Deux soeurs

Publié le 17 Décembre 2019

Deux soeurs

Pendant toute l’après-midi, Mathilde avait repensé à cette expression : nager dans le bonheur. Que se passe-t-il quand on atteint le rivage ?

Mathilde, trentenaire, prof de lettres passionnée par son métier en général et l'analyse de L'éducation sentimentale de Gustave Flaubert en particulier, partage sa vie avec Étienne. L'été dernier, en Croatie, les mots "mariage" et "enfant" se sont invités dans leurs conversations : Mathilde en est rayonnante. Mais quelques temps après leur retour, Étienne change d'attitude. Il est distant, gêné, et finit par lui annoncer que leur histoire est terminée. Pour Mathilde commence alors, comme on le dit communément, une descente aux enfers. Elle est au prise avec les tourments de l'abandon et de la jalousie. Elle perd pied professionnellement, ce qui ne va faire qu'accentuer sa souffrance et précipiter l'apparition d'une facette de sa personnalité totalement glaçante. C’est une banale histoire de rupture amoureuse. C’est l’histoire d’une femme laissée sur le carreau, sidérée et meurtrie, qui met du temps à comprendre que la rupture est définitive. Mais cela devient un thriller psychologique effroyable. D'un ton faussement badin, avec des notes de bas de page parfois savoureuses qui permettent au lecteur de prendre du recul sur le désarroi du personnage et d'éviter tout pathos, David Foenkinos nous happe et nous fait vivre l'intense chagrin de Mathilde. Le roman se lit vite et la tension va crescendo. Agathe, la sœur bienveillante de Mathilde, va lui proposer de venir vivre chez elle avec son mari Frédéric (tiens, Frédéric, comme le héro romantique du roman cher à Mathilde ?) et sa toute petite fille Lili. Faisant mine de rassurer Agathe, Mathilde va pourtant s'enfoncer dans le désespoir et développer un dégoût de soi et des autres. La sororité ne sera pas sa bouée de sauvetage, ou alors d'une manière bien épouvantable... Un roman bien mené, dont on peut deviner le dénouement par ailleurs glauque et quelque peu parachuté, mais qui nous emporte sur les rivages marécageux du désespoir amoureux d'une façon originale et maîtrisée. J'ai aimé ! L'ironie des notes de bas de page ou de certaines réflexions (comme celles relatives à la collègue de Mathilde) n'y est pas pour rien.

 

Mathilde le remercia en tentant de reprendre possession de ses émotions. Mais son visage semblait un royaume autonome et inondé, frappé par un déluge impossible à maîtriser.

Ne voulant pas traiter sa voisine en patiente, la psychiatre proposa un thé encore une fois. Elles le burent dans la cuisine. A vrai dire, il s'agissait d'une infusion "Nuit Calme". Si seulement c'était vrai, pensa Mathilde. Si seulement on pouvait boire le programme de nos prochaines heures. Elle rêvait de cette nuit calme, et cette boisson allait lui offrir l'espoir de la vivre. En vain, elle buvait un mensonge.

Mathilde enchaîna trois whiskies sans même se sentir étourdie. Avant, deux coupes de champagne suffisaient à la faire tituber. La souffrance condamne à la lucidité. Il est de plus en plus difficile de s'échapper de soi.

À vrai dire, le problème n’était pas le métier. Le vrai problème, c’étaint les livres. Mathilde en avait trop lu. On ne pouvait pas être heureux quand on avait trop lu. Tous les malheurs venaient de la littérature. Elle enviait le manque de culture littéraire de sa sœur ; elle enviait cette vie où Flaubert n’était qu’un vague souvenir scolaire.

Rédigé par Nota Bene

Publié dans #Je lis

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