Panorama
Publié le 9 Octobre 2023
Mais avant de vous raconter cette histoire, il me faut remonter le temps. Car aucun des événements du 17 novembre 2049 ne peut être compris si l'on ignore ce qui s'est produit ici vingt ans auparavant, quand nos villes, qui furent des jungles, sont devenues des zoos.
Voici ma première lecture de la rentrée littéraire 2023 : un thriller d'anticipation signé Lilia Hassaine et édité dans la collection Blanche chez Gallimard. Et si les murs de pierre étaient désormais remplacés par des murs de verre ? Et si l'on pouvait tout voir de ses voisins, à toute heure du jour et de la nuit ? Et si, malgré tout cela, une famille disparaissait ? Voici les questions soulevées par l'autrice. Elle plonge le lecteur en 2049 dans "l'Ère de la transparence", un système né de la "Revenge Week", durant laquelle d'anciennes victimes ont tué leurs bourreaux pour se venger d'une justice jugée trop laxiste. Depuis, une révolution politique et sociale a eu lieu et une majeure partie de la population vit dans des "maisons-vivariums" inventées par l'architecte Viktor Jouanet. Dans ces habitations transparentes, les visages des citoyens sont visibles du voisinage même en prenant une douche ou en allant aux toilettes.
Avec ma fille Tessa et mon mari David, nous vivons dans l’une de ces maisons de verre. Personne ne nous y a obligés. Aucun dictateur ni despote. La société s’est régulée d’elle-même, par capillarité. La nouvelle démocratie française n’est pas une dictature : vous êtes libres de vivre en sécurité dans les quartiers transparents, ou d’habiter dans des zones de non-droit en marge des villes. La transparence est un « pacte citoyen fondé sur la bienveillance partagée et la responsabilité individuelle », d’après le préambule de la Constitution de 2030.
Le lecteur entre dans ce cauchemar éveillé avec l'attachant personnage d'Hélène, ex-commissaire de police qui reprend du service pour retrouver un couple, Miguel et Rose, et leur fils Milo. Malgré les murs de verre, malgré la vigilance des patrouilles, étrangement, personne n'a rien vu de leur disparition. Hélène et son coéquipier, tout en vivant des amours compliqués, vont tenter d'aller au bout de leur enquête. Ils seront amenés à se déplacer dans le quartier de Paxton resplendissant de "luxe, calme et sécurité" où vivaient la famille, comme dans la zone non sécurisée où vivent certains réfractaires au Pacte citoyen.
À l’entrée du quartier, un panneau donne le ton. Il reprend les derniers vers d’une fable du XVIIIe siècle, dans laquelle un grillon envie la splendeur d’un papillon avant d’assister à sa capture :
Il en coûte trop cher pour briller dans le monde.
Combien je vais aimer ma retraite profonde !
Pour vivre heureux, vivons cachés.
Au-delà de l'intrigue policière, l'autrice dépeint une société glaçante d'hypocrisie, de peur et de violence contenues. Les citoyens, cédant toute vie privée au nom de la sécurité, vivent dans une réalité en apparence très lisse et pourtant étouffante. Les influenceurs sont plus que jamais actifs et la justice dysfonctionnelle. L'ambiance quasi orwelienne m'a aussi fait penser à la pesanteur du film Vivarium de Lorcan Finnegan, un thriller de 2019 que j'avais adoré. Les chapitres courts et le style classiquement élégant de Lilia Hassaine rendent la lecture fluide. À défaut de nous proposer une dystopie totalement originale, l'autrice déploie un thriller efficace dont le décalage entre l'intériorité des personnages et leur apparence nous fascine.
Je sais le mensonge de nos existences, l’image qu’on veut donner, parce que vivre en dehors du bonheur, c’est déjà être déclassé.