Publié le 28 Mars 2024

Du même bois

Dans cette ferme cohabitent plusieurs générations d'humains et des vaches dont il faut s’occuper sans répit. Heureusement, le pépé est mort, car il mourrait une deuxième fois s’il voyait que personne ne se destine à reprendre la ferme. Dans cette famille, on dit que parler fissure les montagnes. La gamine, elle, ne peut s’empêcher de nous raconter : les tâches sur le pelage des vaches qui deviennent des continents à explorer, les cailloux qui se transforment en téléphone, le corps du beau-frère de la mémé qui tombe d’avoir trop bu…

 

Dans ce court premier roman autobiographique, Marion Fayolle parle de la réalité du monde rural, en ne nous épargnant pas la rudesse de la vie à la ferme : les odeurs, les bruits, la fatigue, les morts et parfois la folie qui guette. Mais elle parle aussi des joies simples au contact de la nature et des êtres : les veaux qu’on regarde gambader pour la première fois dans le pré, les cabanes à l’orée du bois dans lesquelles on joue, les repas préparés par un amour taiseux… Ses personnages n’ont pas de prénoms mais qu’importe, ils n’en sont que plus universels. C’est ainsi que Marion Fayolle nous raconte avec une originalité poétique la solidarité intergénérationnelle d’un monde rural qui doucement prend fin. On en ressort les “𝒿𝑜𝓊𝑒𝓈 𝓉𝑜𝓊𝓉𝑒𝓈 𝓂𝒶𝓆𝓊𝒾𝓁𝓁𝑒́𝑒𝓈 𝓅𝒶𝓇 𝓁𝑒 𝓋𝑒𝓃𝓉” de tout ce temps passé au grand air.

 

La bâtisse est tout en longueur, une habitation d’un côté, une de l’autre, et au milieu une étable. Le côté gauche pour les jeunes, ceux qui reprennent la ferme, le droit pour les vieux. On travaille, on s’épuise, et un jour, on glisse vers l’autre bout. C’est plus pratique, il y a une chambre au rez-de-chaussée, les escaliers sont moins raides, les pièces semblent disposées pour vieillir. Et puis, quand l’un meurt, le mari souvent, les enfants sont à l’autre bout, ça rassure, ça évite la solitude, ils regardent en passant s’il y a de la lumière, si les volets sont ouverts, si le linge est étendu, ils s’arrêtent en coup de vent pour mettre des bas à varices, recompter les cachets pour la tension et s’agacer un peu des oreilles qui ne les entendent plus.

Le visage de la mémé est patiné par le vent et le soleil, ses hanches rembourrées par le fromage et la bonne viande de la ferme. Le paysage déborde sur elle, elle n’aurait pas pu vivre ailleurs. Elle a la même silhouette que le prunier du jardin, celui qui croule sous trop de fruits, qui s’affaisse sous le poids de sa générosité. Ses bras, son dos, ses jambes sont fatigués d’avoir passé toute une vie à donner.

En revenant, sur le sentier, il trouve des cailloux, les plaque contre son oreille. On l’entend discuter, raconter sa journée. C’est un caillouphone pour appeler les gens qui sont morts ! Tu veux parler à papi ? Allô ? Allô ? Il a raccroché. Peut-être que ça marche qu’avec les enfants. Papi, il dit qu’il n’a plus mal depuis qu’il est mort mais qu’il ne peut pas revenir maintenant qu’il va bien. C’est embêtant. 

Les enfants, les bébés, ils les appellent les « petitous ». Et c'est vrai qu'ils sont des petits touts. Qu'ils sont un peu de leur mère, un peu de leur père, un peu des grands-parents, un peu des arrière-grands-parents, un peu de ceux qui sont morts, il y a si longtemps. Des petits touts. Tout ce qu'ils leur ont transmis, caché, inventé. Tout. Des bouquets d'histoires, de silences, d'émotions, de gènes, de cellules. Des collages de lèvres, d'oreilles, de regards, de cils, de traits et d'odeurs. Des discordes, des secrets, des réconciliations. C'est pas toujours facile d'être un petit tout, d'avoir en soi autant d'histoires, autant de gens, de réussir à les faire taire pour inventer encore une petite chose à soi.

Rédigé par Nota Bene

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Publié le 27 Mars 2024

Le ciel ouvert

 

C’est un plaisir. Cette prose de Nicolas Mathieu. Une collection, comme un carrousel, de textes autobiographiques initialement publiés sur les réseaux sociaux. Des instants, des confidences, des réflexions, ici agencés en un tout cohérent qui se lit par fragments. Le texte est accompagné d'illustrations d'Aline Zalko dont j'ai apprécié le travail sans pour autant y voir une réelle valeur ajoutée. On démarre en parlant d’amour passionné, de manque amoureux, de retrouvailles sensuelles. C’est parfois très bien. On y croise même des alexandrins. C'est parfois d'un érotisme fiévreux. Parfois un peu ennuyant cet étalage de passion triste. Car Nicolas Mathieu anticipe la fin de l’histoire et transpire la mélancolie. Il aborde ensuite avec justesse la thématique de la paternité et de la filiation, évoquant son fils unique. On est amusé et attendri. Puis, le ton devient plus politique en mentionnant la fin de vie de son papa. Comme dans ses précédents écrits, son rapport au temps est fondamental. Quand il dit que "la littérature ne peut rien" (cf. l'incipit) c’est en réalité le constat amer d’un homme qui est tout à son élan d’écriture. 𝐼𝓁 𝓂𝑒𝓉 𝒹𝑒𝓈 𝓂𝑜𝓉𝓈 𝓈𝓊𝓇 𝓊𝓃𝑒 𝓊𝓈𝓊𝓇𝑒 𝑒𝓉 𝓊𝓃𝑒 𝒾𝓂𝓅𝓊𝒾𝓈𝓈𝒶𝓃𝒸𝑒 𝓅𝒶𝓇𝓉𝒶𝑔𝑒́𝑒𝓈 𝓅𝑜𝓊𝓇 𝓅𝑜𝓇𝓉𝑒𝓇 𝒽𝒶𝓊𝓉 𝓈𝒶 𝓅𝓇𝑜𝓉𝑒𝓈𝓉𝒶𝓉𝒾𝑜𝓃 𝑒𝓉 𝓈𝑜𝓃 𝑒𝓈𝓅𝑜𝒾𝓇 𝒹𝑒 𝓈𝒶𝓊𝓋𝑒𝓇 𝓆𝓊𝑒𝓁𝓆𝓊𝑒 𝒸𝒽𝑜𝓈𝑒 𝒹𝑒 𝓈𝑜𝓃 𝓂𝑜𝓃𝒹𝑒 et du monde. Comme il l'explique lui-même dans sa préface : "La mélancolie est ici la manifestation d'une résistance". Un plaisir, vraiment. Juste un poil gâché après coup par tout ça. Mais restons sur quelques douces citations relevées au fil de ma lecture.

 

 

Je vais te dire, en réalité la littérature ne peut rien. Là-dessus, tout le monde ment. Et je hais son délire centenaire, ce songe asthmatique, tous ces raffinements qui fardent des cadavres, je hais ces restitutions d'embaumeurs. La vérité, c'est qu'il n'y a pas de temps retrouvé, cette lubie d'hypokhâgne, ni de résurrection possible. Tous les livres sont des nécropoles. Aucune phrase, aucune épithète ne me rendra cette nuit de Berlin, nos après-midi cachottiers, les douches de Baden ni l'accablant bonheur de ton cul entre mes mains.

Regarde-moi faire des phrases, regarde comme je cherche ta peau et n'arrive qu'à empoigner des pages du dictionnaire.

Hier soir tu étais là, au bout du fil. Et sur un banc j'écoutais nos silences, seul dans le noir, si bien de ta fausse présence. J'écoutais nos silences et j'entendais ton sourire.

Elles ont seize ans, peut-être dix-huit. Elles vont dans la ville voisine, la grande qu'il l'est si peu, vivre des choses, faire la fête, prendre le pouls du monde qui leur est promis, pleines de désir et de dégoût, pour l'avenir, les garçons, l'alcool et cette musique sur laquelle elles danseront tout à l'heure, les bras levés et les yeux clos. Leur bouche est rouge, pleine d'injures et de délicatesse.

Oui, nous sommes bien de notre temps, paumés mais fidèles au poste, malgré les insomnies, l'Ukraine et les découverts.

Toute l'enfance on s'imagine que les adultes savent ce qu'ils font. Chaque jour, ils partent bosser, ont des carrirères, font semblant chacun dans leur coin, choississent des yaourts ou leur voiture, rentrent crevés du boulot, vous bordent et tout recommence. Ils savent lire des cartes routières, faire pousser des tomates et parfois même s'aimer longtemps. En réalité, je vais te dire, personne ne sait rien. Tous à notre mesure, nous repoussons pauvrement le désastre, celui du temps, des autres, de notre impuissance, des grands chagrins qui vous prennent quand le volant de badminton est retombé chez le voisin.

Certains [...] se laissaient porter par le climat si doux de ce début de printemps. La circulation du mercredi n'était pas si désagréable. Tout avait un air de neuf. Tu avais envie d'un café et de regarder passer les gens, te remplir de leur tendresse fugitive, profiter de cette minute identique à tant d'autres, revenue malgré la mort progressive des saisons. Et en dépit de la guerre, des lois et de l'impossibilité de la mer, malgré tes cernes et les mauvais choix, tu étais à cet instant l'homme le plus content de la terre.

 

Rédigé par Nota Bene

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Publié le 26 Mars 2024

Ceux que tout le monde a adoré sauf moi

Romans lus ces derniers mois et pour lesquels je n’ai pas compris l’engouement général.

 

La vie heureuse de David Foenkinos : un roman facile à lire, bien écrit, plutôt original et divertissant mais peu crédible et qui ne fait qu’effleurer son propos.

 

Sauvage de Julia Kerninon : là encore une écriture vive et ciselée mais une héroïne très désagréable et un propos peu convainquant.

 

Le bureau d’éclaircissement des destins de Gaëlle Nohant : un roman abandonné à mi-lecture du fait d’un style fade, sans envergure et d’un déroulé quelque peu complexe et peu convaincant.



Et vous, qu’en pensez-vous ?

 

Rédigé par Nota Bene

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