La police des fleurs, des arbres et des forêts
Publié le 11 Avril 2024
Romain Puértolas nous promet un roman policier avec "une fin dont vous vous souviendrez longtemps". Et je peux vous dire qu'il tient totalement sa promesse ! Le lecteur est embarqué en juillet 1961 dans un petit village perdu du nom de P. qui se trouve tout récemment coupé du monde suite à un violent orage. Les lignes téléphoniques étant coupées, l'officier de police "de la grande ville" chargé de l'affaire doit rendre compte à Madame la procureur de l'avancée de son enquête par le biais de lettres. On se lance donc à la fois dans un roman épistolaire et une enquête policière. Il s'agit de faire la lumière sur les circonstances du meurtre de Joël, 16 ans, dont le corps a été retrouvé en morceaux dans des sacs en papier des Galeries Lafayette, dans une cuve de l'usine de confiture appartenant à Monsieur le maire. Pour cela, l'officier peut plus ou moins compter sur son magnétophone dernier-cri, la bonhomie du garde-champêtre et l'unique médecin-vétérinaire-légiste du village. Au fil de ses investigations, le policier s'entretient notamment avec Félicien, chez qui vivait Joël, la voisine, la fleuriste, le maire. Un élément l'intrigue : une variété de fleurs peu commune retrouvée avec les morceaux du corps.
Se plonger dans les années 60 a été délicieux. Ce polar bucolique, avec un jeune "inspecteur" qui débarque à la campagne, est complètement cocasse. Les propos tenus dans les lettres sont savoureux car l'officier ne peut s'empêcher de faire part à sa supérieure de ses observations, avisées de commentaires personnels. Il retranscrit également les enregistrements effectués sur bandes magnétiques en les contextualisant. C'est insolite, bien écrit, rythmé et réjouissant. Et, en plus de cette intrigue bien écrite et bien menée, la fin est ÉPOUSTOUFLANTE ! Elle mérite que, pour ménager son effet, je n'en dise pas plus.
❤
Bénie soit madame la Procureur de la République (vous voilà sanctifiée !) pour avoir envoyé aussi vite un inspecteur de police de la grande ville ! s’exclame le garde champêtre chef Jean-Charles Provincio, les mains crispées sur le volant. On n'a pas l’habitude de ce genre d’horreurs. Ici, c’est plutôt la police des fleurs, des arbres et des forêts, si vous voyez ce que je veux dire. Les braconniers, les querelles entre paysans pour un centimètre de terre, les incendies provoqués par des pique-niqueurs insouciants. C’est bien la première fois de ma carrière que je vois une atrocité pareille. D’ailleurs, en y pensant bien, y a jamais eu de crime à P., que des morts naturelles, quelques suicides à la rigueur. [...]
[...] Pour notre premier meurtre, on n’a pas fait dans la demi-mesure. J’imagine que ça doit être votre pain quotidien, inspecteur.
Ne vous inquiétez pas, les ouvriers des Postes et Télégraphes (P & T) sont à la tâche et la communication devrait être rétablie en fin de semaine. Mais avouez qu'il y a un certain charme à retrouver le plaisir d'une bonne lecture, d'une conversation entretenue au rythme du courrier et un peu de lenteur dans ce monde au tempo effréné.
Tout comme il y a un garde champêtre, il y a un restaurant. À P., tout existe à l’unité. Le boucher, le facteur, le médecin. Cela me rappelle les comptines de mon enfance, récits allégoriques d’antan, ou un personnage, la boulangère locale, par exemple, représentait par extension toutes les boulangères du monde.
Je ne dois pas me laisser charmer par une suspecte.
Mais comment faire ?
Elle est la plus belle fleur de sa boutique, c’est indéniable.
Et, telle une abeille, me voilà maintenant prisonnier de ses sucs…
J'aime relire les livres. On y trouve toujours un détail que l'on n'avait pas remarqué la première fois. C'est peut-être parce que l'on se focalise trop sur quelque chose, que l'on se met des œillères et que l'on ne voit plus le reste, qu'on ne discerne plus que ce qui nous intéresse. Une enquête, c'est un peu pareil.