Quelqu'un m'attend derrière la neige
Publié le 5 Décembre 2022
C'est d'abord l'histoire d'une hirondelle, qui s'appelle 𝒢𝓁𝑜𝓇𝒾𝒶. La veille de 𝒩𝑜𝑒̈𝓁, elle a en tête, sans bien savoir pourquoi, de quitter les ciels africains et d'aller vers le nord et le froid, quand toutes ses semblables partent à l'opposé. C'est aussi l'histoire d'un homme, ℱ𝓇𝑒𝒹𝒹𝓎 𝒹'𝒜𝓃𝑔𝑒𝓁𝑜. Ce chauffeur-livreur esseulé roule sur les routes de France dans son camion frigorifique jaune depuis Gènes pour livrer sa cargaison de crèmes glacées en Angleterre. C'est surtout l'histoire d'un troisième personnage dont il n'est pas question tout de suite et dont je dois taire l'identité pour garder intact le plaisir de la découverte. Gloria, 𝓅𝑒𝓉𝒾𝓉𝑒 𝒶𝓇𝒷𝒶𝓁𝑒̀𝓉𝑒 𝓃𝑜𝒾𝓇𝑒 𝒶𝓊 𝓋𝑒𝓃𝓉𝓇𝑒 𝒷𝓁𝒶𝓃𝒸, est celle qui fait le lien entre les solitudes et les continents. 𝒬𝓊𝑒𝓁𝓆𝓊'𝓊𝓃 𝓂'𝒶𝓉𝓉𝑒𝓃𝒹 𝒹𝑒𝓇𝓇𝒾𝑒̀𝓇𝑒 𝓁𝒶 𝓃𝑒𝒾𝑔𝑒 répète en elle une petite voix. Passées les premières pages un peu opaques, avec ces histoires d'hirondelles qui ne savent pas pourquoi elles migrent et qui jugent les humains 𝑒𝓃𝑔𝓁𝓊𝑒́𝓈 𝒹𝒶𝓃𝓈 𝓁𝑒𝓊𝓇 𝓅𝑒𝓈𝒶𝓃𝓉𝑒𝓊𝓇, on persiste parce qu'on sent qu'il y a là quelque chose d'éminemment prometteur et on se réjouit de constater à quel point c'est beau et émouvant.
Voici un album ayant fait sensation à sa sortie il y a trois ans et que j'ai enfin pu avoir entre les mains. Il s'agit d'un conte de 𝒩𝑜𝑒̈𝓁 signé Timothé de Fombelle et illustré par Thomas Campi qui commence proche d'un 𝓋𝒾𝓁𝓁𝒶𝑔𝑒 𝒶𝒷𝒶𝓃𝒹𝑜𝓃𝓃𝑒́ 𝓈𝓊𝓇 𝓊𝓃𝑒 𝓇𝒾𝓋𝑒 𝒹𝓊 𝒻𝓁𝑒𝓊𝓋𝑒 𝒞𝑜𝓃𝑔𝑜 et se termine quelque part entre Paris et Calais. Le qualifier d'album jeunesse est délicat tant la thématique, qui plus est non explicitée, nécessite un certain niveau de maturité. Les plus jeunes ne comprendront donc peut-être pas tout, mais ressentiront probablement l'essentiel. Les plus grands seront confrontés à des thématiques modernes aussi dures que la solitude, le chômage, l'immigration clandestine. Pour autant, Timothée de Fombelle arrive à rendre cette histoire intemporelle et duveteuse à souhait. La finesse de la construction narrative et la beauté un brin lyrique de son écriture sont soutenue par de magnifiques et pertinentes illustrations tout en ombres, en tons de cobalt et d'aubergine et en neige. On a affaire à du silence et de la poésie. Le tout porte un message de fraternité qui dit toute la complexité du monde mais aussi tout ce qu'on peut en attendre de bon. Un bijou.
Les hirondelles ne fêtent pas Noël. Quand l'hiver vient, elles sont au-dessus des forêts d'Afrique à se baigner dans l'air trempé.
La plupart des hirondelles ne connaissent rien d'autre de l'humanité, de ses tragédies et de sa beauté, que ces silhouettes minuscules tout en bas qui se croient grandes sur la terre mains ne dépassent pas le plus petit de leurs arbres.
Freddy n'en demandait pas plus, lui qui parlait seul au volant pendant des kilomètres et jouait à se présenter à un passager imaginaire, assis à côté de lui sur la banquette, lui expliquant qu'il était un brave type, pas très bavard, un peu sauvage et plutôt solitaire.
_ Mais vous ? demandait-il enfin. Je parle, je parle, et vous ne m'avez encore rien dit.
Mais Gloria cherchait même à comprendre des phénomènes qui ne la concernaient pas. Les chagrins, les amours, les guerres, les jeux d'enfants.
Ces quelques paroles alignées firent déborder le cœur de Freddy d'Angelo. Presque dix mots d'un coup. Il regarda sa montre. Il n'était pas minuit. Les cent jours n'étaient pas encore écoulés.