Regarde les lumières mon amour
Publié le 9 Novembre 2022
Regarde les lumières mon amour, publié pour la première fois aux éditions du Seuil en 2014, explore une forme insolite, à mi-chemin entre l'essai et le journal de bord, et un sujet peu présent en littérature : l'hypermarché. Pour autant, on y retrouve l'écriture de l'intime d'Annie Ernaux ainsi qu'une fine observation du monde et des rapports socio-économiques. Annie Ernaux s'intéresse ici aux lieux, aux clients et aux personnels d'un hypermarché Auchan de la région parisienne. Sous forme d'un journal de bord tenu pendant une année, elle mêle descriptions, analyses, anecdotes et souvenirs personnels. On perçoit l'ambition sociologique assumée de l'autrice qui s'efforce de déshabituer son regard et le nôtre de ce lieu familier. Le style est clairement moins "littéraire" que dans ses autres livres. Dérives de la société de consommation, inégalités sociales, répartition sexiste des rôles dévolus aux hommes et aux femmes... Annie Ernaux met en évidence l'hypermarché comme produit de notre société et miroir de celle-ci, tel l'artiste américain Duane Hanson avec sa Supermarket Lady en 1970. Dans un entretien accordé aux éditions Flammarion en 2018 pour la parution de ce texte dans la collection Étonnants classiques, elle dit que le titre, phrase prononcée par une maman à sa petite fille dans l'hypermarché au moment de la période des fêtes de fin d'année, renvoie "à cette illumination de la marchandise, à sa séduction. Mais pas seulement : au besoin de beauté et de rêve, que ce lieu comble aussi." Le consumérisme induit suppose désir et frustration. C'est tout l'objet du livre d'Annie Ernaux, dans lequel on se reconnaît un peu, forcément.
Pas d'enquête donc ni d'exploration systématique donc, mais un journal, forme qui correspond le plus à mon tempérament, porté à la capture impressionniste des choses et des gens, des atmosphères. Un relevé libre d'observations, de sensations, pour tenter de saisir quelque chose de la vie qui se déroule là.
[J'ai] mesuré de plus en plus la force du contrôle que la grande distribution exerce dans ces espaces de façon réelle et imaginaire - en suscitant les désirs aux moments qu'elle détermine -, sa violence, recelée aussi bien dans la profusion colorée des yaourts que dans les rayons gris du super discount.
Parce que voir pour écrire, c'est voir autrement. C'est distinguer des objets, des individus, des mécanismes et leur conférer valeur d'existence.
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