La vie en confettis
Publié le 10 Mars 2020
Comment ne pas rester les mains suspendues quelques secondes au-dessus du clavier avant de commencer la critique du premier roman d'Hélène Vergé ? J'espère être à la hauteur du plaisir que j'ai eu à le lire. Le premier roman d'Hélène Vergé, l'une des révélation du podcast Primo de Robert Laffont et Nouvelles écoutes, c'est un mélange de la folie inventive d'un Boris Vian ou d'un Mathias Malzieu, de l'humour d'une Louise Rennison (j'ai été fan de son héroïne Georgia Nicolson, à une époque) et de la fantaisie mélancolique d'un Olivier Bourdeau ! La vie en confettis c'est un roman qui brille de ses paillettes d'inventions littéraires saupoudrées au fil des pages. C'est l'histoire crépitante d'une enfant qui devient adolescente. C'est l'histoire de Valentine, fille de ses deux volatiles de parents.
Ça m'a frappée comme une évidence : mes parents, c'était un couple d'oiseaux des îles, un peu tarés mais sympas. C'était deux inséparables, un pingouin tombé amoureux d'un rouge-gorge.
C'est l'histoire d'une jeune fille qui va devoir composer avec l'arrivée tardive d'un petit frère et d'une famille qui va devoir faire de même avec ses secrets. Avant d'aller plus loin, il faut que je vous dise : quand les mots d'un auteur s'apparentent à des bonbons "𝒓𝒆𝒎𝒑𝒍𝒊𝒔 𝒅𝒆 𝒑𝒐𝒖𝒅𝒓𝒆 𝒅𝒆 𝒄𝒊𝒕𝒓𝒐𝒏 𝒆𝒕 𝒄𝒓𝒊𝒔𝒕𝒂𝒖𝒙 𝒅𝒆 𝒔𝒖𝒄𝒓𝒆 𝒒𝒖𝒊 𝒄𝒓𝒆́𝒑𝒊𝒕𝒆𝒏𝒕 𝒆𝒕 𝒇𝒓𝒐𝒖𝒇𝒓𝒐𝒖𝒕𝒆𝒏𝒕 𝒅𝒂𝒏𝒔 𝒍𝒂 𝒃𝒐𝒖𝒄𝒉𝒆" j'ai ma vocation de carnettiste de citations qui se réveille. Je prends note, je post-it, je prends en photo, je gribouille, peu importe : ce qui est essentiel mais néanmoins voué à l'échec est ne pas louper une goutte de ce nectar littéraire. Alors voilà, je vous demande par avance de pardonner ma boulimie de citations. À ma décharge, elles sont pour moi le gage d'un véritable cღup de cღeur. Avec Hélène Vergé, j'ai été transporté. J'ai découvert qu'on pouvait attraper un coucher de soleil, qu'on pouvait énormir, glouglouter, boire ses inquiètudes, écouter un silence mal raconté, qu'un garçon pouvait nous émoustimouiller.
Au-delà des absurdités poétiques du langage de Valentine, elle n'en reste pas moins une jeune fille qui va traverser un épisode doux-amer de sa vie. En effet, fille unique depuis une bonne décennie, elle se plaît dans sa relation plutôt fusionnelle avec ses parents. Un beau jour, elle est étonnée d'apprendre qu'un locataire a élu domicile dans le ventre de sa mère. Elle est loin d'en être ravie et réagit comme si elle avait 3 ans : en faisant sa mauvaise tête et son bébé. Quelques mois plus tard, trop tôt, naît Pierre, trop frêle. La vague de bonheur qui submergeait ses parents quelques semaines plus tôt s'est étiolée sur une plage de silence : son père n'a jamais été si préoccupé et sa mère si triste. Pierre reste de longs jours à l'hôpital. Cette naissance réveille un drame qui rend sa mère folle de chagrin. Valentine souhaite alors rétablir la situation. Mais pour cela, est-elle prête à commettre l'irréparable ? Entre l'ambiance dépressive qui règne chez elle et les histoires de cœur à gérer au collège, elle trouvera parfois quelques bouffées d'air frais en compagnie du gardien de son immeuble. Finalement, armée de sa gouaille et de sa combative naïveté, elle va réussir à briser le silence de ses parents et le sien pour restaurer l'équilibre familial. Bien que le lecteur puisse deviner avant Valentine ce qui s'est passé pour ses parents une dizaine d'années plus tôt, j'ai adoré l'histoire et le récit des événements fait par Valentine. Son langage est moderne et familier comme le serait celui d'une ado d'aujourd'hui mais si bien mâtiné de loufoquerie qu'il marque tout le récit de sa singularité. Des arcs-en-ciel transparaissent dans chaque expression utilisée pour le plus grand bonheur du lecteur qui se plaît à imaginer les cheveux roses de la maman et la barbe sauvageonne du papa. Valentine grandit et passe du statut de fille unique à grande sœur soudain responsable de plus que sa propre vie puis à jeune fille en fleurs, se laissant goûter par un finalement charmant garçon. Mais chuuut, ne pas trop en dire pour ne pas vous gâcher le plaisir. En tout cas, le récit n'est pas si anodin qu'il y paraît et les ressorts psychologiques des personnages sont travaillés comme de la dentelle. Hélène Vergé réussi le tour de force de nous faire rire au fil d'une histoire pourtant dramatique. Entre grands et petits maux, parlé d'adolescente et poésie, larmes et sourires, cette lecture revigorante nous vrille les yeux et le cœur.
Si je vous raconte ma life, tous mes trésors et tous mes bleus, qu'est-ce qu'il me restera à l'intérieur après ? Comment est-ce que je pourrais supporter si une fois mon histoire finie, vous partez vous décongeler une portion d'épinards en pensant "C'est bien gentil tout ça mais j'ai la dalle" ?
𝒞𝒽è𝓇𝑒 𝒱𝒶𝓁𝑒𝓃𝓉𝒾𝓃𝑒, 𝒸𝒽è𝓇𝑒 𝐻é𝓁è𝓃𝑒,
Je n'ai pas eu envie de manger des épinards une fois votre livre refermé. J'ai plutôt eu envie de posséder le pouvoir de remonter le temps afin de reprendre ma lecture et goûter à vos mots comme si c'était la première fois. Ils ont une poésie qui n'a d'égale que leur drôlerie. Et maintenant que plusieurs jours sont passés, voici ce dont j'ai envie : qu'on puisse bientôt voir votre préfixe de primo-romancière s'envoler.
Bien à vous,
𝒞𝒽𝒶𝓇𝓁𝑜𝓉𝓉𝑒
Et maintenant, place à quelques citations :
Dieu a créé le changement des saisons et la météo pourrave juste pour donner de la conversation à ceux qui en manquent, histoire de glisser un alizé dans leur silence.
[...] on aurait dit deux gouttes de lune, ou deux petites fleurs rouges, enfin qu'est-ce que vous voulez que je vous dise : elle avait les plus beaux nichons du monde.
Elle avait passé la journée au parc. Le temps était merveilleux, et elle avait attrapé un ravissant coucher de soleil sur le buste qui lui rosissait la racine des seins.
Valentine, le jour où tu rêveras de prendre un petit bain de sommeil après le déjeuner et que ce sera impossible, tu seras devenue une adulte, a déclaré mon père d'un ton très solennel [...].
[...] au beau milieu de la nuit, elle a ouvert la porte très doucement pour me regarder dormir. Moi bien sûr, j'ai fait semblant de ne pas la voir. J'ai fermé les yeux hyper fort, et j'ai pris la frimousse la plus mignonne possible pour que ma rem se dise que sa fille était vraiment adorable le jour, mais aussi dans le noir. Fallait la laisser croire que je dormais à paupières serrées, elle aurait le sommeil plus facile comme ça, et elle avait tellement besoin de faire ses nuits.
- Qu'est-ce qu'il y a, maman ?
- Rien
Elle détourne le visage. Pourtant dans ce rien on sentait bien qu'il y avait quelque chose, peut-être même quelqu'un, dans ce rien qui me perçait le cœur, et le faisait si bien, ce rien aux allures d'enfance, ce petit rien , le sien.
Trésor de petite maman qui me fait croire en Dieu, car moi je vous le dis il y a du génie en elle... petite maman trésor des mondes, tes paupières mes papillons sentent le vague à l'âme...
Maman , qu'est-ce que c'est que ce rien, ce tout petit rien qui te fait tourner la tête ? Dis, maman, c'est bien vrai qu'un enfant un beau jour, il vous met le cœur en cendres ? Dis, maman, quoi, tu pleures encore plus fort, ça glougloute, tu me fais signe de partir, c'est encore ce rien ? C'est ce petit rien de six lettres qui me prend toute ma mère ? Dis, maman, un jour tu le laisseras sur le bord de la route ce nouvel amant qui te fait des marécages sous les cils, et les yeux couleur tisane d'argent ?
Pour une fois dans ma vie, on ne m'avait pas menti. J'avais capté la féerie. Avec le petit Méchouis, j'ai réalisé, les fins fonds de mon ventre pouvaient être une niche à diamants. De tous ses bras Edwin m'a enveloppée comme un nuage. À nouveau mes sexybulles ont ruisselé de perles, et Edwin, l'a lapé toutes mes perles comme si dans chacune d'elles il y avait un monde à sauver.
Comme moi, j'crois qu'il n'en revenait pas, il avait la bouche rose planète.
Ma rem n'a pas du tout eu la réaction que j'attendais. Elle m'a prise dans ses bras sans dire un mot, et elle a truffé son nez dans mon cou. Sa peau, ce glaçage de fleurs, tout un monde langoureux somnolait en dessous. En un instant, mon chagrin a fraîchi. Ma mère avait vraiment quelque chose, ça lui venait sûrement des roses.