La décision

Publié le 21 Octobre 2014

Un roman repéré depuis longtemps :

 

La décision

 

 

La quatrième de couverture :

 

Un matin, Louise, excellente élève de terminale S, a un malaise en plein cours de maths. Quelques instants plus tard, elle accouche seule d'un enfant dont elle ne savait rien, qu'elle n'a pas attendu, encore moins désiré. Assaillie de questions, Louise, la jeune fille sans histoires, croit devenir folle. Pourtant l'évidence est là : ce bébé de 3,3 kg, son fils. Comment l'accepter ? Soutenue par sa famille, ses amies et les professionnels qui l'entourent, Louise va découvrir la vérité et réapprendre à vivre.

 

 

Mon avis :

 

Un matin, au lycée, Louise va accoucher dans les toilettes d'un petit garçon. Rien ne laissait présager cette naissance et la jeune fille est sous le choc. Elle assure ne jamais avoir eu de relations sexuelles. Après quelques jours à l'hôpital, Louise va passer plusieurs semaines dans un centre maternel. Au-delà des questionnements sur ce qui a pu se passer s'impose la réalité présente et un choix difficile à faire : garder ou non le petit Noé. En parallèle, Samuel, un ami, va tenter de garder contact avec Louise et d'éclaircir le mystère entourant ce drame.

 

Le sujet délicat du déni de grossesse abordé dans ce roman chorale est traité avec une infinie délicatesse. Isabelle Pandazopoulos fait s'exprimer avec justesse les personnages confrontés à cette naissance inattendue : les parents dépassés, les professionnels attentifs, les amis stupéfaits... et Louise elle-même, comme anesthésiée. C'est ainsi une situation pleine de reliefs que l'on découvre au fur et à mesure. Le lecteur suit, à l'instar de celui évoqué sur la couverture, un parcours qui se révèle un cheminement psychologique. L'essentiel du roman se déroule pendant le séjour de l'adolescente au centre maternel, mettant en scène des profils de jeunes filles bien différents du policé et enfantin visage de la blonde et sage violoniste Louise. C'est là qu'elle a le temps de faire connaissance avec son enfant et de gérer tant bien que mal ses nerfs à fleur de peau, jusqu'à ce qu'elle passe du déni à la fameuse décision.

 

Isabelle Pandazopoulos n'aura pas fait couler mes larmes, m'ayant plutôt permise de m'identifier aux parents ou aux éducateurs. C'est d'ailleurs là un des bémols que je mentionnerais : j'aurais aimé que l'auteur donne plus de fois la parole aux parents de l'adolescente, par exemple. De même, sans trop vouloir en dévoiler, la résolution du mystère entourant cette grossesse ne donne lieu qu'à une satisfaction en demi-teinte. Pour autant, le récit adopte un ton juste, recouvrant la violence psychologique des faits par un voile de pudeur et de finesse.

 

Hormis les multiples points de vue qui enrichissent implacablement le récit, on peut souligner que le texte se compose intelligement de passages en italique dont on ne découvre qu'à la fin seulement la provenance et le sens. Par ailleurs, j'ai trouvé l'idée bonne bien que sous-exploitée d'introduire le rapport d'intervention du Samu et les articles du Code civil au début du récit (p. 25 et p. 35). Pourquoi ne pas avoir poussé le principe jusqu'au bout en soumettant au lecteur l'extrait d'un rapport de la psychologue, par exemple ? Enfin, sans être totalement innovants, on peut noter l'originalité de passages où la syntaxe se déstructure et où le flot de pensée confuses des personnages se déverse (voir un des extraits ci-après). En tout cas, on ressent l'implication de l'auteur pour son sujet. Rien ne semble avoir été laissé au hasard : ni la référence à Jean Seberg ni le clin d'oeil à Olympe de Gouges... C'est donc un récit polyphonique poignant qui a le mérite d'aborder un sujet délicat et méconnu et qui, à défaut de nous éclairer sur le fond du sujet, nous permet de croiser les sentiments et émotions afin de ne surtout pas émettre de jugements hatifs sur les personnes impliquées dans de tels drames.

 

 

Des extraits :

 

  • "Rien ne reste aujourd’hui de l’innocence qu’on arborait ce matin-là. Comme si nous avions brusquement arraché nos masques d’enfants sages, ce n’était plus un jeu, la vie en vrai nous a sauté au visage, on est devenus grands, capables de faire des choix, des bons ou des mauvais, d’être courageux, lâches, lucides ou hypocrites, insolents ou soumis, des hommes honnêtes ou des monstres." (p. 11)

 

  • "Je me suis mouché, j'ai respiré profondément et je l'ai regardé dans les yeux.

- C'est Louise, tu sais. Elle a beaucoup saigné et on sait pas pourquoi. Alors, les docteurs ont dit qu'il fallait qu'elle reste un moment à l'hôpital pour qu'ils la soignent. Ca va aller, elle va guérir, ça va aller.

- Elle a saigné ?

- Oui.

- Et les docteurs, ils la soignent ?

- Oui, c'est ça. Et après ça va aller.

- Je peux aller la voir ?

- Non, mon bibou, pas tout de suite. Mais elle va revenir vite. Et si tu veux, tu lui fais un dessin et je lui apporte demain.

Il a marqué un temps.

- Elle a saigné du nez ?

Ma gorge s'est à nouveau serrée.

- Oui, je crois.

- Beaucoup.

- Oui.

- Je vais lui faire un dessin.

- C'est ça, mon bibou, fais-lui un dessin, mais d'abord on va manger et puis après tu dessines et après je te lis une histoire et puis tu vas dormir, d'accord ?" (pp. 39-40)

 

  • "Je me suis garé sur le parking de l'hôpital avec ce petit quart d'heure d'avance que je m'octroie toujours pour aller boire un petit noir au troquet d'en face. Le patron me voit traverser la rue et, quand j'entre, mon café est déjà sur le comptoir. Ce sont de petites attentions qui m'enchantent... C'est à ce moment-là que je quitte la peau de Stefano pour devenir le professeur Conti. J'ai fait le point sur la journée qui m'attendait et le week-end aussi puisque j'étais de garde jusqu'au dimanche matin. Quatre accouchements programmés, dont un assez compliqué, une césarienne à cause de deux énormes fibromes, je ne sais pas trop ce que je vais découvrir, il faudra que je passe aussi revoir le prématuré, et surtout s'occuper du déni, mobiliser l'équipe, je sens que ça va pas être simple, ça met toujours tout le monde en vrac, ce genre d'histoire, et trois jours ou presque, c'est si court pour prendre des décisions quand on a rien vu venir pendant neuf mois..." (p. 49)

 

  • "... je n'ai rien à leur dire rien à leur dire rien un paquet de mensonges assis sur un lit d'hôpital un paquet sale dégoûtant répugnant paquet de honte cachotteries même pas juste un paquet qui ne pense pas ne veut pas ne suis pas triste ne souffre pas ne suis plus [...]." (p.81)

 

  • "Je me suis fait couper les cheveux. Court. Très court. Il ne me reste que quelques centimètres sur le crâne. Pas plus de cinq ou six. [...] J'ai cherché dans les yeux du coiffeur de quoi me rassurer. [...] Il s'est tourné vers sa patronne.

- Tu trouves pas que ça lui donne un air de Jean Seberg ?

- Connais pas...

 - Mais si... dans le film de Godard, avec Belmondo... C'est comment déjà ?

Ca n'avait pas l'air d'intéresser la dame plus que ça.

- A bout de souffle ! Vous connaissez ?

Non, je ne connaissais pas.

- ... mais j'aime bien le titre." (pp. 173-174)

 

  • "J'ai pas posé de questions. Je l'ai prise dans mes bras. Je sais de quoi elle parle. Je me dis que si elle me l'a dit à moi, c'est qu'elle l'avait senti. Parce que ça marque le corps, la façon dont on parle, et pourquoi on rêve plus. Y a pas de mots pour décrire le sentiment que ça fait." (p. 191)

 

 

Pandazopoulos, Isabelle.

La décision

Ed. Gallimard jeunesse

Coll. Scripto

2013/245 p.

 

Rédigé par Nota Bene

Publié dans #Je lis

Partager cet article

Commenter cet article