Longtemps je me suis couché de bonheur, avec mes livres et ma lampe de poche. Dès que j'allumais ma lampe, les personnages sortaient d'entre les pages. En foule. Avec les voisins, les chevaux, les oiseaux, les Martiens ambidextres, les héros peureux, les maléfiques, les surpuissants, les traîtres, les anodins, les ensorcelés, les injustement condamnés, les invisibles, les souterrains, les faces d'ange, les princesses à délivrer. Personne ne saura jamais combien nous étions sous la couverture.
Dans la catégorie "je persévère", j'ai repris entre mes mains ce très court livre autobiographique de Julia Kerninon. Pour valeur de test avant d'éventuellement me plonger dans son dernier roman Sauvage. Car cette jeune romancière nantaise, dont j'avais déjà essayé de lire ce fragment autobiographique ainsi que quelques lignes de Liv Maria, je me devais de la connaître, quand bien même ma lecture de Toucher la terre ferme n'avait pas été particulièrement enthousiasmante. Je suis allée au bout des quelques pages. Conclusion : malgré des phrases à rallonge, des qualités littéraires indéniables. Mais aussi la confirmation de ce dont j'avais eu l'intuition précédemment : un léger égocentrisme et une fierté mal placée d'intellectuelle.
Dans ce texte, elle revient sur son enfance, son adolescence et le début de sa vie d'adulte mus par sa passion pour la lecture et l'écriture. Elle nous parle de l'histoire de ses parents instituteurs, de sa reconnaissance pour ce qu'ils lui ont permis de devenir, de ses atavismes. Beaucoup moins de sa pauvre sœur qui ne semble être qu'un tardif élément de son décor. Elle évoque quelques frasques de jeunesse (heureusement pas autant que dans Toucher la terre ferme). Elle raconte aussi ses jeunes années avant d'être publiée, lorsqu'elle travaillait comme serveuse l'été au bord de l'Atlantique, tout en vivant des amours passionnés et en passant de nombreuses heures à écrire. C'est là qu'elle m'a perdu je crois : en faisant part du travail si harassant, si méritant, si besogneux qu'elle a expérimenté. Je dirais aussi : si banal.
Pour autant, elle écrit bien. Ce qui donne envie de voir ce que sa langue peut donner à l'épreuve de la fiction. Elle semble également faire preuve de convictions féministes intéressantes. En outre, dans ce texte, elle confie quelques anecdotes touchantes de son enfance autour de la thématique de la lecture qui ne peuvent que résonner dans le cœur, comme elle dit avoir été surnommée par certains membres de sa famille, d'une bookish.
Bookish : adjectif. Se dit d'une personne qui adore la lecture, qui est studieuse. Synonyme : intello.
J’imagine que j’ai souri, mais je ne sais pas. Je sais seulement que j’ai lu ses livres, dès que j’ai appris à déchiffrer l’alphabet, j’ai exploré chaque recoin du palais qu’elle m’avait construit, je me suis perdue et retrouvée, j’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour la satisfaire, la réparer, la récompenser de l’effort immense qu’il avait dû lui falloir pour signifier cela à son premier enfant. J’ai lu. J’ai lu des livres sans cesse, dans une frénésie panique, en cherchant à rattraper le temps, à rattraper ma mère qui semblait tout savoir.
Ma vie je la passe à lire des livres pour remettre les choses en place, pour me déplier, et c'est comme chanter tout bas à ma propre oreille pour me réveiller.
Comme des repères, les livres nous mènent à d'autres livres, ils nous font ricocher - nous lisons comme Dante se laissant guider par Virgile dans la forêt sauvage du péché. Dans les bibliothèques, dans les librairies, les voir tous côte-à-côte, si nets, comme des compartiments dans un columbarium, chacun renfermant une voix, une aria, je ne connais rien de mieux. Je reviens toujours là. C'est tout.
Dans mon enfance, l'excès ne m'a pas été désigné comme un défaut - et sans doute était-ce une erreur - mais depuis j'arpente la littérature comme un champ dans lequel mes pas laissent l'herbe ployée un instant derrière moi, juste le temps de voir le chemin parcouru, et l'immensité encore inconnue.
Maintenant, mes livres sur des étagères de librairies paraissent logiques, évidents, on peut s’en servir pour justifier tous mes manquements, mais je me rappelle du moment où mes failles n’avaient pas encore d’explication, où il était possible qu’elles n’en aient jamais, et que je reste pour toujours à la porte de ce qui est important.
Dictionnaire brièvement parcouru que j'ai trouvé savoureux bien qu'un peu inhibant. Il propose trois exercices de repérage de clichés (pas si évident !), avant d'énumérer sous forme de dictionnaire des clichés littéraires tels que : le silence enveloppant, les dettes dont on peut être criblé, le cœur qui bat la chamade ou palpite... Tics littéraires et expressions toutes faites sont ainsi listés sans concession mais avec un humour distrayant.
Afin de consigner leurs exercices de style sur le support dont elles se jouent, à savoir le papier, les deux sœurs se cachant derrière le site et le compte Instagram L'Indéprimeuse ont sauté le pas de l'édition. C'est avec plaisir et même avidité que j'ai pu savourer leurs bons mots. Ici la forme est aussi importante que le fond. La typographie s'amuse. Les caractères prennent leurs aises. Ils nous offrent une sorte de poésie de l'absurde avec un mélange d'hétéroclites amusements littéraires : aphorismes, fausses couvertures de livres, variations typographiques, jeux de mots, clins d'œil littéraires et parfois féministes... C'est un recueil de cocasseries à découvrir et à offrir à tous les amoureux des mots !
J'ai fait un gâteau sans œuf.
Je suis un peu la Georges Perec de la pâtisserie.
Femme :
Avec un "e" prononcé "a",
on a tout de suite su qu'on allait rien nous simplifier.
Le phénomène Harry Potter a été en lui-même un immense manifeste en faveur de la lecture. Le personnage d'Hermione y a plus particulièrement joué un rôle de premier plan. C'est ce que mettent en lumière les propos de Tanguy Habrand. Figure de l'esprit critique, Hermione maîtrise les sortilèges sur le bout des doigts et interroge "𝒸𝑒𝓉𝓉𝑒 𝒶𝓊𝓉𝓇𝑒 𝒻𝑜𝓇𝓂𝑒 𝒹𝑒 𝓂𝒶𝑔𝒾𝑒 𝓆𝓊'𝑒𝓈𝓉 𝓁𝒶 𝒸𝑜𝓃𝓃𝒶𝒾𝓈𝓈𝒶𝓃𝒸𝑒". Son prénom lui-même, issu du grec, nous le dit : l'herméneutique est la science de l'interprétation des textes, et plus généralement des codes. Certains le rapproche aussi du messager des dieux Hermès, dieu de la communication et des échanges. Pour Hermione, la lecture, c'est d'abord une opportunité inespérée. Elle qui est née de parents moldus est folle de joie à la lecture de sa lettre d'admission à Poudlard. La liste des livres à se procurer pour sa rentrée scolaire vaut évangile. Elle est insatiable de connaissances et vise l'excellence, motivée sans doute plus ou moins consciemment par son origine sociale. Ses lectures sont aussi une longueur d'avance sur Harry et nous, lecteur de leur histoire. C'est également l'abolissement de la frontière entre travail et divertissement, à l'opposé de l'Oncle Vernon présenté comme "𝒹𝑒́𝓉𝑒𝓈𝓉𝒶𝓃𝓉 𝓉𝑜𝓊𝓉 𝒸𝑒 𝓆𝓊𝒾 𝒶𝓋𝒶𝒾𝓉 𝓉𝓇𝒶𝒾𝓉 𝒶̀ 𝓁'𝒾𝓂𝒶𝑔𝒾𝓃𝒶𝓉𝒾𝑜𝓃". Si la trajectoire intellectuelle d'Hermione se nourrit dès le départ des livres - parfois pour mieux apprendre à s'en détacher - l'auteur souligne également l'importance de l'éducation aux médias dans le développement de son esprit critique, voire de sa capacité à désobéir et militer, grâce à sa compréhension des stratégies de communication. Perfectionniste, moralisatrice mais aussi fidèle à ses valeurs et ses amis, du premier tome à la pièce de théâtre en passant par les films (se confondant aussi parfois avec son interprète principale Emma Watson), Hermione ne cesse "𝒹𝑒 𝓅𝓇𝑒𝓃𝒹𝓇𝑒 𝒶𝓅𝓅𝓊𝒾 𝓈𝓊𝓇 𝓁𝑒 𝓁𝒾𝓋𝓇𝑒 𝓅𝑜𝓊𝓇 𝓅𝒶𝓈𝓈𝑒𝓇 𝒶̀ 𝓁'𝒶𝒸𝓉𝒾𝑜𝓃". Tanguy Habrand, sans rien nous dévoiler d'inédit, nous permet de manière totalement accessible et avec une certaine tendresse de synthétiser le parcours d'Hermione par le prisme de la lecture.
Depuis son apparition remarquée dans le Poudlard Express, où elle disait déjà "tout savoir" de Harry Potter, Hermione Granger s'est imposée comme un des personnages les plus complexes et emblématiques de J.K. Rowling.
Lectrice de Harry Potter en tant que double de celles et ceux qui ont lu la saga et qui se sont émancipés avec elle.
Voici ma deuxième lecture de la rentrée littéraire 2022. Un petit roman auquel j'ai voulu donner sa chance. J'en ressors mitigée. C'est bien écrit, divertissant, mais un peu pompeux (il faut quand même avoir parcouru l'œuvre de Flaubert), caricatural (le vieux libraire érudit dans sa librairie-tanière, l'adultescent de 39 ans) et d'une loufoquerie bien peu crédible. Bon, pour lire sur le thème du pouvoir de la littérature et pour la touche burlesque, pourquoi pas.
C'est peut-être ça, la définition du métier d'écrivain : se ressouvenir pour inventer.