Le baiser dans la nuque

Publié le 9 Février 2017

Le premier roman d'un auteur découvert et rencontré récemment :

 

Le baiser dans la nuque par Boris

 

La quatrième de couverture :

 

Bientôt Fanny sera sourde. Bientôt elle n'entendra plus les pleurs des enfants qu'elle aide à mettre au monde. Pourtant, avant que le silence ne se referme sur sa vie, la jeune femme décide de prendre des cours de piano. Louis, son professeur, elle l'a croisé à la maternité. Un homme solitaire et secret, doux et blessé. Au fil des leçons, une complicité pudique s'installe entre eux. Peu de mots, quelques gestes, des regards, et puis la musique. Pour affronter et surmonter la maladie, qui progresse, mais aussi, surtout, pour se soutenir mutuellement.

 

 

Mon avis :

 

"Au début, c'est un parking. Celui de la maternité de Dourdan, un petit parking." C'est là que Fanny travaille. Elle est sage-femme, mariée, mère de deux enfants. Elle est atteinte d'une maladie qui la condamne à devenir sourde un jour. Elle rencontre Louis à la maternité, tenant la main de sa belle-soeur sur le point d'accoucher et veuve de quelques jours seulement. Pour Fanny, il y a urgence à jouir de ses sens avant qu'ils ne la trahissent. Professeur de piano, Louis acceptera de la revoir chaque jeudi afin de lui donner des cours. Passées quelques séances, c'est en lui offrant des petits bracelets de naissance oubliés à la maternité, prétexte au récit des accouchements, que Fanny rétribura Louis. Le lecteur assiste alors à la naissance d'une histoire d'amour pudique où les notes du piano et les silences remplacent souvent les mots. Car Louis aussi doit vivre avec une blessure...

 

De récits d'accouchement en apartés musicaux en passant par de sensuelles descriptions, on sent qu'Hugo Boris cherche à travailler une écriture originale et voluptueuse. Ne pas si tromper : à l'instar du titre, le récit plonge le lecteur dans une écriture élégante plutôt que vicieuse. C'est en effet un bémol que ce titre et cette première de couverture qui laissent présager une romance démodée voire vulgaire et ennuyante. En réalité, Hugo Boris est un auteur d'une grande sensibilité que je suis ravie d'apprendre à connaître depuis quelques mois. J'ai notamment été séduite par les récits d'accouchements plein d'animalité, de souffrances... et de plénitude. Par la beauté, la bestialité, la fierté des jeunes mamans évoquées. Par la douceur, le naturel, la mignonnerie des bébés. Le thème de la maternité mis en regard de ceux de la mort et de l'impuissance semblent récurrents chez cet auteur qui dans Police associait avortement et destin fatidique d'un tadjik reconduit à la frontière. Dans ces deux romans, les hommes semblent démunis face aux décisions et aux actions des femmes. Mention spéciale au passage dressant les portraits des pères à la maternité (cf. ci-dessous). Au fil des chapitres, un poème se construit : les titres sont des vers de Rimbaud dont la table des matières restitue l'intégralité du poème. Au fil de mes lectures, je tombe sous le charme d'Hugo Boris : un auteur à suivre.

 

La route écrasée de soleil a des brillances. Le parking, un air vacant. Juillet flamboie. Il ne manque vraiment que le bourdonnement d'une autoroute à quatre voies. Elle lève les yeux vers le ciel et les y laisse, pour s'éblouir un peu. Un bleu doucement mécanique, un ciel d'Espagne. Ici, à cette heure, il ne peut rien lui arriver. Cet instant est à elle, on ne peut le lui retirer, une certitude qu'elle a. Il fait si chaud, si lourd, qu'il fait presque mauvais, qu'importe, c'est à elle. La route noire, les pelouses, la mécanique bien huilée des gerbes d'eau, le ciel pâli par la chaleur, tout.

Il y en a des timides. Ou qui croient tout savoir. Qui n'échangeraient leur place pour rien au monde. Préfèreraient ne rien voir. Des gentils. Tendres. Ou bourrus. Qui déplieraient un journal. N'éteindraient pas leur portable. Se font envoyer balader. Sont indispensables. Trouvent leur femme belle. Ont le sentiment théorique. Ou qui pleurent. Qui vont souvent pour dire quelque chose mais finalement non. Qui photographient. Restent peureusement à l'arrière. Enlancent leurs doigts dans les siens. Se sentent pères. Rangés et honnêtes. Les mains calleuses. Des époux rassurants. n'en croient pas leurs yeux. Figurants. Apitoyés. Déposent un baiser sur le front moite de leur femme diminuée (ou bien c'est elle qui prend sa tête, au papa, à pleines mains, l'embrasse fougueusement, heu-reu-se). Des sans-gêne. Qui ont des paroles d'encouragement. Marchent avec un sourire intérieur. Ne disent pas toujours les mots qu'il faut. Ne sont pas là. Se font agripper. Dégainent leur caméscope de poing. En veulent pour leur argent. Ont des allures de sparring-partners. Des rougeauds, l'air gaillard. Qui regardent leurs chaussures. Ridicules sous leur djellaba médicale. De grands blonds efféminés à queue-de-cheval. Des petits frères qui viennent remplacer le grand couillon qui s'est tué le weekend dernier. Des chauves. Des lunetteux. Qui ont eu une enfance pas facile. Ou normale. Ebouriffés. Errant comme des fantômes dans les couloirs. Qui regardent leur montre. N'en ont pas. Qui ont tout vu à Hiroshima. Ont tout raté. Agitent un vaporisateur autour de son visage. Qui travaillent la nuit et dorment le jour. Qui sont prêts. S'assoient derrière leur femme, jambes écartées. Respirent comme elle. Qui pousent quand elle pousse. Donnent le bain avec des gestes lents, la peur de mal faire. Posent des questions timides. Jouent les interprètes. Ont les mains dans le dos qui se cherchent et qui se tordent. Que ce spectacle ahurit. Qui aiment leur bébé d'un amour qui était là avant lui. Qui le connaissaient déjà avant de l'avoir vu. Qui l'emmènent dans les bras, vont lui raconter des choses dans le couloir. Qui aimeraient bien, eux aussi, donner la vie.

Boris, Hugo

Le baiser dans la nuque

Ed. Belfond

Coll. Pocket

2005 / 215 p.

Rédigé par Nota Bene

Publié dans #Je lis

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