La vie est à nous
Publié le 2 Février 2024
Voici la suite du roman d'Hadrien Klent Paresse pour tous dont je parlais en mai dernier. Il s'ouvre sur un habile résumé du premier tome, associé à une auto-critique pertinente et plutôt drôle. J'ai presque eu l'impression que l'auteur m'avait lu. Extrait : "On pourrait reprocher à l'auteur un certain goût pour les facilités narratives [...], une manière d'écrire un peu simpliste [...], et certaines caricatures partisanes [...]. Mais l'ensemble se lit avec plaisir et intérêt, notamment parce que l'auteur prend soin de résumer les thèses économiques du candidat, celles à partir desquelles il a bâti son programme [...]".
Dans ce deuxième tome, Émilien Long est président de la République française depuis trois ans et il est à une semaine d'une décision importante à prendre. Un référendum doit avoir lieu le dimanche pour demander aux Français s’ils sont favorables au passage à une Ve République colibre dirigée par six co-présidents. Si le non l'emporte, Émilien, quelque peu désavoué, devra choisir entre aller vaille que vaille au bout de son mandat ou démissionner. Si c'est le oui, il devra également décider de se lancer dans une campagne pour être co-président ou de passer le relai à d'autres. Là encore on a donc "la volonté de créer un suspens en réalité artificiel" car on se doute du résultat à venir. Mais peu importe, ce qui compte c'est la posture idéologique que cela induit pour le protagoniste. Exercer le plus longtemps possible son pouvoir pour continuer à faire évoluer la société ou être en accord avec ses valeurs de coliberté ("pacte social qui offre une très forte réduction du temps de travail individuel pensée dans un cadre collectif"), de décroissance et de bien-vivre, pensées en parallèle d'une interrogation sur notre rapport au pouvoir et à la figure de l'homme providentiel. Comme si cela ne suffisait pas, la veille du référendum, il doit au nom de la France et du Bhoutan proposer l'adoption d'une résolution sur la coliberté à l'ONU avec pour objectif de "développer une réduction globale du temps de travail, sans baisse de salaires, et articulée à une hausse de l'attention portée aux autres et à la planète."
Nous suivons le président et son équipe, en particulier le désormais ministre des Affaires étrangères Souleymane Coly, dans leurs souvenirs et leurs activités. Émilien entretient une relation (ce n'est pas encore officiel) avec la mexicaine Luz Cacho-Gimenez, la secrétaire générale de l'ONU, ce qui pèse d'ailleurs dans la balance de ses réflexions. Ses enfants sont devenus des collégiens réclamant à corps et à cris un téléphone portable. Beaucoup de choses ont été remises à plat ou initiées depuis le début de sa présidence en plus de la réduction conséquente du temps de travail : la stature présidentielle (la façon dont on s'adresse à lui, les moyens mis en œuvre pour sa sécurité, ses déplacements...), un plan de transition écologique de l'agriculture (arrêtez tout pesticide…), la refonte des indicateurs de développement (coupler au PIB la notion de bonheur…), un plan quinquennal pour un service public numérique (renoncer aux outils des Gafam, promouvoir les logiciels libres…), etc. Même si tout n'est pas toujours rose, comme pour les agriculteurs par exemple, les choses avancent. Et les adversaires politiques n'en sont que plus caricaturaux.
Malgré des propos redondants, le roman est riche de réflexions, de références (Paul Lafargue, Léon Blum, Guy Debord...) et de pistes de mise en œuvre du bien-vivre. Y est également imbriquée une mise au point sur le concept d'anarchie, l'idée d'horizontalité et de désacralisation du pouvoir. Un manifeste à lire sans hésiter pour s'interroger et prendre joyeusement la mesure du chemin à parcourir.