Les lois naturelles de l'enfant

Publié le 4 Avril 2024

Les lois naturelles de l'enfant

 𝗜𝗡𝗧𝗥𝗢𝗗𝗨𝗖𝗧𝗜𝗢𝗡 / 𝗣𝗥𝗢𝗣𝗢𝗦 𝗗𝗨 𝗟𝗜𝗩𝗥𝗘

 

Céline Alvarez, diplômée en sciences du langage et un temps professeur des écoles, est autrice et conférencière depuis une expérimentation pédagogique, largement inspirée des travaux scientifiques et pédagogiques d’Edouard Seguin et Maria Montessori, menée en banlieue parisienne de 2011 à 2014. Dans ce livre, elle revient sur cette expérience et 𝗲𝘅𝗽𝗹𝗶𝗾𝘂𝗲 𝘀𝗮 𝗱𝗲́𝗺𝗮𝗿𝗰𝗵𝗲 𝗲́𝗱𝘂𝗰𝗮𝘁𝗶𝘃𝗲 𝗲𝘁 𝗹𝗲𝘀 𝗽𝗿𝗶𝗻𝗰𝗶𝗽𝗲𝘀 𝗯𝗶𝗼𝗹𝗼𝗴𝗶𝗾𝘂𝗲𝘀 𝗾𝘂𝗶 𝘀𝗼𝘂𝘀-𝘁𝗲𝗻𝗱𝗲𝗻𝘁 𝗹’𝗮𝗽𝗽𝗿𝗲𝗻𝘁𝗶𝘀𝘀𝗮𝗴𝗲 𝗲𝘁 𝗹𝗲 𝗽𝗹𝗲𝗶𝗻 𝗲́𝗽𝗮𝗻𝗼𝘂𝗶𝘀𝘀𝗲𝗺𝗲𝗻𝘁 𝗱𝗲 𝗹’𝗲𝗻𝗳𝗮𝗻𝘁.

 

 

𝗦𝗢𝗠𝗠𝗔𝗜𝗥𝗘 / 𝗦𝗧𝗥𝗨𝗖𝗧𝗨𝗥𝗔𝗧𝗜𝗢𝗡 𝗗𝗨 𝗣𝗥𝗢𝗣𝗢𝗦

 

𝗗𝗮𝗻𝘀 𝘂𝗻𝗲 𝗽𝗿𝗲𝗺𝗶𝗲̀𝗿𝗲 𝗽𝗮𝗿𝘁𝗶𝗲, Céline Alvarez présente l’état des connaissances sur la plasticité cérébrale des enfants et les mécanismes d’apprentissage connus sur lesquels s’appuyer, notamment chez les très jeunes enfants. 𝗗𝗮𝗻𝘀 𝘂𝗻𝗲 𝗱𝗲𝘂𝘅𝗶𝗲̀𝗺𝗲 𝗽𝗮𝗿𝘁𝗶𝗲, elle se concentre sur l’aide didactique concrète à mettre en œuvre selon elle, en grande partie déjà énoncée par les pédagogues Edouard Seguin et Maria Montessori, et développe plus particulièrement les domaines du temps et de l’espace, des mathématiques et de l’entrée dans la lecture et l’écriture. 𝗗𝗮𝗻𝘀 𝘂𝗻𝗲 𝘁𝗿𝗼𝗶𝘀𝗶𝗲̀𝗺𝗲 𝗽𝗮𝗿𝘁𝗶𝗲, Céline Alvarez aborde le soutien du développement des compétences-socles de l’intelligence, c’est-à-dire les compétences exécutives. 𝗘𝗻𝗳𝗶𝗻, elle insiste sur l’importance de la reliance et de l’empathie pour l’épanouissement de l’intelligence et le vivre-ensemble.

 

 

𝗣𝗥𝗜𝗦𝗘 𝗗𝗘 𝗡𝗢𝗧𝗘𝗦

 

  1. L’intelligence plastique de l’être humain

 

Céline Alvarez commence par expliquer que l'’enfant naît “câblé” pour apprendre. Avec "la potentialité de" et qu'il convient ensuite pour que ses compétences se développent et s'épanouissent qu'il bénéficie d'un environnement stimulant et bienveillant. L'enfant apprend au contact de l’environnement. D’où l’importance qu’il soit actif et bien entouré. Céline Alvarez poursuit en développant longuement ce que sont les "lois naturelles de l’apprentissage" : apprendre par ses 𝗲𝘅𝗽𝗲́𝗿𝗶𝗲𝗻𝗰𝗲𝘀 actives, avec la 𝗴𝘂𝗶𝗱𝗮𝗻𝗰𝗲 de l’autre, d’où selon elle l’indispensable mélange des âges dans les classes. Ces paramètres sont fondamentaux mais ne suffisent pas : il faut aussi une 𝗺𝗼𝘁𝗶𝘃𝗮𝘁𝗶𝗼𝗻 endogène (c’est-à-dire de l’individu lui-même) qui l’engage dans l’activité et qui active sa mémoire de manière optimale. L'autrice souligne aussi l'importance de l’𝗲𝗿𝗿𝗲𝘂𝗿, de l’itération (répétition) pour confronter ses connaissances à ses prédictions. Elle note aussi l'importance du contact avec la 𝗻𝗮𝘁𝘂𝗿𝗲. Elle dit qu'il est fondamental de proposer un environnement riche mais 𝗽𝗮𝘀 𝘀𝘂𝗿𝗰𝗵𝗮𝗿𝗴𝗲́ : laisser à l'enfant le droit de ne rien faire, de rêvasser, respecter son sommeil et son temps de jeu libre. Enfin, elle souligne le principe de 𝗯𝗶𝗲𝗻𝘃𝗲𝗶𝗹𝗹𝗮𝗻𝗰𝗲 comme catalyseur d’épanouissement. La posture de l’adulte consiste à veiller à l’environnement de l'enfant et à lui proposer des activités adaptées à sa 𝘇𝗼𝗻𝗲 𝗽𝗿𝗼𝘅𝗶𝗺𝗮𝗹𝗲 𝗱𝗲 𝗱𝗲́𝘃𝗲𝗹𝗼𝗽𝗽𝗲𝗺𝗲𝗻𝘁 (entre sa zone d'autonomie et sa zone de rupture, comme conceptualisé par Lev Vygotski).

 

  1. L’aide didactique 

 

Céline Alvarez développe longuement l'intérêt d'utiliser le 𝗺𝗮𝘁𝗲́𝗿𝗶𝗲𝗹 𝘀𝗲𝗻𝘀𝗼𝗿𝗶𝗲𝗹 inventé par Jean Itard, repris et développé par Edouard Seguin puis étoffé par 𝗠𝗮𝗿𝗶𝗮 𝗠𝗼𝗻𝘁𝗲𝘀𝘀𝗼𝗿𝗶, qui isole une qualité à explorer (longueur, couleur…) pour chaque activité. Elle présente des activités par domaine (géographie, mathématiques, lecture et écriture, etc.) avec du matériel et la façon de l’utiliser (les barres rouges, la tour rose, les clochettes, les deux globes, les encastrements, les chiffres rugueux, la frise numérique, les lettres et digrammes mobiles…). Autre outil dans sa trousse : la 𝗹𝗲𝗰̧𝗼𝗻 𝗲𝗻 𝘁𝗿𝗼𝗶𝘀 𝘁𝗲𝗺𝗽𝘀 d’Edouard Seguin : nommer, montrer, identifier. Le chapitre qui m’a plus particulièrement intéressé est celui sur l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Elle énonce le même constat scientifique que Michel Desmurget dans Faites-les lire ! : lire réorganise notre cerveau. C’est pour cette raison - je passe sur l’explication - que les jeunes enfants passent par une phase d’écriture en miroir. “Contrairement à l’apprentissage du langage oral, qui est naturellement induit par une prédisposition biologique, 𝗶𝗹 𝘀𝗲𝗺𝗯𝗹𝗲𝗿𝗮𝗶𝘁 𝗾𝘂𝗲 𝗻𝗼𝘂𝘀 𝗻𝗲 𝗽𝗼𝘀𝘀𝗲́𝗱𝗶𝗼𝗻𝘀 𝗽𝗮𝘀 𝗱𝗲 𝗰𝗶𝗿𝗰𝘂𝗶𝘁𝘀 𝗻𝗲𝘂𝗿𝗼𝗻𝗮𝘂𝘅 𝘀𝗽𝗲́𝗰𝗶𝗳𝗶𝗾𝘂𝗲𝗺𝗲𝗻𝘁 𝗱𝗲́𝗱𝗶𝗲́𝘀 𝗮𝘂 𝘁𝗿𝗮𝗶𝘁𝗲𝗺𝗲𝗻𝘁 𝗱𝘂 𝗰𝗼𝗱𝗲 𝗮𝗹𝗽𝗵𝗮𝗯𝗲́𝘁𝗶𝗾𝘂𝗲, c’est-à-dire à la lecture et à l’écriture. Les recherches actuelles en neurosciences cognitives indiquent que, pour lire, notre cerveau recycle une région cérébrale initialement destinée à un tout autre usage : la reconnaissance des visages et des objets.” Voici les grands principes énoncés par Céline Alvarez : 𝗳𝗮𝗶𝗿𝗲 𝗲𝗻𝘁𝗲𝗻𝗱𝗿𝗲 𝗹𝗲𝘀 𝘀𝗼𝗻𝘀, donner le code alphabétique, renforcer la compréhension du code, faire passer du décodage à l’automatisation, faire lire des mots, puis des phrases, voire des livres, favoriser l’entrée dans l’écriture.

 

  1. Le développement des compétences-socles et l'importance de l'empathie

 

Il faut avant tout savoir qu'il y a des périodes sensibles de développement des compétences : par exemple, un emmagasinement au niveau langagier et sensoriel avant même la naissance et jusqu’à 1 an puis un développement du langage, une véritable explosion de l’expression orale, vers 2 ans. 𝗟𝗲𝘀 𝗰𝗼𝗺𝗽𝗲́𝘁𝗲𝗻𝗰𝗲𝘀-𝘀𝗼𝗰𝗹𝗲𝘀 (𝗮𝘂𝘁𝗼𝗻𝗼𝗺𝗶𝗲, 𝗼𝗿𝗴𝗮𝗻𝗶𝘀𝗮𝘁𝗶𝗼𝗻, 𝗰𝗼𝗻𝘁𝗿𝗼̂𝗹𝗲, 𝗽𝗹𝗮𝗻𝗶𝗳𝗶𝗰𝗮𝘁𝗶𝗼𝗻) se développent également dès la première année de vie avec une croissance fulgurante entre 3 et 5 ans. En maternelle, il est donc primordial d'𝗲̂𝘁𝗿𝗲 𝗮𝘁𝘁𝗲𝗻𝘁𝗶𝗳 𝗮𝘂𝘅 𝗰𝗼𝗺𝗽𝗲́𝘁𝗲𝗻𝗰𝗲𝘀 𝗲𝘅𝗲́𝗰𝘂𝘁𝗶𝘃𝗲𝘀, 𝗰'𝗲𝘀𝘁-𝗮̀-𝗱𝗶𝗿𝗲 𝗹𝗲𝘀 𝗰𝗼𝗺𝗽𝗲́𝘁𝗲𝗻𝗰𝗲𝘀 𝗰𝗼𝗴𝗻𝗶𝘁𝗶𝘃𝗲𝘀 𝗽𝗲𝗿𝗺𝗲𝘁𝘁𝗮𝗻𝘁 𝗱’𝗮𝘁𝘁𝗲𝗶𝗻𝗱𝗿𝗲 𝘀𝗲𝘀 𝗼𝗯𝗷𝗲𝗰𝘁𝗶𝗳𝘀 : 𝗹𝗮 𝗺𝗲́𝗺𝗼𝗶𝗿𝗲 𝗱𝗲 𝘁𝗿𝗮𝘃𝗮𝗶𝗹 (𝗺𝗲́𝗺𝗼𝗶𝗿𝗲 𝗰𝗼𝘂𝗿𝘁𝗲), 𝗹𝗲 𝗰𝗼𝗻𝘁𝗿𝗼̂𝗹𝗲 𝗶𝗻𝗵𝗶𝗯𝗶𝘁𝗲𝘂𝗿 (𝗰𝗼𝗻𝗰𝗲𝗻𝘁𝗿𝗮𝘁𝗶𝗼𝗻), 𝗹𝗮 𝗳𝗹𝗲𝘅𝗶𝗯𝗶𝗹𝗶𝘁𝗲́ 𝗰𝗼𝗴𝗻𝗶𝘁𝗶𝘃𝗲 (𝗱𝗲́𝘁𝗲𝗰𝘁𝗲𝗿 𝘀𝗲𝘀 𝗲𝗿𝗿𝗲𝘂𝗿𝘀, 𝗹𝗲𝘀 𝗰𝗼𝗿𝗿𝗶𝗴𝗲𝗿, 𝗲̂𝘁𝗿𝗲 𝗰𝗿𝗲́𝗮𝘁𝗶𝗳). Chez les jeunes enfants en particulier, il est important de mettre en œuvre une intelligence d’action, c'est-à-dire de favoriser leur autonomie : mettre seul ses chaussures, aider à étendre le linge, à mettre le couvert, etc. permet de donner du sens à ses apprentissages et d'exercer ses compétences exécutives. “L’exigence du jeune enfant à vouloir absolument faire par lui-même n’est donc ni un caprice, ni une manie, ni un hasard, ni un trait de caractère : il s’agit d’une manifestation de l’intelligence qui demande à s’exercer.” La posture de l'adulte consiste à montrer les gestes-clés, laisser ensuite l’enfant pratiquer et trouver des solutions à son problème, lui apporter une aide discrète avant qu’il ne se décourage. Les mots d'ordre : 𝗽𝗹𝘂𝘀 𝗱𝗲 𝗹𝗶𝗯𝗲𝗿𝘁𝗲́, 𝗺𝗼𝗶𝗻𝘀 𝗱𝗲 𝘀𝘁𝗿𝗲𝘀𝘀, 𝗽𝗹𝘂𝘀 𝗱𝗲 𝗿𝗲𝗹𝗶𝗮𝗻𝗰𝗲. Comment ne pas voir que nous semons ce que nous déplorons par la suite ? En n’obéissant pas à cette loi qui exige que les être humains s’épanouissent dans la reliance, nous vivons collectivement en sous-régime empathique, mais également en sous-régime cognitif, en sous-régime métabolique, et en sous-régime créatif… Nous méconnaissons nos potentiels réels.

 

 

𝗔𝗩𝗜𝗦

 

𝗜𝗹 𝗻’𝘆 𝗮 𝗿𝗶𝗲𝗻 𝗱𝗲 𝗰𝗼𝗺𝗽𝗹𝗲̀𝘁𝗲𝗺𝗲𝗻𝘁 𝗻𝗼𝘂𝘃𝗲𝗮𝘂 dans le discours de Céline Alvarez. Elle le dit elle-même : elle doit beaucoup à “l’héritage exigeant et sensible” de Maria Montessori. Sa manière de se mettre pseudo-modestement dans sa droite lignée est d’ailleurs plutôt irritante. La plasticité cérébrale, le principe d’éducabilité, la pédagogie active, la zone proximale de développement… tout ça est loin d’être méconnu du corps enseignant. On peut d’ailleurs déplorer le fait qu’elle fasse l’impasse sur d’autres grands noms de la pédagogie, tel que Célestin Freinet (qui a mis en œuvre des principes tels que la coopération, le tâtonnement expérimental, l’autocorrection, la communication…).

 

𝗖𝗲́𝗹𝗶𝗻𝗲 𝗔𝗹𝘃𝗮𝗿𝗲𝘇 𝗰’𝗲𝘀𝘁 𝗮𝘂𝘀𝘀𝗶 𝘂𝗻 𝘁𝗼𝗻 𝗲𝘁 𝘂𝗻 𝘃𝗼𝗰𝗮𝗯𝘂𝗹𝗮𝗶𝗿𝗲 𝗴𝗿𝗮𝗻𝗱𝗶𝗹𝗼𝗾𝘂𝗲𝗻𝘁𝘀 : les enfants sont de “jeunes êtres humains” qui naissent avec des cerveaux bourrés de “potentiels”, “câblés pour retenir du beau, du grandiose” et des personnalités qui ne demandent qu’à être “révélées”. Ils sont “affamés d’expériences” et devraient bénéficier d'un “étayage individualisé, bienveillant et calme de l’adulte” pour que grandir soit “une conquête heureuse”. On peut être charmé ou agacé.

 

𝗔𝘂-𝗱𝗲𝗹𝗮̀ de toutes les nuances et critiques que l’on peut émettre au sujet de l’essai de Céline Alvarez, on peut souligner qu’il permet de réaffirmer et clarifier de grands principes pédagogiques et 𝗱𝗶𝗱𝗮𝗰𝘁𝗶𝗾𝘂𝗲𝘀. Les aspects pratiques qui s'attachent à décrire la posture de l’enseignant ou de l’ATSEM ainsi que la façon d’utiliser le matériel pédagogique sont très intéressants. J’ai été particulièrement sensible - et c’est ce pourquoi j’ai ouvert ce livre - à l’explication du procédé d’entrée dans la lecture. J'y reviendrai prochainement. J’ai également appris sur les compétences exécutives.

 

Cet essai est donc tout à fait 𝗶𝗻𝘁𝗲́𝗿𝗲𝘀𝘀𝗮𝗻𝘁 𝗺𝗮𝗶𝘀 𝗽𝗮𝘀 𝗿𝗲́𝘃𝗼𝗹𝘂𝘁𝗶𝗼𝗻𝗻𝗮𝗶𝗿𝗲 et mériterait d’être condensé car Céline Alvarez a une fâcheuse tendance à se répéter. Pour se faire une idée de sa posture / imposture, je vous renvoie vers cet article paru dans Libération en septembre 2019 : Céline Alvarez, un peu trop classe ? 

 

Rédigé par Nota Bene

Publié dans #Je lis sur la lecture

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