Lettre d'amour sans le dire
Publié le 27 Août 2020
On m’a dit qu’au Japon, les gens qui s’aimaient ne se le déclaraient pas. Qu’on évoquait l’amour tout autour, l’état amoureux comme une chose qui dépasse les êtres, les enveloppe, les révèle ou les broie. On ne dit pas "je t’aime" mais "il y a de l’amour", comme il y a du soleil.
Après avoir beaucoup vu circuler cette première de couverture au joli bandeau sur bookstragram, je me suis laissée tentée par le dernier roman d'Amanda Sthers paru chez Grasset au mois de juin. Cette auteure m'était jusqu'alors inconnue. Tout le bien que j'ai pu lire de ce court roman s'est confirmé sous mes yeux. D'ailleurs, il a depuis gagné le Prix "Mon livre de l'été" initié par France Télévisions (article de Livres Hebdo à ce sujet par ici). Ce roman est une longue lettre adressée par Alice, professeur de lettres et future jeune grand-mère de 48 ans, à Akifumi, un masseur japonais rencontré à plusieurs reprises dans un salon de thé. Après une enfance et une adolescence traumatisante puis une vie tiède et quelque peu désincarnée, les doigts respectueux d'Akifumi la font revenir à elle et à son désir de femme. Elle s'autorise soudain à croire au bonheur. Pendant plusieurs mois, Alice prend rendez-vous au salon de thé pour se faire masser par cet homme, sans jamais lui parler de son apprentissage du japonais, entrepris par amour. Elle tait ses sentiments mais prend finalement la plume le jour où elle perd la trace de cet homme délicat. Elle lui écrit alors avec pudeur son histoire et son amour naissant. Amanda Sthers nous livre un roman délicat, aussi pudique que bavard, et nous conte l'éveil d'une femme à la sensualité.
J'ai moins eu l'impression de vivre ma vie que d'avoir été vécue par elle.
Jamais je ne m’étais fait autant masser. Nous n’avions pas beaucoup de moyens et j’ai toujours donné la priorité à d’autres choses. Le corps n’avait pas de place dans nos vies. Nous l’habitions pour nous déplacer, manger, prendre du plaisir honteusement ou recevoir des coups, mais l’idée qu’il puisse exister en soi ne faisait pas partie de mon éducation.
Je sais maintenant que le mot Ukiyo n’existe pas dans mon langage, qu’il veut dire profiter de l’instant, hors du déroulement de la vie, comme une bulle de joie. Il ordonne de savourer le moment, détaché de nos préoccupations et du poids de notre passé.