Ce qu'il faut de nuit
Publié le 14 Mars 2022
Voici un premier roman paru lors de la rentrée littéraire d'août 2020 et qui faisait partie de ma pile à lire. Encouragée par deux retours positifs de collègues enseignants, j'ai lu ce court récit le temps d'un mercredi en appréciant toute sa justesse, sa délicatesse et ses péripéties dramatiques. Le roman s'ouvre sur un match de football, rituel du dimanche, passe-temps partagé qui permettra de maintenir le lien entre un père et son fils jusqu'au bout malgré les épreuves traversées. Pourtant, cette description est annonciatrice de la suite du récit : le père est spectateur d'un match qui semble se jouer sans lui. Laurent Petitmangin nous raconte l'histoire d'un père, veuf, qui croule sous la charge éducative de ses deux fils bientôt adultes. Ce père, le narrateur, nous raconte avec des phrases courtes, sobres, ponctuées de vocabulaire populaire ou régional, plusieurs années de vie. Le récit s'installe progressivement, en toute fluidité. Le père est technicien à la SNCF et militant au parti socialiste. Frédéric, surnommé Fus, le fils aîné, se rapproche petit à petit d'un groupuscule d'extrême-droite. Le père et le fils ne se comprennent plus et ne se parlent plus que le minimum, attendant avec impatience chaque week-end le retour du cadet étudiant à Paris. On sent arriver la catastrophe, inéluctablement, alors que père et fils continuent pourtant, sans se le dire, de s'aimer. C'est une histoire de famille, de convictions, de choix et de sentiments ébranlés. Une des grandes forces du roman est de ne jamais donner de leçon, de ne pas glisser dans le pathos non plus. Ce père pétri d'amour et de honte est délicatement raconté et pleinement touchant. Des personnages satellites tiennent également des places importantes, en plus du frère cadet Gillou : la "moman" régulièrement convoquée, Jérémy, proche ami de la fratrie, Jacky, proche ami du père. Peut-on pardonner à son enfant lorsqu'il s'éloigne des valeurs qu'on lui a transmises, lorsqu'il commet un acte terrible ? Comment faire la part des choses entre ses idéaux et ses sentiments ? Ce sont des questions pour lesquelles Laurent Petitmangin n'apporte pas de réponses toutes faites mais tout un nuancier de sentiments et de circonstances. C'est une lecture prenante, dont l'émotion monte crescendo jusqu'au propos tenus par Fus à la fin du récit. Je ne regrette pas de m'y être plongée. Elle en appelle une deuxième : le second roman de Laurent Petitmangin, Ainsi Berlin, est paru en octobre dernier.
Je ne m'énerve jamais, je ne gueule jamais comme les autres, j'attends juste que le match se termine.
Ils étaient beaux mes deux fils, assis à cette table de camping, Fus déjà grand et sec, Gillou encore rond, une bonne bouille qui prenait son temps pour grandir. Ils étaient assis dos à la Moselle, et j'avais sous mes yeux la plus belle vue du monde.
Août, c'est le meilleur mois de notre coin. La saison des mirabelles. La lumière vers les cinq heures de l'après-midi est la plus belle qu'on peut voir de toute l'année. Dorée, puissante, sucrée et pourtant pleine de fraîcheur.