Signé Poète X
Publié le 14 Octobre 2019
Depuis que j'exerce en lycée général, je m'applique à lire des romans destinés à un public "adulte" afin d’élever le niveau littéraire des élèves. Pour autant, je laisse la porte ouverte aux publications "jeunesse" qui, bien choisies, n'en sont pas moins de qualité, et qui permettent de toucher à des sujets parfois plus proches des préoccupations adolescentes. Dernièrement, j'ai lu en ce sens Brexit romance de Clémentine Beauvais. Cette fois encore, elle a su me séduire... mais pas en tant qu'autrice : elle est ici traductrice ! Et ce n'était pas n'importe quel roman à traduire : Elizabeth Acevedo, américaine d'origine dominicaine, nous offre ici son premier roman, écrit à la frontière entre prose, chant et poésie, puisque c'est de slam dont il s'agit. Enseignante diplômée en arts de la scène et en création littéraire, elle s’est également distinguée en remportant plusieurs concours de slam. Elle prête ses traits d'une époustouflante beauté caribéenne à son héroïne Xiomara, 15 ans. Vivant à Harlem avec ses parents et son frère jumeau "plus vieux [qu'elle] d'une heure [... et] plus doux [...] de plusieurs années", Xiomara dit d'elle qu'elle est née "bourrasque". Mami, leur mère, est très pieuse et peu heureuse dans son couple. Elle élève ses enfants strictement, dans le respect des traditions et de la foi. Elle fait entièrement confiance à son fils, jeune homme plutôt effacé, mais le caractère frondeur et le corps d'adolescente épanouie de sa fille lui font craindre le pire. Xiomara étouffe sous les dures injonctions de sa mère et l'indifférence de son père. Sa situation ne va pas aller en s'arrangeant puisqu'elle va, en cours de bio, être frôlée par l'avant-bras d'un garçon et découvrir "ses regards dardés sur [elle] sous ces cils noirs" qui vont lui faire l'effet d'une "petite flamme fragile, vacillant dans la brise". En parallèle, un club de slam s'ouvre au sein de son lycée. Elle pour qui écrire sa colère au quotidien dans un carnet est un exercice salutaire et passionné se voit proposer un échappatoire. Mais pourra-telle déjouer la surveillance de sa mère pour y participer ? Aman, ce garçon qui l'enfièvre, mérite-t-il d'entendre ses poèmes ? Et Jumeau, qui semble différent ces derniers temps, vivrait-il lui aussi quelque chose qui le dépasse ? D'une poésie percutante, vibrante, ce roman slamé nous entraîne dès les premières lignes dans un tourbillon d'émotions adolescentes : les premiers émois de Xiomara, à la fois si intemporels et modernes, ne peuvent que nous vriller le cœur. Bien que l'intrigue ne soit pas très originale, l'ensemble est touchant et relevé par un magnifique sens du rythme et de la poésie. J'ai adoré et m'efface pour laisser place :
Quand je pense à Aman
des poèmes se construisent en moi,
comme si on m'avait offert une boîte
de Lego-métaphores
que j'enclenche, clic, brique,
après brique.
J'attends qu'on vienne les renverser, mais personne ne semble se préoccuper
de me voir gratter et gratter du papier.
Je voudrais lui dire : si Aman était un poème,
il s'écrirait délié, un peu en diagonale,
sur un sac en papier brun de la bodega,
les lettres pointues, une bonne punch line finale.
Ses mains toutes occupées à prendre des notes
deviendraient métaphore, métonymie
et la douceur de son sourire s'imagerait
sans un cliché.
Il n'est pas assez snob pour un sonnet,
trop délicat pour un cadavre exquis,
et pour un haïku, ça risque de faire serré,
vu tout l'espace qu'il prend dans mes pensées.
Les haïkus c'est
des poèmes en trois vers.
Cinq, sept, et cinq pieds.
L'intérieur est d'une beauté aussi colorée que la couverture :
laissez-vous tenter sans hésiter !
♡