L'amour

Publié le 22 Décembre 2023

L'amour

Ce livre raconte la vie de couple de Jeanne et Jacques Moreau dans toute sa banalité. Elle est réceptionniste dans un petit hôtel. Lui donne un coup de main en maçonnerie sur les chantiers de son père. Ils se rencontrent et se côtoient timidement. Puis, au détour d'une ballade, s'embrassent à bas bruit, en laissant le lecteur distrait au moment de la scène de leur premier baiser. Ils auront un mariage, une maison avec jardin, un fils, un chien, des cassettes audio de Véronique Sanson, une moquette vert d’eau, des caleçons plutôt que des slips, un lave-vaisselle en 84, une caméra Sony et des téléphones portables.

 

En très peu de pages, quelques scènes insignifiantes au premier abord et la description d'un quotidien dépourvu d'intensité, on prend de la hauteur sur les notions de couple, de bonheur, de passion et d'idéal romantique. On s’attache à ce couple tout en modestie, sobriété et pudeur. Car leur vie ressemble à la nôtre : elle est ponctuée d’épreuves, de petits bonheurs, d’agaçantes manies. François Bégaudeau met en lumière ce qui fait la beauté de l’amour ordinaire, au-delà de la passion mise en avant en littérature ou au cinéma, à savoir la peine qu’on prend pour le faire durer, malgré la routine. On s’aime malgré le temps qui passe et peut-être grâce à ce temps partagé. C’est un texte très court dont le style plat épouse le quotidien sans artifices du couple et balaie aussi une époque : des années 1970 à aujourd’hui. De ce fait c’est aussi un portrait de la classe moyenne ayant su faire famille au tournant des années 2000. Un roman sensible, parfois drôle, mais globalement mélancolique, qui parle d’amour sans jamais vraiment le dire.

 

Jacques énerve Jeanne à mettre des cornichons avec tout, à manger la peau du saucisson sec, à remettre un t-shirt sale, à ne pas couvrir son crâne d’œuf à la plage, à laisser un rhume traîner plutôt que de prendre des antibiotiques, à dire un espèce de, à dire il mouille plutôt qu’il pleut, à dire car pour bus, à se moucher dans du Sopalin, à se tenir les mains sur les hanches que ça fait ressortir sa bedaine, à lancer les grillades de barbecue trop tôt, à laisser Bill entrer dans la salle d’eau, à piétiner dans la cuisine alors qu’il n’a rien à y faire puisque monsieur n’en fout pas une.

Dans le même genre Jacques ne comprend jamais qu’elle préfère entamer le pain frais plutôt que de finir le pain d’hier. Et pas la peine de venir nous raconter qu’elle en fera du pain perdu, elle n’en fait jamais. Ce que Jeanne peut éventuellement reconnaître mais pour aussitôt observer qu’à ce compte-là ils ne mangeront jamais de pain. Si on mange le pain du jour le lendemain du jour, on mange toujours du pain d’hier. Ce à quoi Jacques objecte que ben voyons.

Rédigé par Nota Bene

Publié dans #Je lis

Partager cet article

Commenter cet article