Les années
Publié le 11 Décembre 2022
J'ai poursuivi sur ma lancée de lecture de l'œuvre d'Annie Ernaux en ouvrant Les années. Celles qu'elle évoque ici sont celles qui se sont écoulées de la fin de la deuxième guerre mondiale au début des années 2000. A partir de douze photographies personnelles (décrites mais pas reproduites dans le livre), Annie Ernaux saisit le passage du temps en évoquant les modifications de son corps, de son désir, de sa perception du passé ou de l'avenir mais aussi le changement plus ou moins important des habitudes, des idées et des croyances dans la société. De nombreux événements de l'Histoire se mêlent aux éléments autobiographiques, tels que les révoltes de Mai 68 ou l'élection présidentielle de 1981. Entre autobiographie et récit impersonnel, qui évite donc tout autocentrisme, Annie Ernaux travaille sur la mémoire et nous montre sans jugement les folles transformations d'une époque, des repas de famille de l'après-guerre ponctués des souvenirs de la Résistance au temps des "Assedic [...], séries américaines et jeux vidéos".
[La télé] fournissait des informations médicales, historiques, géographiques, animalières, etc. le savoir commun s’élargissait, un savoir heureux et sans conséquence dont, à la différence de l’école, on n’avait pas à rendre compte ailleurs que dans la conversation, précédé de ils ont dit ou ils ont montré à la télé, à prendre au choix comme une marque de distance vis-à-vis de la source ou une preuve de vérité.
Le progrès était dans l’horizon des existences. Il signifiait le bien-être, la santé des enfants, le savoir, tout ce qui tournait le dos aux choses noires de la campagne et à la guerre. Il était dans le plastique et le Formica, les antibiotiques et les indemnités de la sécurité sociale, l’eau courante sur l’évier et le tout-à-l'égout, les colonies de vacances, la continuation des études et l’atome. Il faut être de son temps, disait-on à l’envie, comme une preuve d’intelligence et d’ouverture d’esprit.
Entre la fin de la peur d’être enceinte et celle de devenir séropositive, on trouvait que le délai de tranquillité avait été court.
Il valait mieux vivre sans rien attendre sous la gauche que s’énerver continuellement sous la droite.
Tout s'effacera en une seconde. Le dictionnaire accumulé du berceau au dernier lit s'éliminera. Ce sera le silence et aucun mot pour le dire. De la bouche ouverte il ne sortira rien. Ni je ni moi. La langue continuera à mettre en mots le monde. Dans les conversations autour d'une table de fête on ne sera qu'un prénom, de plus en plus sans visage, jusqu'à disparaître dans la masse anonyme d'une lointaine génération.