Broadway

Publié le 17 Septembre 2020

Broadway

Pour commencer à honorer la liste de mes envies de la rentrée littéraire 2020, j'ai lu le dernier roman en date de Fabrice Caro. J'avais beaucoup aimé Le discours, d'ailleurs en cours d'adaptation au cinéma. Je me réjouissais donc de retrouver la plume cynique et tendre de ce gentil trublion, par ailleurs connu pour ses bandes dessinées.

 

Une femme, deux enfants, un emploi de bureau, une maison dans un lotissement où s'organisent des apéritifs sympas comme tout et la perspective du paddle à Biarritz avec un couple d'amis l'été prochain... Axel pourrait être heureux, mais fait le constat que rien ne ressemble jamais à ce qu'on avait espéré. Il s'était rêvé scintillant dans une comédie musicale à la Broadway, il se retrouve dans un gala de danse de fin d'année foireux. Et s'il était temps pour Axel de tout quitter et de partir dès ce soir à Buenos Aires ?

 

Le déclencheur de la remise en question existentielle de ce bon père de famille c'est la réception de la lettre du Programme national de dépistage du cancer colorectal, envoyé automatiquement à chaque homme passé 50 ans. Sauf qu'Axel n'en a que 46. Deuxième épisode troublant pour lui : se retrouver convoqué dans le bureau du proviseur pour un dessin de son fils Tristan mettant en scène une partie de jambes en l'air entre ses professeurs Mme Guiraud et M. Charlier. Sa femme le somme d'avoir une discussion père-fils : il s'en estime totalement incapable. Comme si cela ne suffisait pas, sa fille est accablée par son premier chagrin d'amour. Axel est en proie à la désillusion et s'ennuie. À partir du moment où il reçoit cette fameuse enveloppe, elle devient une véritable obsession qui servira de fil rouge au récit. Entre pathétiques déconvenues et cogitations émerge un humour plein de finesse. Axel est malgré lui un anti-héros hilarant et attachant. On a l'impression de retrouver Adrien (Le discours) et ses questions existentielles 15 ans après. Le dernier roman de Fabrice Caro est à lire pour relativiser un éventuel coup de morosité et se dire qu'il ne tient qu'à nous d'enfiler nos claquettes pour vivre de façon aussi enjouée qu'à Broadway !

 

Rien ne ressemble jamais à ce qu'on avait espéré, rien ne se passe jamais comme on l'avait prévu, le résultat est toujours à des années-lumière de ce qu'on avait projeté, nous sommes tous dans une comédie musicale de spectacle de fin d'année, dans un Broadway un peu raté, un peu bancal, on se rêvait brillants, scintillants, emportés, et on se roule les uns sur les autres, et nos coudes dans nos bouches et nos cuisses entremêlées et nos diadèmes qui tombent sur nos yeux, et on s'extrait de son corps, on se regarde, impuissants et résignés, et on se dit : c'est donc ça la réalité. Tout est foireux par essence, mais on continue de se persuader qu'atteindre son but est la règle et non l'exception.

Être un bon père consiste-t-il à trouver merveilleux un spectacle au seul prétexte que sa fille en fait partie ou bien à réussir à se retenir de rire ?

Si je devais établir une liste de mes vacances idéales, le paddle à Biarritz avec un couple d'amis n'apparaîtrait pas sur la feuille, ni au dos, ni dans le cahier tout entier. Le soir où il avait lancé cette idée, tout le monde était emballé, c'était l'idée du siècle, du paddle à Biarritz, youhou, champagne. Moi-même j'arborais un sourire franc pour ne pas détonner dans l'effervescence ambiante, un sourire de photo de mariage, sans même savoir ce que signifiait le mot paddle, quoique pressentant qu'il avait de bonnes raisons de ne pas faire partie de mon vocabulaire. En rentrant, j'avais tapé paddle sur Google images, et mes appréhensions s'étaient vus confirmées [...]

Ces derniers temps, quand on me demande quel âge ont mes enfants, j'ai une réponse toute trouvée : 14-18, comme la guerre. Je suis très fier de ma trouvaille et la place d'autant plus fréquemment que je sais son obsolescence programmée, je ne dispose plus que de quelques mois pour l'user à la corde, conscient que 15-19, comme à la guerre fonctionnera moins bien, on ne va pas se mentir.

Un jour à table, je lui avais demandé Tu n’as pas envie de mettre des posters dans ta chambre ? Et il m’avait regardé comme si je parlais une autre langue, Des… posters ? Et j’avais compris à son regard que je venais de prononcer une phrase qui aurait pu s’apparenter à Tu n’as pas envie d’aller à l’école en calèche ? Ou bien Tu veux encore un peu de baies pour terminer ton mammouth ?

On s'épuise beaucoup plus vite à quarante six ans bientôt cinquante qu'à quarante six ans tout court.

Rédigé par Nota Bene

Publié dans #Je lis

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