Une gifle
Publié le 22 Janvier 2021
Une gifle, c'est bien à cela que s'apparente ce roman. Un récit croisé des enfances d'un homme et d'une femme tous les deux marqués par des violences et des humiliations. Arrivés à l'âge adulte, ils se rencontrent et tombent amoureux. Mais après une période de plénitude, l'orage va commencer à gronder sur leur petit nuage. De 1976 à 2019, nous suivons principalement le parcours chaotique d'Antoine, élevé par un père colérique, méprisant et violent et une mère soumise. Perclus de coups, de sévices, de silences dédaigneux et même violé, Antoine survivra grâce à un placement en internat. Il y connaîtra les premières soirées arrosées et fiévreuses. Il prendra l'habitude de faire le mur pour s'échapper dans les nuits parisiennes survoltées. Pour autant, avec sa volonté de réussir pour prouver à son père qu'il peut devenir quelqu'un de brillant, il deviendra médecin. Il continuera à se droguer et à boire quotidiennement, pour échapper à sa souffrance et recouvrir son mal-être d'un manteau de silence et d'esbrouffe. Il y aura beaucoup de plans d'un soir. Et il y a aura Chloé. L'amour. "Chloé n'a pas seulement un visage magnifique, et des jambes incroyables, elle a une voix très douce, aussi. Elle sent bon, elle me fait du bien, à son contact je suis complètement con." Et puis le drame : ils ne seront pas capables d'assumer ensemble l'enfant qui va naître, Oscar. "Après tout ça, après eux, j'ai voulu autre chose. Je ne l'ai pas cherché, je n'aurais pas su comment faire, mais c'est arrivé. j'ai rencontré quelqu'un de différent, et ça a pris entre elle et moi. Je n'ai plus d'insomnies." Le renouveau a lieu pour Antoine à 50 ans : il les rencontre elle et son fils, Mio. C'est une période de plénitude, un amour passionnel. Pourtant, elle aussi a subi des sévices, des humiliations, en est venue à se faire vomir chaque jour. "Elle vomit, chaque repas, chaque injustice, chaque contrariété. Elle vomit deux à cinq fois par jour depuis quelques années déjà. Elle se déleste, mais de quoi ?" Elle sait encaisser en silence. Mais une gifle sera le geste de trop.
J'ai aimé ce livre pour comprendre ce que peut-être une enfance placée sous le signe de la violence plus ou moins ordinaire. Pour comprendre en quoi l'histoire individuelle façonne le parcours sentimental. C'est fin et sensible. En revanche, j'ai eu du mal à ne pas trouver parfois que l'auteur nous forçait à un certain voyeurisme : une façon de nous ouvrir les yeux sur les traumatismes réels que peuvent subir certains enfants sans doute. L'écriture, parfois vulgaire parce qu’imbibée des pensées des personnages, se déverse en flots continus. Divisé en trois partie, le récit possède heureusement quelques respirations grâce aux interventions de Mio à la fin du livre. Pas de pudeur : c'est à la fois ce qui dérange et ce qui fait la force de ce roman de Marie Simon. Il semble nécessaire pour prendre conscience du combat à mener pour éviter à des adultes d'être prisonniers des peurs et conditionnements hérités de l'enfance. Au travers des parcours singuliers présentés dans ce livre, Marie Simon nous offre des pistes pour dépasser les blessures et vivre enfin avec du respect pour soi-même.
C'est un détail si minuscule, mais elle ne pense qu'à ça. Elle pense aux photos qu'elle a faites ces deux dernières années, qui dorment dans son smartphone. Tout de suite, dans le taxi, elle pense à la douleur que ça pourrait provoquer de tomber dessus, sans le faire exprès. Alors qu'elle aurait fait le plus dur avec facilité, elle retomberait sur une photo de la famille, et alors ? Elle s'effondrerait, sûrement. Elle a fixé des centaines de moments de bonheur, de surprises, de choses qui se périment. Les enfants, des manèges, des vues sur la mer, Antoine dans le sable, leurs pieds emmêlés, des draps défaits qui recouvraient leurs corps une seconde plus tôt. Elle les a prises pour y croire toujours, sur le moment. Et maintenant, que faire de ces centaines de clichés heureux [...] ?
Que faire en sachant qu'elles sont là ? C'est à ça qu'elle pense, elle est en train de s'échapper, on ne sait de quoi, on ne sait comment, c'est trop frais, et elle a peur d'être retenue par ces photos. Alourdie, prise de regrets, rappelée par les preuves immortalisées chaque jour que cela existe pour de vrai, l'amour heureux, le quotidien partagé, la famille rêvée, les projets réalisés. Face à des centaines de photos, visibles instantanément, comment se souvenir qu'elle a eu raison de quitter l'homme qu'elle aime ?