Publié le 19 Janvier 2023

La carte postale

Cette famille, c'est comme un bouquet trop grand que je n'arrive pas à tenir fermement dans mes mains.

Les nombreuses pages du livre d'Anne Berest palpitent entre nos mains comme les tiges de son bouquet familial dans les siennes. Aussi éclairant que poignant, son récit, dense, retrace un siècle de l'histoire réelle d'une famille juive. À la fois saga familiale et enquête sur l'auteur anonyme d'une carte postale, le récit traite d'une tragédie familiale marquée par la Shoah.

 

En janvier 2003, une carte postale arrive dans la boîte aux lettres de la famille d'Anne. Elle n'est pas signée et ne comporte - outre l'adresse - que quatre prénoms : Ephraïm, Emma, Noémie, Jacques. Ce sont ceux des grands-parents, de la tante et de l'oncle de Lélia, la mère d'Anne Berest. Tous les quatre ont été déportés en 1942 et sont morts à Auschwitz. Sur le moment, ce courrier déstabilise et questionne le couple parental et les enfants. Puis il est rangé dans un tiroir et oublié. Il reviendra en mémoire à Anne des années plus tard à la lumière de certains événements. Dès lors, interrogeant sa mère sur le passé familial, elle se verra confier le fruit d'années de recherches. Myriam, la grand-mère de l'autrice, seule survivante de la Shoah, aura toujours entretenu le mutisme autour de cette sombre période, laissant à ses enfants et ses petits-enfants le terrible poids d'un silence étourdissant. Lélia, sa fille, assoiffée de repères et de réponses, a donc retracé l'histoire de sa famille en exhumant des documents d'archives. Elle accepte d'en rendre compte à sa fille Anne et de continuer avec elle à recouper les informations pour peut-être trouver l'auteur de la carte postale.

 

Des étendues froides de Russie à la Palestine en passant par la Lettonie, nous suivons le périple des arrière-grands-parents Ephraïm et Emma Rabinovitch jusqu'en France où les attend bientôt l'impensable. Leur histoire met en lumière l'antisémitisme entraînant exils, espoirs d'intégration et pièges meurtriers. Culture juive, vie de bohème parisienne, mesures antisémites, camps de transit, camps de concentration et d'extermination, Résistance, retour des déportés, devoir de mémoire, sont différents aspects abordés au fil des pages. Sa curiosité piquée par l'énigme de la carte postale, le lecteur est happé par l'enquête et plonge dans ce récit grave et sensible courant sur cinq générations. J'ai particulièrement été intéressée et stupéfaite par le récit de l'accueil des survivants à Paris. Je ne soupçonnais pas certains détails : la nécessité de faire le tri entre les "vrais" et les "faux" déportés, les conséquences médicales d'une alimentation trop rapide pour les déportés, la réquisition du Lutetia et ses aberrations (les déportés incapables de dormir dans un lit...), etc.

 

En parlant de l'élaboration de son livre, Anne Berest évoque un travail de "tissage textuel" mêlant des documents d'archives privés et administratifs de différentes époques (lettres et brouillons de lettres, journaux intimes, listes administratives, notes, etc.) et une marge fictionnelle. C'est le bémol qu'on peut lui apposer : l'écriture est fluide mais parfois plus scénaristique ou documentaire que littéraire. Pour autant, le récit est captivant. Il nous parle bien sûr d'exil, de migration, de la manière de trouver sa place dans le monde, mais surtout de mémoire, de transmission, de psychogénéalogie (l'influence du passé sur les personnalités des descendants). J'ai d'ailleurs été sensible aux interprétations au sujet des prénoms. Il nous confronte aussi à une réalité contemporaine, aux répercussions du passé sur le présent et nous livre des interrogations sur les façons de vivre sa judaïcité aujourd'hui, même quand, comme Anne Berest, on est issu d'une éducation et culture complètement laïque. La révélation de l'auteur de la carte postale aura fait couler quelques unes de mes larmes. C'est une quête à la fois intime et universelle de vérité et de lumière qui mérite l'attention qu'on lui a porté à sa sortie et que je ne regrette en rien d'avoir enfin pris le temps de découvrir.

 

Ta grand-mère Myriam n'est encore qu'un fœtus, mais elle vient d'éprouver physiquement ce que signifie avoir la peur au ventre.

Rédigé par Nota Bene

Publié dans #Je lis

Partager cet article

Publié le 16 Janvier 2023

"Celle [l'œuvre] d'une jeune fille, qui n'aura pour tout voyage qu'un escalier à monter et à descendre, moins d'une quarantaine de mètres carrés à arpenter, sept cent soixante jours durant."

"Celle [l'œuvre] d'une jeune fille, qui n'aura pour tout voyage qu'un escalier à monter et à descendre, moins d'une quarantaine de mètres carrés à arpenter, sept cent soixante jours durant."

"Elle est vivante, elle trépigne, celle qu'on ne connaît que figée, sur des photos en noir et blanc. Elle a douze ans. Il lui en reste quatre à vivre."

"Elle est vivante, elle trépigne, celle qu'on ne connaît que figée, sur des photos en noir et blanc. Elle a douze ans. Il lui en reste quatre à vivre."

Suite à la proposition des éditions Stock d'apporter sa pierre à l'édifice de la collection Ma nuit au musée, Lola Lafon a choisi de se rendre en août 2021 à L'Annexe, le musée Anne Franck d'Amsterdam. C'est une évidence qu'elle ne s'explique pas. Pourtant le choix de ce lieu n'a rien du hasard : il fait écho à sa trajectoire personnelle. Cette nuit est l'occasion pour l'autrice de revenir sur la parution du Journal d'Anne Frank et l'histoire de sa propre famille. Comment appréhender une telle expérience ? Que sait-on aujourd'hui de l'adolescente ? Que nous reste-t-il de la lecture de son incontournable journal une fois à l'âge adulte ?

 

En rendant compte de cette nuit blanche passée dans ce lieu si extraordinaire, aidée en amont par ses échanges avec l'universitaire spécialiste du Journal et ancienne voisine d'Anne Frank, Lola Lafon revient sur le réel désir littéraire d'Anne Franck et sur les conditions de parution et d'adaptations du Journal. Lola Lafon nous fait ainsi prendre conscience de l'effort à fournir parfois pour se confronter à l'espace qu'on nous autorise. On mesure son ton respectueux, qui ne s'autorise pas à écrire seulement Anne. On en ressort enrichit d'informations biographiques et historiques. Repoussant l'instant où elle entrerait dans la chambre d'Anne Franck, l'autrice se remémore le destin tragique de ses propres ancêtres et en vient aussi à nous offrir une confidence nous révélant la signification du titre, qui fait écho à un autre devoir de mémoire personnel. Elle aborde donc les questions de la mémoire - tel "𝑢𝑛 𝑙𝑖𝑒𝑢 𝑑𝑎𝑛𝑠 𝑙𝑒𝑞𝑢𝑒𝑙 𝑠𝑒 𝑠𝑢𝑐𝑐𝑒̀𝑑𝑒𝑛𝑡 𝑑𝑒𝑠 𝑝𝑜𝑟𝑡𝑒𝑠 𝑎̀ 𝑒𝑛𝑡𝑟𝑜𝑢𝑣𝑟𝑖𝑟 𝑜𝑢 𝑎̀ 𝑖𝑔𝑛𝑜𝑟𝑒𝑟" - de la transmission, du devoir, de l'impuissance... et de l'écriture, aussi. Redonnant du souffle et une vérité à la figure qu'est devenue Anne Franck, son récit introspectif et intime s'ouvre à l'universel de manière à la fois sobre et vibrante.

 

Elles ne connaissent que les extrêmes, ces familles. L'exil ou la mort. L'héroïsme ou la mort. Naître après, c'est vivre en dette perpétuelle. Chaque enfant sera un miracle. Il aura le devoir d'être sur-vivant.

Je me voulais nouvelle, née de mes propres choix : personne, dans la famille, n'avait fait de danse classique. [...] Elle était là ma religion, elle sentait le colophane et la sueur. Je l'avais trouvée ma terre : on y souffrait, on s'y taisait. Je jurais de me vouer à perpétuer l'illusion internationale de la légèreté.

"On ne pourra pas dire qu'on ne savait pas" : cette phrase est un slogan, que le flot d'informations qui nous submerge a rendu obsolète. Nous savons. Nous avons vu les images de tous les massacres, nous avons assisté à tous les conflits, comme à un spectacle.
On ne pourra pas dire qu'on ne savait pas ; on pourra dire qu'on ne savait pas quoi faire de ce qu'on savait. On pourra dire l'impuissance qui nous saisit, qui nous écrase, plus on sait et moins on peut.

Un je [Anne Frank] qui sait, à quatorze ans, que la politique n'est pas un sujet pour adultes, mais un intolérable quotidien d'enfant.

La langue n'est pas un objet inerte dont on se saisit et qu'on plie à sa volonté. C'est elle qui nous transforme, qu'on lise ou qu'on écrive.

Nous sommes les enfants des romans que nous avons aimés, ils se déposent au creux de nos peines, de nos manques, ils contiennent tout ce qui se dérobe à nous, qui passe sans qu'on ait pu le comprendre, nous sommes faits d'histoires qui ne nous appartiennent pas, elles nous irriguent et nous hantent [...]

Rédigé par Nota Bene

Publié dans #Je lis

Partager cet article

Publié le 5 Janvier 2023

Anecdote de doc 168
Anecdote de doc 168
Anecdote de doc 168

Quelques souvenirs d'initiatives prises au lycée dernièrement : ici le bocal à petits bonheurs et un élément de décoration Harry Potter. Il y a aussi eu l'exposition Stranger things, les paquets de Noël mystères ou encore le jeu littéraire Soprano ou Victor Hugo ? (ou Jul ou Charles Baudelaire ? si on préfère) de La Bande à Baudelaire.