La terre, le ciel, les corbeaux

Publié le 30 Mars 2022

La terre, le ciel, les corbeaux

Ça commence par une histoire drôle [...] C'est l'histoire d'un italien, d'un russe et d'un allemand.

Voici une bande dessinée parue tout récemment chez Glénat, signée du couple italien Teresa Radice (au scénario) et Stefano Turconi (à l'illustration). Elle raconte la rencontre et la fuite de trois hommes échappés d'un camp de prisonniers gardé par l'armée russe, à la fin de l'hiver 1943. Fuchs est un soldat allemand, Attilio, le narrateur, est italien, et Ivan, de l'Armée rouge, accompagne les deux autres sous la menace. Le récit est celui d'une course folle contre une mort presque inéluctable, celui d'une marche longue et pénible dans des paysages de forêts enneigées. Se tenant à distance des troupes allemandes et soviétiques, ils bénéficient de l’hospitalité des populations rencontrées sur leur route, se ménageant ainsi des pauses bienvenues dans leur périple glacé. Mais le danger se fait de plus en plus pressant, mettant à mal les liens qui s’étaient peu à peu tissés. Oscillant entre amitié et méfiance, les personnages cherchent à économiser leurs forces et leur salive. Chacun parle sa langue, non traduite dans les bulles, à l’exception de l’italien, langue du narrateur. Le lecteur non germanophone ou russophone est donc forcément un peu déstabilisé. Mais on comprend très vite que cette incompréhension sert l’histoire, en rendant très concrète l’incertitude linguistique qui entretient la méfiance de chaque personnage à l’égard des autres. Le scénario, très bien construit et divisé en plusieurs parties matérialisées par des citations de Tolstoï, est rythmé par une série de flashbacks. Attilio se remémore sa vie d’avant, dans un village au-dessus du Lac de Côme. Une vie faite de petits et de grands bonheurs, mais aussi de blessures, que l’on découvre au fur et à mesure. Le dessin à l’aquarelle est superbe. Certaines planches appellent une pause contemplative - renforcée par l'absence de texte - pour s'imprégner de la délicatesse du travail sur les couleurs de la nature. On profite de la combinaison de deux talents, graphique et littéraire. En effet, la narration elle-même se tient parfaitement et offre des réflexions profondes et poétiques (sur la politique, l'émancipation, l'affection...). Le rythme est parfois un peu lâche et certaines planches tout à tour très contemplative ou très verbeuses. Pour autant, on se soucie du sort des protagonistes et on parcourt les paysages glacés au même rythme, le cœur tendu vers un espoir de fraternité et d'apaisement retrouvé.

 

Le salut, à mon humble avis, n'est pas d'être fidèle à ses certitudes, mais d'apprendre à s'en libérer.

Comme vous deux, je suis affamé et en colère. Et je sais que la faim et la rage, quand on est seul, mènent au désespoir. Partagées, en revanche, c'est un carburant qui incendie le monde.

Pour moi, le respect cache un vide où devrait se trouver l'affection.

Il parle de la guerre comme une solution politique. À ça, je réponds que lorsque la guerre est là, la politique a échoué depuis un moment.

Elle qui a la splendeur têtue des roseaux qui apprennent à se plier au vent sans ne jamais céder.

Et nous, plongés dans nos propres pensées, la voyons disparaître, engloutie dans l'immensité de ce pays... avec son lot de joie, de jeunesse et de jalousie.

Nous ne nous sommes pas laissé abattre au point de ne plus savoir rire. Rire rééquilibre les disgrâces. Rire empêche l'adversité de te faire perdre la tête. [...] C'est une défense, un bouclier, une ressource des êtres humains.

J'ai la vie plein les yeux, les oreilles, le palais ! La vie est une explosion de vermillon, de coquelicots sur les traverses [...]. La vie est une bouteille qui se vide dans une auberge qui se remplit de fumée et de récits.

Elle m'a parlé d'une antique pratique japonaise pour réparer la porcelaine. On utilise de l'or liquide pour souder et assembler les fragments. Une façon d'embellir les cassures et faire de chaque objet brisé une œuvre unique et irremplaçable. Tout cela grâce aux blessures que l'objet a subies. Les fragments, plus que les parties saines, sont ce qui nous définit vraiment.

La terre, le ciel, les corbeaux
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La terre, le ciel, les corbeaux

Rédigé par Nota Bene

Publié dans #Je lis aussi des BD

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