Le discours
Publié le 3 Mars 2020
Le repas de famille. La pause. Silences. J'ai 40 ans et j'achète des Tic tac pour cacher à mes parents que je fume. Voici quelques idées de titres qui auraient pu être choisis pour le roman de Fabrice Caro (alias Fabcaro, auteur de bande dessinée à l'humour si distinctif, dont j'ai déjà lu ou survolé Et si l'amour c'était aimé ? et Formica : Une tragédie en trois actes). Il met ici en scène Adrien, un anti-héros quelque peu pathétique et autocentré. Désabusé et terriblement attachant, il cache sa tendresse derrière un cynisme désopilant. Lors d'un repas de famille dominical sous le signe du gratin dauphinois, des sourires de façade et des discussions passionnées sur les avantages du chauffage au sol, l'attention d'Adrien est happée par une insoutenable attente : celle de la réponse de Sonia à son sms. Elle lui a déclaré il y a trente-huit jours qu'il valait mieux qu'ils "fassent une pause". Adrien, fébrile, guette la moindre vibration de son téléphone, tout en essayant de faire bonne figure face à ses parents, sa sœur et son beau-frère. Et c'est le jour que choisit ce dernier pour lui demander de faire un discours à leur mariage prochain. Mélancolie et humour cinglant sont les piliers de ce roman qui vous fera pouffer de rire à chaque page et réfléchir à la façon dont vous vous comporterez au prochain repas de famille. À lire d'urgence pour faire travailler vos zygomatiques.
Dans la vraie vie, on ne dit pas J’ai besoin d’une pause, ça ne se fait pas, ce n’est pas inscrit dans les codes sociaux. Lorsqu’on est invité à un repas, par exemple, on ne se lève pas soudain en disant J’ai besoin d’une pause, on ne prend pas son imper dans le vestibule et on ne claque pas la porte sans autre explication et justification que J’ai besoin d’une pause. On dit par exemple je suis désolé, ma mère a fait un AVC, je suis très inquiet, je dois vous quitter, ou bien je suis désolé, je suis vegan, je ne supporte pas la vue de ce gigot et de manière générale tout ce qui rappelle la souffrance animale, ce n’est pas contre vous, je suis hypersensible, excusez-moi, on ne dit pas J’ai besoin d’une pause sans rien derrière, sans rien autour.
Et il m’a toujours semblé, paradoxalement, qu’un repas de famille sans silences était le signe d’une famille malade. À mes yeux, l’archétype d’une famille saine, unie et équilibrée est précisément un repas plein de silences, d’échanges de regards tendres, de sourires, d’instants suspendus, on se regarde la bouche pleine, on est ensemble, on est là, on est bien, et ça suffit, pas besoin de se remémorer cette fameuse daube de taureau qu’on avait mangée à Arles en 2013, Tu te souviens ma chérie ? Cherchons ensemble la date exacte de cet événement afin de gagner la partie sur un silence qui nous mettrait tous très mal à l’aise, veux-tu ?
Tu as l'air fatigué Adrien, tu es sûr que tu dors assez ? Ma mère me trouve toujours amaigri, toujours pâle. Non maman, je ne suis pas fatigué, je vieillis.