Zizi Cabane

Publié le 13 Octobre 2022

 

Zizi Cabane

Voici ma première lecture de cette rentrée littéraire 2022 et le dernier roman en date de Bérengère Cournut, qui est arrivé à point et pour mon plus grand plaisir après mes récentes lectures de De pierre et d'os et Élise sur les chemins. Elle publie, aux éditions Le Tripode, un récit de nouveau difficilement catégorisable mais où l'on retrouve ses ingrédients fétiches : le regard d'une enfant, les thèmes de la famille, de la disparition et de la métamorphose, l'importance des paysages et des éléments naturels. On y décèle des clins d'œil, par exemple à Élise sur les chemins quand Béguin est largué par Elvire et traitée 𝑑'𝑎𝑛𝑔𝑢𝑖𝑙𝑙𝑒. De son écriture singulière, Bérengère Cournut revivifie la nature du conte en mêlant prose et poésie, à la frontière du réel. C'est ce que j'aime chez elle : qu'elle m'embarque dès les premières lignes avec symbolisme dans les voyages géographiques et intérieurs de ses personnages.

 

Dans ce dernier récit, nous sommes à l'ouest, 𝑙𝑎̀ 𝑜𝑢̀ 𝑙𝑒 𝑠𝑜𝑙𝑒𝑖𝑙 𝑏𝑟𝑖𝑙𝑙𝑒 𝑝𝑙𝑢𝑠 𝑙𝑜𝑛𝑔𝑡𝑒𝑚𝑝𝑠, en compagnie de Zizi. Ses frères et elle se sont levés un matin et ont constaté que leur maman 𝑛'𝑒́𝑡𝑎𝑖𝑡 𝑝𝑙𝑢𝑠 𝑙𝑎̀. Odile, disparue aux yeux de Zizi, morte aux yeux du lecteur, laisse derrière elle son mari Ferment et leurs trois enfants Béguin, Chiffon et Zizi Cabane. Ils doivent absorber - et je choisis ce mot à dessein - l'absence d'Odile et trouver un nouvel équilibre de vie avec l'aide de Tante Jeanne qui les rejoint. Mais des phénomènes étranges les déstabilisent encore : une source apparaît dans le sous-sol de la maison, un drôle de vent se lève, un faux grand-père surgi de nulle part. Le lecteur devine l'incarnation aqueuse d'Odile à travers ses prises de parole poétiques formalisées par l'italique. Parfois, le temps d'un échange épistolaire, d'autres personnages prennent en charge la narration, nous permettant de prendre la mesure de l'imprégnation quotidienne des souvenirs liés à Odile et son absence. Ferment dit notamment : 𝐽'𝑎𝑣𝑎𝑖𝑠 𝑢𝑛𝑒 𝑓𝑒𝑚𝑚𝑒, 𝑒𝑙𝑙𝑒 𝑎 𝑑𝑖𝑠𝑝𝑎𝑟𝑢, 𝑠𝑎𝑛𝑠 𝑙𝑎𝑖𝑠𝑠𝑒𝑟 𝑑𝑒 𝑡𝑟𝑎𝑐𝑒𝑠. 𝑂𝑢 𝑝𝑙𝑢𝑡𝑜̂𝑡 : 𝑠𝑎𝑛𝑠 𝑙𝑎𝑖𝑠𝑠𝑒𝑟 𝑑𝑒 𝑡𝑟𝑎𝑐𝑒𝑠 𝑑𝑒 𝑠𝑎 𝑚𝑜𝑟𝑡, 𝑝𝑎𝑟𝑐𝑒 𝑞𝑢𝑒 𝑙𝑒𝑠 𝑡𝑟𝑎𝑐𝑒𝑠 𝑑𝑒 𝑠𝑎 𝑣𝑖𝑒, 𝑙𝑒𝑠 𝑛𝑜̂𝑡𝑟𝑒𝑠 𝑒𝑛 𝑠𝑜𝑛𝑡 𝑟𝑒𝑚𝑝𝑙𝑖𝑒𝑠. 𝐶𝑒 𝑠𝑜𝑛𝑡 𝑙𝑒𝑠 𝑟𝑒́𝑣𝑜𝑙𝑡𝑒𝑠 𝑑𝑒 𝐵𝑒́𝑔𝑢𝑖𝑛, 𝑙𝑒𝑠 𝑜𝑏𝑠𝑒𝑠𝑠𝑖𝑜𝑛𝑠 𝑑𝑒 𝐶𝘩𝑖𝑓𝑓𝑜𝑛, 𝑙𝑒𝑠 𝑟𝑖𝑟𝑒𝑠 𝑒𝑡 𝑙𝑒𝑠 𝑐𝘩𝑎𝑔𝑟𝑖𝑛𝑠 𝑑𝑒 𝑍𝑖𝑧𝑖... 𝐿𝑒𝑢𝑟 𝑚𝑒̀𝑟𝑒 𝑒𝑠𝑡 𝑝𝑎𝑟𝑡𝑖𝑒 𝑡𝑜𝑢𝑡 𝑒𝑛 𝑟𝑒𝑠𝑡𝑎𝑛𝑡 𝑎𝑣𝑒𝑐 𝑒𝑢𝑥 ; 𝑒𝑡 𝑚𝑜𝑖, 𝑗𝑒 𝑛𝑒 𝑝𝑒𝑢𝑥 𝑝𝑙𝑢𝑠 𝑒̂𝑡𝑟𝑒 𝑢𝑛 𝑒́𝑡𝑒𝑟𝑛𝑒𝑙 𝑡𝑜𝑢𝑟𝑚𝑒𝑛𝑡.

 

Les saisons et les années se succèdent et accompagnent comme avec sollicitude la détresse des protagonistes : la folie désemparée du père, le courage et la douceur des frères, les questionnements de Zizi. Son surnom, dont l'explication nous est donnée rapidement, est déroutant mais aussi d'une joyeuse et puissante féminité. Il fait écho à la transformation du foyer familial opérante dans le roman. Comme dans les précédents récits de Bérengère Cournut, j'ai adoré faire sonner et décrypter les prénoms des personnages, fortement originaux et symboliquement chargés. Le prénom officiel de Zizi est révélée au lecteur à la fin du récit. Il fait référence, comme un écho, à une pierre précieuse et à l'idée de protection. Bien que j'émette une réserve sur la péripétie tragique concernant Zizi vers la fin du récit, qui dramatise le destin d'une famille inutilement et d'une façon moyennement crédible, j'ai adoré savourer la note stylistique - sucrée comme la magie de l'enfance - de l'écriture de Bérengère Cournut. En somme, elle nous dit en souriant, avec douceur, la douleur du deuil au sein d'une famille : une histoire 𝑑𝑒 𝑣𝑒𝑖𝑛𝑒𝑠 𝑒𝑡 𝑑𝑒 𝑐𝘩𝑎𝑔𝑟𝑖𝑛𝑠 𝑞𝑢'𝑜𝑛 𝑚𝑒̂𝑙𝑒, 𝑑𝑒 𝑛𝑎𝑝𝑝𝑒𝑠, 𝑑𝑒 𝑚𝑎𝑟𝑒𝑠 𝑒𝑡 𝑑𝑒 𝑠𝑒𝑙𝑠, 𝑑𝑒 𝑐𝘩𝑎𝑟𝑏𝑜𝑛 𝑎𝑢𝑠𝑠𝑖, 𝑑'𝑒𝑎𝑢𝑥 𝑝𝑟𝑜𝑓𝑜𝑛𝑑𝑒𝑠 𝑒𝑡 𝑑𝑒 𝑔𝑒𝑚𝑚𝑒𝑠.

 

 

Je m'appelais Odile, j'étais jeune
j'aimais rire et pleurer en même temps
J'avais parfois peur de la vie
et beaucoup, beaucoup d'envie

Puis il y a eu ce jour où je suis partie
Ce n'était pas volontaire
c'est venu comme un truc qui sort de terre

Plongée dans les pensées d'Odile la disparue

Pour moi, qui suis arrivée cinq ans plus tard, tout le monde avait retenu la leçon : pas de prénom auquel on ferait semblant de croire. Mon père et ma mère m'ont ramenée à la maison en m'appelant "bébé", puis ils ont attendu que ça vienne. En vérité, ça n'a pas tardé : au premier bain dans le lavabo de faïence, à hauteur d'yeux de Chiffon, mon frère a demandé : "Pourquoi il est cassé, le zizi de ma soeur ?" Maman est entrée en fureur. "Mais enfin, il n'est pas cassé ! Qu'est-ce que tu imagines, espèce d'enfant aveugle ?" Mon frère a dit : "Si, regarde, il est cassé... Il n'y a rien à tirer." Mon père a ri, Odile a pris le temps d'expliquer : "Alors les garçons. Vous avez, c'est vrai, un zizi qui peut viser, se dresser et s'affaisser dans un frisson...

Suite ci-après...

Pour vous flatter, appelons-le zizi totem. Mais les filles, voyez-vous, ont un zizi, elles aussi. Un zizi plus mystérieux... caché là, dans un pli, et que vous comprendrez un jour autrement qu'avec vos yeux. D'accord ?" Béguin ricanait un peu, mais Chiffon a dit d'un ton blasé : "Un zizi cabane, quoi..." Personne n'aurait trouvé mieux : ni plus vrai, ni plus joyeux. C'est ainsi que je suis devenue la première, la seule, la vraie : Zizi Cabane.

Avoir un zizi totem ou un zizi cabane

Ils sont maigres, ils ont des boutons, ils sentent la cigarette. Quand ils rigolent, assis sur le dossier des bancs publics, on dirait des vautours un peu niais.

Portrait d'adolescents

Quand il rit, ses pommettes remontent comme celles du Père Noël. A part ça, il est plutôt habillé en bleu.

Portrait de Marcel

Si je n'étais pas déjà liquide, je t'assure que mes enfants me chavireraient. Prends bien soin d'eux, Ferment. Moi, je vous attends.

Amour maternel

Oh, oh ! Je ne pleure pas, esquive-t-elle en souriant. J'arrose simplement les pensées que j'ai mises en terre récemment...

Cultiver son deuil

J'ai des enfants - je me souviens - J'ai un mari - je me souviens - Tous ont un jour ou l'autre dormi contre mon sein Et je sais désormais par quel moyen prolonger notre lien

Odile se souvient

Jeanne dit qu'il était malade et qu'il ne m'en a pas parlé pour ne pas m'inquiéter. C'est vraiment prendre les enfants pour des billes... Je le savais bien, qu'il était malade ! Ce n'est pas une raison pour mourir.

Zizi s'emporte

 

 

Voici deux épisodes de podcast consacrés à Zizi Cabane à écouter avant ou après votre lecture. On y parle de paysages, de maison, de disparition, de cultures animistes, d'eau qui ruisselle, de poésie et de fiction.

 

 

Zizi Cabane

Rédigé par Nota Bene

Publié dans #Je lis, #Je lis un peu de poésie

Partager cet article

Commenter cet article