Paresse pour tous
Publié le 26 Mai 2023
Voici un roman d'Hadrien Klent (c'est un pseudonyme) qui ne vaut pas littérature mais dont le propos est très intéressant. Et si on ne travaillait que trois heures par jour ? Telle est la proposition d'Emilien Long, fictif Prix Nobel d'économie français. Le débat public s'enflamme et, débordé par le succès de son livre, poussé par ses proches, Emilien se jette à l'eau : il sera le candidat de la paresse à l'élection présidentielle. Il promet "une société où l'oisiveté rend tout le monde actif. Mais actif dans le bon sens du terme. En actes." Entouré d'une improbable équipe, il tente de mener depuis son QG marseillais une campagne post-covid ne ressemblant à aucune autre.
De la rédaction de son essai jusqu'au soir du second tour de l'élection présidentielle, nous suivons le parcours de l'économiste. De l'image d'un Coluche à celle d'un "Léon Blum des temps modernes", son ascension fait réfléchir le lecteur à ses propositions et à leurs mises en œuvre concrètes. Sa principale adversaire, Élisabeth Crayeville, adoubée par le Président sortant, est drôle de cynisme. Candidat de la paresse, autrement dit de l'oisiveté, du repos, du temps libre, de la fin du travail, Emilien Long permet de renverser les valeurs sur lesquelles s'articule la société et propose de prendre le temps de vivre pour une meilleure santé, plus de fraternité, le respect de la nature, etc. En somme, il est contre le productivisme et le capitalisme et prône la décroissance. Des trouvailles comme "les Ateliers du temps libre" et le mouvement "L'heure qui nous est due" (p. 271) sont particulièrement bien vues.
Stylistiquement parlant, c'est plutôt plat et bavard, avec des personnages mal caractérisés. Mais le roman, malgré des longueurs et des redites, est porté par une érudition joyeuse et un regard taquin sur nos choix de vie occidentaux, articulant utopie et réalisme avec énergie et enthousiasme. Cette fraîcheur dans le grand bain bouillonnant des débats politiques fait du bien. On a envie d'y croire. De se projeter individuellement et collectivement vers un horizon meilleur. Une suite est annoncée. On vote pour !
Pourquoi est-ce si compliqué de tenter de rendre concrète une idée si simple ? Pourquoi ralentir le monde et la folie des hommes demande-t-il tant d'efforts ?
[...] pendant la campagne, elle a testé en petit comité toutes ses provocations, et son équipe proposait à chaque fois un équivalent dicible à ce qu'elle souhaitait pouvoir dire : "Marre des privilèges des régimes spéciaux de retraite" devenu "Il faut repenser une solidarité globale entre tous les régimes de retraite", "Le Code du travail étouffe l'économie" devenu "Il faut assouplir certaines rigidités dans le marché de l'emploi", "Les pauvres ils n'avaient qu'à faire de meilleures études" devenu "Un système libéral bien pensé promeut l'égalité des chances dès la maternelle", "Les Français sont des râleurs et des glandeurs indisciplinés" devenu "Je souhaite redonner à la France le goût de l'effort et le respect d'un savoir-vivre ensemble" [...]
La France n'a plus besoin de se débattre dans l'aporie d'une croissance dite verte, d'une solidarité semi-libérale, d'un esprit "start-up" qui ressemble à un "end-down" en réalité.