S'adapter

Publié le 7 Février 2022

S'adapter

Voici ma critique du dernier Goncourt des lycéens en date. Il ne m'attirait pas trop au premier abord mais s'est finalement avéré être une agréable lecture. En ouvrant ce livre, on découvre 𝑢𝑛𝑒 𝑐𝑜𝑛𝑠𝑡𝑟𝑢𝑐𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑒𝑛 𝑡𝑟𝑜𝑖𝑠 𝑝𝑎𝑟𝑡𝑖𝑒𝑠 qui se concentre tour à tour sur chacun des frères et sœur d'un enfant handicapé. Le lecteur ne connaît pas leur prénom. Ils sont simplement identifiés par leur rang dans la fratrie : l'aîné, la cadette et "le dernier" né après la mort du frère "inadapté". Le troisième enfant de la famille paraît à sa naissance tout à fait normal. Au fil des semaines, on se rend pourtant compte que ses yeux ne voient pas et qu'il habite un corps mou, figé et déroutant. On lui prédit une espérance de vie de quelques années. Il (sur)vivra jusqu'à l'âge de 10 ans. 𝐶𝑒𝑠 𝑓𝑎𝑖𝑡𝑠 𝑑𝑒 𝑓𝑖𝑐𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑒𝑛 𝑝𝑎𝑟𝑡𝑖𝑒 𝑎𝑢𝑡𝑜𝑏𝑖𝑜𝑔𝑟𝑎𝑝𝘩𝑖𝑞𝑢𝑒𝑠 relatent différentes manières de réagir à l'arrivée d'un enfant différent au sein d'une famille et 𝑙𝑒𝑠 𝑓𝑎𝑐̧𝑜𝑛𝑠 𝑑𝑒 𝑣𝑖𝑣𝑟𝑒 𝑒𝑡 𝑟𝑒́𝑖𝑛𝑣𝑒𝑛𝑡𝑒𝑟 𝑠𝑒𝑠 𝑟𝑎𝑝𝑝𝑜𝑟𝑡𝑠 𝑎𝑢𝑥 𝑎𝑢𝑡𝑟𝑒𝑠 𝑒𝑛 𝑓𝑜𝑛𝑐𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑑𝑒 𝑠𝑎 𝑝𝑙𝑎𝑐𝑒 𝑑𝑎𝑛𝑠 𝑢𝑛𝑒 𝑓𝑟𝑎𝑡𝑟𝑖𝑒. Cela dit aussi en filigrane la façon dont des frères et sœurs peuvent veiller les uns sur les autres et la façon dont des enfants veillent sur leurs parents, qui veillent eux-mêmes sur leurs enfants. En somme, ce que peut être le soutien et l'amour familial. Le personnage de la distrayante et soutenante grand-mère est à ce titre également révélateur. La romancière traite évidemment aussi du 𝑟𝑒𝑔𝑎𝑟𝑑 𝑝𝑜𝑟𝑡𝑒́ 𝑠𝑢𝑟 𝑙𝑒 𝘩𝑎𝑛𝑑𝑖𝑐𝑎𝑝, des lourdeurs administratives en vue de sa prise en charge et du déficit d'inclusion des personnes inadaptées. Le récit propose 𝑢𝑛𝑒 𝑝𝑟𝑜𝑠𝑒 𝑝𝑜𝑒́𝑡𝑖𝑞𝑢𝑒 𝑒𝑡 𝑜𝑟𝑖𝑔𝑖𝑛𝑎𝑙𝑒 𝑒𝑡 𝑢𝑛 𝑛𝑎𝑟𝑟𝑎𝑡𝑒𝑢𝑟 𝑒́𝑡𝑜𝑛𝑛𝑎𝑛𝑡. Clara Dupont-Monod fait en effet parler les murs. Plus exactement, les pierres qui composent les murs de la maison familiale, comme des témoins inaltérables du cours de la vie. Le rapport à la nature à une place prépondérante dans le récit : le fil des saisons, l'enclavement montagneux, les sonorités du cours d'eau, la fragilité et l'endurance de la faune et de la flore. La langue est à la fois travaillée et fluide, le propos touchant sans être larmoyant. D’abord un peu éloignée des émotions ressenties par le fils aîné, fusionnel, protecteur et perdant en sociabilité, j'ai ensuite été davantage touchée par la cadette, dégoûtée par ce frère inadapté qui désarment les membres de sa famille et ayant envie de crier à l'injustice.

 

Un livre lumineux, sans leçon de morale, qui gagne à être court. Sur la thématique du handicap mais surtout bien au-delà, sur les liens familiaux et la façon dont un drame, quel qu'il soit, peut influer sur des caractères et des destins.

 

Les parents jetèrent un dernier regard à ce qu'était leur existence. Désormais tout ce qu'ils s'apprêtaient à vivre les ferait souffrir, et tout ce qu'ils avaient vécu avant aussi, tant la nostalgie de l'insouciance peut rendre fou.

C'est pourquoi il cessa complètement de lire et se concentra sur les sciences. Les sciences, au moins, ne faisaient pas mal. Elles ne lançaient aucune passerelle vers la mémoire, ne cherchaient pas les sentiments. Les sciences étaient comme la montagne, posées là que cela plaise ou non, insensibles aux chagrins. Elles détenaient la justesse. Elles dictaient leur loi, c'était juste ou c'était faux, c'était calme ou c'était l'orage.

Mais peut-être, se dit-il, que c'est la leçon qu'elle a retenue en le regardant vivre, lui, l'aîné. Après tout c'est son rôle, marcher en éclaireur. Montrer ce qu'il ne faut pas faire.

Il aime voir des petits bâtir la même mémoire que la sienne. Il leur interdit d'aller près du moulin, répare un tricycle, exige les brassards au bord de l'eau. Il ne peut aimer que dans l'inquiétude. Il est l'aîné pour toujours.

Pour mon enfant, je me sentais prête à faire des efforts, comme nos parents l'ont fait. À partir de là, peu importe que je réussisse ou non. L'essentiel était ailleurs, dans cette exigence que j'ai accepté de m'imposer, et qui fonde une amitié, un amour, un lien.

Il fabriquait des mots. Le berger devenait un moutonnier, lui-même se disait rêviste, il existait une couleur blose (rose aux reflets bleutés), la conjugaison comptait un futur intérieur.

Un blessé, une frondeuse, un inadapté et un sorcier. Joli travail.

Rédigé par Nota Bene

Publié dans #Je lis

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