Publiรฉ le 8 Novembre 2022

 

๐ถ๐‘Ÿ๐‘–๐‘ก๐‘–๐‘ž๐‘ข๐‘’ ๐‘Žฬ€ ๐‘™๐‘Ž ๐‘š๐‘Ž๐‘›๐‘–๐‘’ฬ€๐‘Ÿ๐‘’ ๐‘‘๐‘’

 

Entre deux lessives à étendre, en arrivant au bout du tunnel de charge parentale du soir, j'ai trouvé le temps de découvrir Annie Ernaux, octogénaire fraîchement lauréate du Nobel de littérature. D'abord en visionnant son film documentaire Les années Super 8 sur Arte.tv, "vraiment intéressant, tu verras" m'avait dit mon collègue philosophe cet après-midi-là. Sur des bribes d'images muettes provenant de ses propres films de famille des années 1970, Annie Ernaux pose sa voix. Chronique d'une époque et récit d'émancipation féminine. Dans la foulée, j'ai ouvert La femme gelée que j'avais précédemment posé bien en évidence en tête d'un rayonnage au lycée. Entre une sélection thématique consacrée à l'actualité iranienne et des suggestions de lectures automnales. Pourquoi La femme gelée et pas La place ou Regarde les lumières mon amour ? Parce qu'elle résonne en moi, la quatrième : ๐ธ๐‘™๐‘™๐‘’ ๐‘Ž ๐‘ก๐‘Ÿ๐‘’๐‘›๐‘ก๐‘’ ๐‘Ž๐‘›๐‘ , ๐‘’๐‘™๐‘™๐‘’ ๐‘’๐‘ ๐‘ก ๐‘๐‘Ÿ๐‘œ๐‘“๐‘’๐‘ ๐‘ ๐‘’๐‘ข๐‘Ÿ, ๐‘š๐‘Ž๐‘Ÿ๐‘–๐‘’ฬ๐‘’ ๐‘Žฬ€ ๐‘ข๐‘› "๐‘๐‘Ž๐‘‘๐‘Ÿ๐‘’", ๐‘š๐‘’ฬ€๐‘Ÿ๐‘’ ๐‘‘๐‘’ ๐‘‘๐‘’๐‘ข๐‘ฅ ๐‘’๐‘›๐‘“๐‘Ž๐‘›๐‘ก๐‘ . ๐ธ๐‘™๐‘™๐‘’ โ„Ž๐‘Ž๐‘๐‘–๐‘ก๐‘’ ๐‘ข๐‘› ๐‘Ž๐‘๐‘๐‘Ž๐‘Ÿ๐‘ก๐‘’๐‘š๐‘’๐‘›๐‘ก ๐‘Ž๐‘”๐‘Ÿ๐‘’ฬ๐‘Ž๐‘๐‘™๐‘’. ๐‘ƒ๐‘œ๐‘ข๐‘Ÿ๐‘ก๐‘Ž๐‘›๐‘ก, ๐‘'๐‘’๐‘ ๐‘ก ๐‘ข๐‘›๐‘’ ๐‘“๐‘’๐‘š๐‘š๐‘’ ๐‘”๐‘’๐‘™๐‘’ฬ๐‘’. ๐ถ'๐‘’๐‘ ๐‘ก-๐‘Žฬ€-๐‘‘๐‘–๐‘Ÿ๐‘’ ๐‘ž๐‘ข๐‘’, ๐‘๐‘œ๐‘š๐‘š๐‘’ ๐‘‘๐‘’๐‘  ๐‘š๐‘–๐‘™๐‘™๐‘–๐‘’๐‘Ÿ๐‘  ๐‘‘'๐‘Ž๐‘ข๐‘ก๐‘Ÿ๐‘’๐‘  ๐‘“๐‘’๐‘š๐‘š๐‘’๐‘ , ๐‘’๐‘™๐‘™๐‘’ ๐‘Ž ๐‘ ๐‘’๐‘›๐‘ก๐‘– ๐‘™'๐‘’ฬ๐‘™๐‘Ž๐‘›, ๐‘™๐‘Ž ๐‘๐‘ข๐‘Ÿ๐‘–๐‘œ๐‘ ๐‘–๐‘ก๐‘’ฬ, ๐‘ก๐‘œ๐‘ข๐‘ก๐‘’ ๐‘ข๐‘›๐‘’ ๐‘“๐‘œ๐‘Ÿ๐‘๐‘’ โ„Ž๐‘’๐‘ข๐‘Ÿ๐‘’๐‘ข๐‘ ๐‘’ ๐‘๐‘Ÿ๐‘’ฬ๐‘ ๐‘’๐‘›๐‘ก๐‘’ ๐‘’๐‘› ๐‘’๐‘™๐‘™๐‘’ ๐‘ ๐‘’ ๐‘“๐‘–๐‘”๐‘’๐‘Ÿ ๐‘Ž๐‘ข ๐‘“๐‘–๐‘™ ๐‘‘๐‘’๐‘  ๐‘—๐‘œ๐‘ข๐‘Ÿ๐‘  ๐‘’๐‘›๐‘ก๐‘Ÿ๐‘’ ๐‘™๐‘’๐‘  ๐‘๐‘œ๐‘ข๐‘Ÿ๐‘ ๐‘’๐‘ , ๐‘™๐‘’ ๐‘‘๐‘–ฬ‚๐‘›๐‘’๐‘Ÿ ๐‘Žฬ€ ๐‘๐‘Ÿ๐‘’ฬ๐‘๐‘Ž๐‘Ÿ๐‘’๐‘Ÿ, ๐‘™๐‘’ ๐‘๐‘Ž๐‘–๐‘› ๐‘‘๐‘’๐‘  ๐‘’๐‘›๐‘“๐‘Ž๐‘›๐‘ก๐‘ , ๐‘ ๐‘œ๐‘› ๐‘ก๐‘Ÿ๐‘Ž๐‘ฃ๐‘Ž๐‘–๐‘™ ๐‘‘'๐‘’๐‘›๐‘ ๐‘’๐‘–๐‘”๐‘›๐‘Ž๐‘›๐‘ก๐‘’. ๐‘‡๐‘œ๐‘ข๐‘ก ๐‘๐‘’ ๐‘ž๐‘ข๐‘’ ๐‘™'๐‘œ๐‘› ๐‘‘๐‘–๐‘ก ๐‘’ฬ‚๐‘ก๐‘Ÿ๐‘’ ๐‘™๐‘Ž ๐‘๐‘œ๐‘›๐‘‘๐‘–๐‘ก๐‘–๐‘œ๐‘› "๐‘›๐‘œ๐‘Ÿ๐‘š๐‘Ž๐‘™๐‘’" ๐‘‘'๐‘ข๐‘›๐‘’ ๐‘“๐‘’๐‘š๐‘š๐‘’. Surprise par le nombre de pages en fait consacrées à la jeunesse de l'autrice. Son style dépouillé, distancié, "avec la simplicité et la densité de l'évidence"*, son ton affirmé pourtant. Elle dit qu'elle est ๐‘๐‘–๐‘’๐‘› ๐‘โ„Ž๐‘œ๐‘ข๐‘โ„Ž๐‘œ๐‘ข๐‘ก๐‘’ฬ๐‘’ ๐‘™๐‘Ž ๐‘™๐‘–๐‘๐‘’๐‘Ÿ๐‘ก๐‘’ฬ ๐‘‘๐‘’๐‘  ๐‘š๐‘Žฬ‚๐‘™๐‘’๐‘  et la vie efforcée des femmes tourmentante, accablante. Sa ๐‘™๐‘–๐‘”๐‘›๐‘’ ๐‘‘๐‘’ ๐‘“๐‘–๐‘™๐‘™๐‘’ partant dans tous les sens. Ils sont beaux les portraits de ses parents. Homme lent, rêveur, présence sereine et sûre, ๐‘ƒ๐‘Ž๐‘๐‘Ž-๐‘๐‘œ๐‘๐‘œ, indispensable, ๐‘ƒ๐‘Ž๐‘๐‘Ž-๐‘’๐‘›๐‘“๐‘Ž๐‘›๐‘ก, émerveillé, dont émane douceur et sollicitude. Et Œ๐‘‘๐‘–๐‘๐‘’ on s'๐‘’๐‘› ๐‘ก๐‘Ž๐‘๐‘’. Car sa mère est importante aussi. Maman ๐‘™๐‘’๐‘ ๐‘ ๐‘–๐‘ฃ๐‘’ฬ๐‘’, ๐‘Ÿ๐‘Ž๐‘ฆ๐‘œ๐‘›๐‘›๐‘Ž๐‘›๐‘ก๐‘’. Patronne. Qui favorise la lecture, le travail scolaire, l'ouverture au monde ๐‘“๐‘Ž๐‘–๐‘ก ๐‘๐‘œ๐‘ข๐‘Ÿ ๐‘ž๐‘ข'๐‘œ๐‘› ๐‘ '๐‘ฆ ๐‘—๐‘’๐‘ก๐‘ก๐‘’ ๐‘’๐‘ก ๐‘ž๐‘ข'๐‘œ๐‘› ๐‘’๐‘› ๐‘—๐‘œ๐‘ข๐‘–๐‘ ๐‘ ๐‘’. Enfance insouciante et conquérante, adolescence et jeunesse étudiante pleine d'ardeurs parfois réfrénées, et enfin, à partir de la page 109, la mise en ménage et la vie de femme enlisée. La résultante des injonctions sociales qui pèsent insidieusement sur les idéaux d'égalité dans le couple. Comment ai-je pu passer à côté ? En 2022, il était temps de les célébrer. Ce récit de soi féministe et sociologique. Cette écriture blanche et pourtant révoltée.

 

* Grégoire Leménager dans L'Obs au sujet du dernier livre d'Annie Ernaux : Le jeune homme.

 

L'รฉquation, belle facteur de plaire et de l'amour รฉgale le but de l'existence, elle est entrรฉe en moi comme dans du beurre et plus sournoisement qu'axยฒ + bx + c = O.

Quatre annรฉes. La pรฉriode juste avant.
Avant le chariot du supermarchรฉ, le qu'est-ce qu'on va manger ce soir, les รฉconomies pour s'acheter un canapรฉ, une chaรฎne hi-fi, un appart. Avant les couches, le petit seau et la pelle sur la plage, les hommes que je ne vois plus, les revues de consommateurs pour ne pas se faire entuber, le gigot qu'il aime par-dessus tout et le calcul rรฉciproque des libertรฉs perdues. Une pรฉriode oรน l'on peut dรฎner d'un yaourt, faire sa valise en une demi-heure pour un week-end impromptu, parler toute une nuit. Lire un dimanche entier sous les couvertures. S'amollir dans un cafรฉ, regarder les gens entrer et sortir, se sentir flotter entre ces existences anonymes. Faire la tรชte sans scrupule quand on a le cafard.

Suite ci-aprรจs

Une pรฉriode oรน les conversations des adultes installรฉs paraissent venir d'un univers futile, presque ridicule, on se fiche des embouteillages, des morts de la Pentecรดte, du prix du bifteck et de la mรฉtรฉo. Personne ne vous colle aux semelles encore. Toutes les filles l'ont connue, cette pรฉriode, plus ou moins longue, plus ou moins intense, mais dรฉfendu de s'en souvenir avec nostalgie. Quelle honte ! Oser regretter ce temps รฉgoรฏste, oรน l'on n'รฉtait responsable que de soi, douteux, infantile. La vie de jeune fille, รงa ne s'enterre pas, ni chanson ni folklore lร -dessus, รงa n'existe pas. Une pรฉriode inutile.

Jamais je ne serai si prรจs qu'ร  dix-sept ans de la libertรฉ sexuelle et de la sensualitรฉ glorieuse. Et je dรฉcouvre aussitรดt qu'elles ne sont pas possibles. La premiรจre diffรฉrence que j'ai perรงue clairement, elle m'a dรฉsespรฉrรฉe, je doutais qu'on pรปt la supprimer un jour." Garรงon au dรฉsir libre, pas toi ma fille, rรฉsiste, c'est le code. Pour rรฉsister, le jeu dรฉfensif habituel, dรฉcouper mon corps en territoires de la tรชte aux chevilles, le permis, le douteux champ de manล“uvres en cours, l'interdit. N'abandonner que pouce ร  pouce. Chaque plaisir s'est appelรฉ dรฉfaite pour moi, victoire pour lui. Vivre la dรฉcouverte de l'autre en termes de perdition, je ne l'avais pas prรฉvu, ce n'รฉtait pas gai.

C'รฉtait irrรฉel cet univers de lilliputien. Le sentiment d'une rรฉgression terrible, pour lui et moi. Couches, chemises premier รขge, deuxiรจme รขge, landeau. [...] Plus fortement que le jour de mon mariage, si lรฉger au fond, je me sens entraรฎnรฉe doucement, sous des couleurs layette, dans un nouvel engrenage.

Comment en parler de cette nuit-lร . Horreur, non, mais ร  d'autres le lyrisme, la poรฉsie des entrailles dรฉchirรฉes.

Au sujet de son premier accouchement

Moi aussi j'y ai cru au pense-bรชte des courses, aux rรฉserves dans le placard, le lapin congelรฉ pour les visiteurs impromptus, la bouteille de vinaigrette toute prรฉparรฉe, les bols en position dรจs le soir pour le petit dรฉjeuner du lendemain. Un systรจme qui dรฉvore le prรฉsent sans arrรชt, on ne finit pas de s'avancer, comme ร  l'รฉcole, mais on ne voit jamais le bout de rien.

Une voix qui dit des choses terribles, que personne d'autre que moi ne saura s'occuper aussi bien du Bicou, mรชme pas son pรจre, lui qui n'a pas d'instinct paternel, juste une "fibre". ร‰crasant.

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Au sujet de la maniรจre dont Annie Ernaux a redรฉfini le style littรฉraire en revendiquant une "รฉcriture plate" qui ne cherche pas ร  embellir le rรฉel, mais ร  nous y confronter.

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Émission La grande librairie consacrée à Annie Ernaux

le mercredi 19 octobre 2022 à revoir sur France5.tv

 

 

Rรฉdigรฉ par Nota Bene

Publiรฉ dans #Je lis, #Je veille

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