien gore), Le Prince enchanté (antisexiste) ou Raiponce (qu'on aurait aussi pu connaître sous le nom de Fleur-de-Persil ou Persillette !). Avec le trait simple et expressif de Lou Lubie, les classiques retrouvent leur férocité : adultères, mutilations, meurtres, etc. C'est parfois sombre, croustillant, enchanteur, souvent surprenant. Avec son humour moderne qui sauve les scènes les plus déstabilisantes, Lou Lubie nous offre une exploration culturelle et littéraire passionnante !