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Publié le 10 Mai 2023

L'arabe du futur (T.6) : Une jeunesse au Moyen-Orient (1994-2011)

On ne présente plus Riad Sattouf. Auteur de bande dessinée et réalisateur franco-syrien né à l'aube des années 80, il est notamment connu pour la série autobiographique L'Arabe du futur dont le premier tome est paru en 2014. Les premiers volumes racontent l'enfance de Riad en Lybie puis en Syrie. Le dernier de la série est paru en novembre 2022. Riad Sattouf a obtenu le Grand Prix de la ville d'Angoulême en début d'année 2023. Il est aussi l'auteur de Pascal Brutal, La vie secrète des jeunes ou encore des Cahiers d'Esther. Le fait que le dernier volume de sa série phare puisse se lire indépendamment des tomes précédents et que la thématique évolue vers sa condition d'étudiant en arts graphiques m'a décidé à parcourir les planches de ce fameux anti-héros mi-syrien mi-breton.

 

J'ai trouvé que la BD se lisait facilement, contrairement à ce à quoi je m'attendais. J'ai appris à connaître l'auteur (et son passage par Nantes que j'ignorais !). Au-delà, je n'y ai pas vraiment trouvé de thématiques politique ou sociétale. La mise en couleur m'a paru à la fois pertinente et un peu simpliste : tout en noir, blanc et bleu avec des pointes de rouge sang pour évoquer la figure du père. J'ai plutôt aimé ses personnages simples et pourtant hautement reconnaissables.

 

J'ai aimé découvrir cet adolescent (lycéen en 1994) / jeune adulte qui se cherche et finira en faisant preuve d'audace et de ténacité par trouver sa voie : devenir auteur de bande dessinée. De l'école Pivaut de Nantes à l'école Boulle de Paris, nous suivons son parcours professionnel mais aussi familial. On observe le jeune homme faire ce qu'il peut au milieu de grands-parents aimant mais déclinant et d'une mère qui cherche désespérément à faire revenir en France son dernier fils emmené en Syrie par son père. Il faudra le Printemps arabe de 2011 et la mort du père pour que les enfants soient enfin réunis. Il faudra une psychothérapie à Riad pour surmonter les traumatismes de l'enfance et nous livrer dans cette bavarde bande dessinée des confidences à la fois sérieuses et pleines d'auto-dérision.

 

L'arabe du futur (T.6) : Une jeunesse au Moyen-Orient (1994-2011)

Publié le 9 Mai 2023

Les pizzlys

Sillonnant Paris jour et nuit au volant de sa BMW à crédit, Nathan enchaîne les courses Uber pour subvenir aux besoins de ses frère et sœur, orphelins. A bout suite à un accident, Nathan accepte l'improbable proposition d'Annie, sa dernière cliente, qui lui propose de partir vivre au fin fond de l'Alaska avec Zoé et Etienne. Oscillant entre récit écologiste, aventure initiatique et conte, le tout est assez flou. Pourtant, on passe un bon moment en compagnie des protagonistes. Les couleurs intenses et fluos nous éloignent du réel tout en évoquant les aurores boréales. C'est en adéquation avec les thèmes du rêve, des croyances chamaniques et du besoin de spiritualité et de reconnexion à la nature. Jérémie Moreau nous parle à la fois de réchauffement climatique, de quête de soi, de rapport aux autres et de relations fraternels. 

- C'était quoi cet ours ? Ce pelage, j'ai jamais vu ça.
- Je crois qu'ils appellent ça un pizzly. C'est un mélange entre un ours polaire et un grizzly. Là-haut, ça fond, alors les ours polaires descendent et ils rencontrent nos ours.

Votre homme a marché sur la lune mais il ne sait plus habiter la terre.

Les pizzlys
Les pizzlys

Publié le 13 Avril 2023

Junk food : les dessous d'une addiction

Voici une bande dessinée documentaire proposant une compilation de témoignages de victimes d'addiction à la malbouffe, c'est à dire à de la nourriture de qualité médiocre, produite industriellement et concentrant notamment de fort taux de sucre et de gras. On connaît globalement les effets néfastes d'une consommation excessive de produits alimentaires industriels d'un point de vue diététique. L'obésité, le diabète, l'hypertension sont des exemples de dysfonctionnements sanitaires qui peuvent découler de la consommation de junk food. Mais plus que les compositions alimentaires industrielles ou les stratégies marketing des marques, c'est ici l'aspect addictif de ces produits alimentaires saturés en sucre et en gras que les auteurs Emilie Gleason (autrice de BD, illustratrice) et Arthur Croque (journaliste, scénariste) ont souhaité traiter. Ainsi, le lecteur se retrouve confronté à des personnages souffrant d'anorexie, de boulimie, d'obésité morbide.

 

Cela commence par l’histoire des trois groupes de rats. Celui à qui on ne donne que des saucisses et du bacon ; celui qui aura droit aux bonbons et aux sodas ; et celui qui ne sera nourri que de cheesecakes. Passée cette introduction scientifique, nous faisons la connaissance de Zazou, jeune étudiante outrée par le résultat du questionnaire de l'organisation Food addicts qu'elle vient de remplir. Elle fait la rencontre de Bambi qui tente de la convaincre d'assister à une réunion organisée par l'association (très spéciale d'ailleurs, dans le genre activisme catholique américain). D'abord réticente, Zazou finit par accepter.

 

Le graphisme burlesque et très coloré apporte du dynamisme et une certaine légèreté au récit. Les couleurs acidulées nous happent. Pour autant, le style, ébouriffant, est aussi assez vulgaire. Je comprends que les dessins distendus, la personnification de certains aliments et les déformations des personnages sont liés à leur régime alimentaire hors norme et aux corps difforment qu'ils pensent parfois avoir, mais tout cela est tout de même déstabilisant et peu à mon goût. Les bulles ne sont pas toujours bien ordonnées et les prises de paroles souvent familières. Nous ne sommes pas sur le même registre que Marion Montaigne ou Christophe Blain.

 

Le propos est intéressant mais un peu noyé par la collection de cas particuliers évoqués. De même, on peut s'interroger sur le fait que les victimes de la malbouffe auraient pu l'être de la drogue ou de l'alcool pareillement, leurs troubles du comportement alimentaire étant liés à des difficultés psychologiques. Une particularité de l'addiction à la nourriture semble tout de même être l'adéquation délicate à trouver entre l'irrépressible envie d'engloutir une grande quantité de malbouffe et le besoin de contrôle pour se conformer aux attentes des représentations sociales accrues par la mise en scène sur les réseaux sociaux.

 

De façon plus générale, le récit invite à nous interroger sur nos pratiques alimentaires. Un questionnaire pour se situer sur ce sujet est d'ailleurs bienvenu. Malheureusement, peu de clés sont données pour nous aider à infléchir nos habitudes de consommation. On aurait pu ainsi évoquer des façons de se faire gustativement plaisir sans y perdre notre santé : remplacer la pizza industrielle par la pizza faite maison, privilégier du fromage blanc citronné plutôt que des sauces industrielles, sucrer un gâteau avec de la banane plutôt que du sucre en poudre, etc. J'ai donc apprécié lire cette bande dessinée mais y appose plusieurs bémols et suis preneuse d'autres références sur ce sujet du mieux manger.

Avec ses tonnes de sucre, ses protéines fumantes et son fromage fondu, la malbouffe affole le cerveau comme le sexe ou la cigarette, provoquant plaisir, réconfort, mais aussi dépendance.

Junk food : les dessous d'une addiction
Junk food : les dessous d'une addiction

Publié le 5 Avril 2023

La couleur des choses

Voici une bande dessinée mise en lumière au dernier Festival d'Angoulême qui surprend par son originalité graphique et offre une expérience de lecture visuelle inédite. Martin Panchaud et les éditions ça et là bousculent les habitudes des lecteurs en nous racontant l'histoire de Simon, jeune adolescent anglais qui, suite à la consultation d'une voyante, mise les pauvres économies familiales lors d'une course hippique et gagne le gros lot. Il ne pourra encaisser ses gains que si l'un de ses parents signe le ticket. Entre-temps, sa mère est tombée dans le coma et son père a disparu. L'histoire est intégralement dessinée en vue plongeante, sans perspective, et tous les personnages sont représentés sous forme de cercles de couleur. Mêlant infographies, pictogrammes, plans architecturaux, esthétique de certains jeux vidéos, le roman graphique étonne et, contre toute attente au vue de la représentation des personnages, captive. Il nous propulse dans des péripéties mélodramatiques absurdes et des dialogues bien sentis, à la Tarantino. Dans une certaine mesure, les échanges entre les personnages sont vides de sens mais permettent de travailler le suspens pour mieux faire éclater la violence. L'expérience est ludique, d'autant que Martin Panchaud interpelle le lecteur, par exemple en introduisant un personnage aussi imposant que déconcertant : "Ne souriez pas, elle jouera un rôle de premier plan dans la suite de l'histoire". On note également des références à la pop culture (Star Wars par exemple). Récit d'apprentissage, road-trip, drame familial, polar, le récit de Martin Panchaud est tout cela à la fois et par-dessus tout un roman graphique à la forme novatrice, à découvrir.

La couleur des choses
La couleur des choses
La couleur des choses

Publié le 19 Octobre 2022

Goupil ou face

Des variations d'humeur, nous en connaissons tous. Mais ce dont parle Lou Lubie dans cette bande dessinée, à la fois témoignage et documentaire, ce sont des troubles de l'humeur. Autrement dit, la maladie mentale qu'est la bipolarité, anciennement désignée par le terme "maniaco-dépression". La caractéristique du trouble bipolaire est une fluctuation anormale de l'humeur oscillant entre phases de dépression et accès maniaques (état d'excitation psychique et motrice avec exaltation de l'humeur et mégalomanie). De façon accessible et avec un certain recul humoristique sur son parcours de prise en charge, Lou Lubie, atteinte d'un trouble bipolaire de type cyclothymique, nous permet de mieux cerner ce que combinent ces troubles. La difficulté à nouer des relations sociales sur la durée, à se projeter, à repérer son trouble et le faire soigner par des personnels compétents. Elle évoque les causes possibles et multiples de ce trouble : une combinaison de fragilité génétique, de facteurs environnementaux, de qualité de vie affective, de stress importants et répétés. Avec le sens de l'auto-dérision, Lou nous parle diagnostic, traitements et symptômes tels que l'instabilité émotionnelle et les crises d'angoisse. L'originalité de la narration, malgré une complicité avec le lecteur un peu forcée, c'est la personnification de la maladie en un petit renard, parfois mignon et parfois bien plus sournois, l'entraînant dans des montagnes russes émotionnelles. Cela permet d'alléger et rendre plus intelligible le propos. Les explications sont aussi ponctuées de schémas bienvenus. Le dessin au trait simple et rond se présente en bichromie orange et noir. Ce livre s'adresse aux personnes atteintes par la bipolarité mais aussi à leurs proches pour qui il est difficile de cerner la maladie. Une bande dessinée de vulgarisation scientifique pleine d'humour et de sensibilité qui peut être intéressante à lire si vous êtes touché de près ou de loin par le sujet.

On ne choisit pas ce qu'on ressent mais on choisit ce qu'on fait.

Goupil ou face
Goupil ou face

Publié le 14 Septembre 2022

Simone Veil

Depuis 1975 en France, en grande partie grâce à Simone Veil, les femmes - nos sœurs, nos mères, nos amies, nos voisines - ont le droit d'avoir recours à l'avortement ou l'interruption volontaire de grossesse (IVG). Ce droit fondamental permet d'avoir le choix et d'éventuellement renoncer à des grossesses non désirées. Aujourd'hui en France on estime que 33 % des femmes avortent au moins une fois dans leur vie. Mais des polémiques insensées autour de ce sujet existent toujours. En écho à l'actualité de santé publique américaine, j'ai ressenti la nécessité de me plonger en début d'été dans des lectures sur le droit à l'avortement. J'ai lu Les hommes aussi s'en souviennent, le discours de Simone Veil du 26 novembre 1974 suivi d'un entretien mené par la journaliste Annick Cojean en 2004 et d'un rapide historique de l'avortement, puis la bande dessinée Simone Veil : l'Immortelle qui entremêle de façon accessible son parcours adolescent pendant la Shoah et son combat politique au moment de défendre la loi pour l'IVG. J'ai adoré découvrir ces deux livres me donnant le sentiment d'enrichir mes connaissances et mes convictions de femme. J'ai également assisté en avant-première à la projection du film Simone, le voyage du siècle grâce auquel j'ai eu une vision incarnée de l'éventail de combats personnels et politiques menées par Simone Veil. Je pense notamment à son travail pour de meilleures conditions de détention des prisonniers et prisonnières. Le film n'est pas du tout construit de manière chronologique ; ce n'est donc peut-être pas évident à suivre pour les plus jeunes, mais c'est édifiant. Cela m'a donné envie de lire son autobiographie Une vie. Cette figure française, son parcours extraordinaire et exemplaire, mérite toute notre attention ; et ces lectures ne peuvent laisser les cœurs et les corps indifférents.