La chaleur

Publié le 29 Mars 2020

La chaleur

Oscar est mort parce que je l'ai regardé mourir, sans bouger. Il est mort étranglé par les cordes d'une balançoire, comme les enfants dans les faits divers.

Ainsi commence, de façon déroutante, le premier roman de Victor Jestin. Ce jeune nantais d'origine fait une prometteuse entrée en littérature en nous proposant un roman moderne à l'ambiance prosaïque et pesante.

Le faux calme des pins, le fracas des vagues dont on sait bien qu'elles ont déjà tué [...]

Un camping lors d'une journée d'été caniculaire, voici le décor de l'histoire de Léonard, un adolescent de 17 ans en vacances dans Les Landes avec sa famille. Une unité de lieu et de temps : un cadre resserré pour un condensé à la fois trivial, pathétique et sensuel des élans de vie à l'oeuvre dans un camping du littoral. Léonard est à côté de ses tongs. Il peine à s’amuser et à se plier au conformisme divertissant imposé par les vacances en camping : oisiveté, festivités, corps huilés, parties de ping-pong ensoleillées et baignades salées... Un soir, il assiste à la mort accidentelle et presque burlesque d’Oscar, un garçon de son âge. Il n’intervient pas. N’empêche pas les cordes de la balançoire de se serrer ni le décès d’advenir. Il décide alors, de façon tout à fait irrationnelle, de transporter et enterrer le corps sous le sable de la plage. Le lendemain, chargé d’une implacable culpabilité, Léonard parviendra tant bien que mal à déambuler dans les allées du camping en pleine torpeur. Pire encore, il se rapprochera de Luce, l’ex de vacances d’Oscar, tout juste mort. L’atmosphère chargée et menaçante, mêlée à la juste description de la vie du camping, ainsi que l’écriture efficace, sont les points forts de ce roman. Le regard cynique de l’auteur est au service d'une intrigue oppressante et d'une certaine satyre sociale. La chaleur est un roman à la prose économe qui se lit d’une traite et nous fait perdre pied devant l’alternative offerte à l’adolescent : avouer l’impensable ou sauver sa peau ?

 

Le camping avait ses propres lois. Deux semaines de vacances, c’était une vie entière. On y arrivait comme on naît, pâle et seul. On en repartait dans un soupir de tristesse ou de soulagement comme on meurt. Les amitiés se faisaient, se défaisaient au détour des allées. Les coeurs s’enflammaient et se brisaient dans une même journée. J’avais vu quelque fois Luce et Oscar être amis, être amoureux, ou s’ignorer. Je marchais désormais avec elle comme si j’étais lui.

J'ai senti ma lèvre trembler et les larmes revenir du fond de la nuit dernière, rattraper leur retard. Peu de bêtises en dix-sept ans. Aucune véritable grosse bêtise. Je n'avais jamais triché, volé, frappé. Insulté rarement. La haine et la colère, je les avais accumulés sagement. Ce n'était pas un accident. J'avais laissé mourir Oscar. J'aurais pu le sauver et je ne l'avais pas fait. Ensuite, j'avais caché son corps. Je ne me rappelais plus pourquoi. J'aurais pu m'en aller. On l'aurait découvert au même endroit. On aurait vu les marques sur son cou et l'alcool dans son sang, on aurait noté l'heure du décès. Cela aurait jeté un froid tel que tout le monde serait parti, moi compris, loin d'ici. Mais je l'avais enterré. C'était ça, la vraie bêtise. J'avais consacré ma nuit à enterrer un mort.

Rédigé par Nota Bene

Publié dans #Je lis

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