Publié le 14 Juin 2024
Nous sommes en 2017. Servane et Céleste, 27 ans, déposent plainte dans un commissariat pour le vol d'un vase de grande valeur. Le vol a eu lieu trois jours auparavant lors de la soirée d'anniversaire de Céleste au domicile de ses parents. Puis, nous sommes transportés aux origines de leur relation, en 2006, à leur entrée au lycée. Servane Lacombe est alors une jeune fille de 15 ans plutôt banale, issue d'une famille nombreuse relativement modeste. Elle est scolarisée dans un grand lycée parisien où elle se rendra chaque matin en empruntant la ligne L depuis sa banlieue. Le jour de la rentrée, elle porte des ballerines mal ajustées. Céleste Barruel, elle, porte des bottines en cuir bleu nuit et une blouse sapin en soie. Cela ne les empêche pas de sympathiser immédiatement. Servane comprend très vite les codes du microcosme parisien dans lequel évoluent ses camarades. Pour autant, elle n'a pas les mêmes moyens et s'efforce de multiplier les petits boulots (hôtesse d'accueil, baby-sitter...) pour s'approcher des facilités de leur train de vie. Petit à petit, Servane étudie, travaille, achète des robes et des objets luxueux. Elle supporte les remarques condescendantes. Les années passent, les relations amoureuses et les soirées arrosées aussi mais les amitiés perdurent. Quand le vol d'un vase Lalique - 15,5 fois le Smic - se produit, les soupçons convergent : n'est-ce pas Servane qui a fait sien cet aphorisme de Nietzsche : "L'homme a besoin de ce qu'il a de pire en lui s'il veut parvenir à ce qu'il a de meilleur" ?
Madeleine Meteyer écrit un roman sur l'amitié à l'épreuve de la différence de classe sociale de façon tendre et acide à la fois. Malgré une fin un peu fade et mon agacement à la lecture des innombrables adresses de la capitale (je suis une provinciale qui n'y connaît pas grand chose à la géographie parisienne), j'ai aimé suivre les aléas affectifs de Servane, jeune fille de son époque, à la fois naïve et quelque peu arriviste, et me plonger dans l'univers doré de la bourgeoisie dont l'autrice évite me semble-t-il une peinture caricaturale.
– Je crois qu'il n'y a rien de plus angoissant qu'une fille de trente ans. J'en ai entendu à la terrasse d'un café l'autre jour. Elles parlaient de RTT, de leur santé. Une d'entre elles a dit à une autre : « ça va ma chouchou tes problèmes de périnée ? » Je ne sais même pas ce que c'est le périnée.
– Moi non plus. Servane, jure de m'étrangler si un jour on leur ressemble, a supplié Céleste.
Céleste a eu 18,1. Elle ira en hypokhâgne. Le berger lui a caressé la croupe et la pousse désormais dans une direction. Elle sera Annie Ernaux, ou rien.
– Quand on lance des enfants dans ce monde, on leur dit méfiez-vous, faites des études de maths, regardez vos séries en VO. Pas rangez bien vos chambres. Tu nous as enseigné des principes dépassés. Celui de l'entretien, de l'humilité, merci monsieur, celui de ceux qui conservent le vieux monde, merci madame, par peur de celui qui vient. Servane se redresse, fixe sa mère avec dureté. Il fallait être poli et prier le Seigneur et aller à la fac étudier des romans, pendant que d'autres parents, informés par les pages saumon du Figaro, savaient se tailler une place au soleil des dieux.
– J'ai dû essayer toute seule, murmure-t-elle. Et regarde où j'en suis.