L'élégance des veuves
Publié le 13 Février 2020
Un joli et court roman à l'atmosphère surannée, qui parle des femmes de la bourgeoisie du XXe siècle : des mères dévouées, des veuves éplorées. Une saga familiale racontée de façon linéaire, au rythme des faire-parts de mariage, de naissance et de décès. Une écriture classique, élégante, parfois sensuelle et toujours respectueuse, au service du récit de quatre générations de femmes. Valentine l'aïeule, Mathilde sa belle-fille et Gabrielle la cousine, et dans une moindre mesure Clothilde (la fille de Gabrielle) et enfin l'arrière-petite-fille de Valentine dont nous ne saurons pas grand chose mais que nous verrons emprunter l'intemporel chemin de la vie amoureuse et familiale. Au cours de ce XXe siècle, tout change : les paysages, les technologies, les mœurs... mais cela transparaît très peu dans le roman. S'en est d'ailleurs un peu étonnant. Une chose demeure : le désir opiniâtre de donner la vie, de transmettre puis de tirer sa révérence. Les femmes aiment ou apprennent à aimer - car à cette époque les mariages ne sont pas tous des mariages d'amour - enfantent, parfois trop, et assistent impuissantes et dignes à la mort de ceux qu'elles aiment, enfants ou maris. Elles meurent bien souvent "en couches" ou dans la solitude de la vieillesse. On ne peut que poser un regard admiratif sur leur abnégation à elles et sur l'élégante écriture de celle qui porte leurs voix. Seul bémol, l'absence totale de revendication, d'ouverture à autre chose qu'une vie rangée dans le mariage et la maternité, même dans l'évocation de la dernière génération. Mais assurément un joli texte qui parle de "secrets de chair, de sang, et d'enfants".
Et vous, l'avez-vous lu ?
Avez-vu son adaptation sur grand écran ?
En une année, celle de ses vingt ans, elle fut fiancée officiellement, mariée religieusement, installée bourgeoisement, ardemment fécondée et douloureusement accouchée : la vie de Valentine commençait à être ce qu’elle se devait d’être.
Alors Mathilde se déploya comme une corolle, peu à peu s'enflamma, fut une liane autour du corps d'Henri. Il prit garde à elle comme jamais il ne l'avait fait pour une autre. Il était ébloui, et presque surpris par sa beauté. (car jamais il ne s’était représenté ce corps, ni même qu'elle en avait un.) Il l'a senti s'ouvrir sous lui, devenir son amante, son havre, son désir, ses longs bras de jeune fille lisse l'entourant puis se dépliant loin de lui, en un geste alterné d’accueil, de capture et de délassement. Et après ce don, après cette manière douce de se goûter, après cela qu'elle n'avait jamais connu, jamais imaginé, jamais craint, elle s'endormit comme une enfant, elle la jeune fille la moins convenue et la plus éclatante de vitalité.
Mathilde mis au monde le premier de ses enfants. En une nuit elle découvrit la douleur violente. Elle connut l'envie de hurler, le temps où se domine cette envie, celui où l'on s'y abandonne. Elle souffrit l'épuisement, cette manière inhabituelle qu'à la tête de vous tourner, la conscience de s'estomper dans un brouillard. Elle sut la délivrance, toute l'eau et le sang qu'elle avait dans le corps, et comment elle était capable de fabriquer au dedans d'elle figure humaine. Au terme de cette naissance, elle sentit qu'elle était née aussi.