Une sirène à Paris
Publié le 25 Juin 2019
Lecture du dernier roman en date de Mathias Malzieu. Une écriture toujours aussi pleine d'associations poétiques et qui fait cette fois la part belle à la romantique ville de Paris : sa Tour Eiffel étincelante, ses quais de Seine joyeux et ses parapluies multicolores.
Il pleuvait en plein soleil sur Paris, ce 3 juin 2016. La Tour Eiffel se laissait pousser les arcs-en-ciel. [...] Sur les berges des roseraies de parapluies fleurissaient en accéléré.
Elle leva péniblement sa nageoire qui flottait au-dessus de la baignoire tel l'étendard d'une contrée magique. Au moindre mouvement, son visage se crispait de douleur. Le sang bleu perlait le long de ses écailles.
La plume du parolier est envoûtante, à l'instar du chant de la sirène qu'il met ici en scène / Seine ! En juin 2016, la décrue du fleuve laisse apparaître une sirène blessée. Un homme, Gaspard, va la ramener chez lui afin de la soigner dans sa baignoire. On sait bien pourtant qu'à tout homme séduit par une sirène est promis une mort inéluctable...
Le jour entra dans la nuit telle une goutte de lait dans un café noir.
L'imagination fantasque de Mathias Malzieu est globalement toujours aussi plaisante. Ce nouveau conte pour adultes nous fait rire et pleurer tout en nous promenant sur les rives magiques de l'imaginaire enfantin. Cette pourtant bien une histoire de grandes personnes : elle nous parle d'amour, de réticences, de résistance à la morosité et aux injonctions et de confiance. Je regrette toutefois la mise en scène qu'il fait de lui-même. Le personnage principal, Gaspard, est sans ambiguïté le double de papier de Mathias. Cela a toujours été plus ou moins le cas dans chacun de ses romans mais ici c'est trop flagrant, sans nuances et sans réelle justification. Je reste donc sur le sentiment d'un univers séduisant mais un peu moins riche et prometteur que les fois précédentes à cause de cet égocentrisme qui pourrait finir par le faire tourner en rond... et le lecteur avec lui. Cela déteint sur sa capacité à se renouveler littérairement. J'ai trouvé redondant certains mots, expressions ou situations qui font inexorablement partie du registre de langue de l'auteur : flocon de neige, porcelaine, skateboard, le côté femme fatale d'une fumeuse de cigarette... En outre, j'ai tiqué sur un jeu de mots d'une légère vulgarité : "Sa bouille à fossettes et son boule à facettes lui donnaient un côté princesse disco." (p. 74).
Lula observait ses moindres gestes, troublée par l'enthousiasme de Gaspard. On aurait dit un jeune papa préparant son premier sapin de Noël.
Mathias Malzieu imagine une histoire qui fait étrangement écho au drame de Guillermo del Toro : La forme de l'eau. C'est d'ailleurs sur grand écran, sous les traits de Clémence Poésy, que sa sirène Lula fera bientôt entendre sa voix. Un album éponyme du groupe Dionysos sera également disponible. Une découverte artistique à mener sur différents supports, qu'on soit un inconditionnel de l'auteur ou non.
La nuit tombait sur Paris. Les peintres du crépuscule avaient fait du bon boulot : les ocres explosaient sur les quais humides, les nuages éventrés saignaient le long du fleuve. L'un deux, accroché aux aiguilles des horloges du quai d'Orsay, s'effilochait comme une pelote de laine.