Ça raconte Sarah
Publié le 9 Octobre 2018
Un premier roman - pour moi comme pour l'auteur - de la rentrée littéraire 2018

Les gens se retournent silencieusement sur nos silhouettes qui titubent un peu, sans jamais se lâcher, sur nos visages qui irradient du même drôle d'air, plein de plaisir, d'effronterie, d'aplomb et d'audace, cet air insolent, aussi, sûrement, de cette impertinence que l'on a au fond des yeux. (p.127)
Ce premier roman nous raconte la naissance d'une tourmente amoureuse entre Sarah, violoniste trentenaire, et la narratrice, une mère célibataire travaillant dans un lycée (professeur documentaliste ?). Plus qu'une passion, c'est l'histoire d'une obsession. Les pensées de la narratrice tournent en boucle, à l'instar du titre du roman. Plusieurs leitmotiv sont utilisés, notamment : "Je me souviens de ça", jouant sur les allitérations et assonances faisant écho au prénom Sarah. Se déroulant en deux parties, de l'euphorie de la rencontre parisienne à la fuite et la période de dépression à Trieste, le texte accélère, s'affole, s’essouffle. De définitions placardées (type articles tirés de Wikipédia pour décrire une ville ou un film) en répétitions pénibles, j'ai lu ce roman sans m'attacher aux personnages, sans empathie, et en décelant les ficelles de l'écriture. J'étais dans l'analyse de la construction littéraire plutôt que projetée dans l'émotion et la sensualité supposée du récit. La narratrice, à force de ressasser ses pensées, se déconnecte de la réalité (elle abandonne notamment sa fille sans aucune précaution pour sa prise en charge...). Elle en devient monstrueuse. La première scène d'amour page 34 est si décevante ! C'est censé être le récit d'une première fois passionnée avec une femme pour chacune des protagonistes et on nous donne à lire une courte énumération corporelle, voyez plutôt :
Elle se glisse sous la couette, à côté de moi, dans la lumière tremblotante du jour qui se lève. Elle murmure qu'elle n'a jamais fait l'amour avec une femme. Elle demande et toi. Je dis que moi non plus, pareil, exactement pareil. Elle caresse mon visage, mon cou, mes seins.
Son parfum. Son odeur. Sa nuque. Ses cheveux. Ses mains. Ses doigts. Ses fesses. Ses mollets. Ses ongles. Ses lobes d'oreilles. Ses grains de beauté. Ses cuisses. Sa vulve violine. Ses hanches. Son nombril. Ses tétons. Ses genoux. Ses aisselles. Ses joues. Sa langue.
Un roman au postulat intéressant mais qui ne m'aura pas embarquée. Une narratrice dépressive qui nous inflige sa folie. Une écriture quelque peu affectée et prétentieuse. Une déception.
[Latence]
→ Je m'applique à vivre la vie. Je ne la vie pas vraiment. (la narratrice, p.17)
→ C'est le temps qu'il y a entre deux grands moments importants. (Sarah, p.25)
→ État de ce qui existe de manière non apparente mais peut, à tout moment, se manifester par l’apparition de symptômes. (un dictionnaire médical, p.44)
Ça raconte Sarah
de Pauline Delabroy-Allard
Les éditions de Minuit
2018 / 188 p.