Publié le 19 Octobre 2023
Dans la catégorie "je persévère", j'ai repris entre mes mains ce très court livre autobiographique de Julia Kerninon. Pour valeur de test avant d'éventuellement me plonger dans son dernier roman Sauvage. Car cette jeune romancière nantaise, dont j'avais déjà essayé de lire ce fragment autobiographique ainsi que quelques lignes de Liv Maria, je me devais de la connaître, quand bien même ma lecture de Toucher la terre ferme n'avait pas été particulièrement enthousiasmante. Je suis allée au bout des quelques pages. Conclusion : malgré des phrases à rallonge, des qualités littéraires indéniables. Mais aussi la confirmation de ce dont j'avais eu l'intuition précédemment : un léger égocentrisme et une fierté mal placée d'intellectuelle.
Dans ce texte, elle revient sur son enfance, son adolescence et le début de sa vie d'adulte mus par sa passion pour la lecture et l'écriture. Elle nous parle de l'histoire de ses parents instituteurs, de sa reconnaissance pour ce qu'ils lui ont permis de devenir, de ses atavismes. Beaucoup moins de sa pauvre sœur qui ne semble être qu'un tardif élément de son décor. Elle évoque quelques frasques de jeunesse (heureusement pas autant que dans Toucher la terre ferme). Elle raconte aussi ses jeunes années avant d'être publiée, lorsqu'elle travaillait comme serveuse l'été au bord de l'Atlantique, tout en vivant des amours passionnés et en passant de nombreuses heures à écrire. C'est là qu'elle m'a perdu je crois : en faisant part du travail si harassant, si méritant, si besogneux qu'elle a expérimenté. Je dirais aussi : si banal.
Pour autant, elle écrit bien. Ce qui donne envie de voir ce que sa langue peut donner à l'épreuve de la fiction. Elle semble également faire preuve de convictions féministes intéressantes. En outre, dans ce texte, elle confie quelques anecdotes touchantes de son enfance autour de la thématique de la lecture qui ne peuvent que résonner dans le cœur, comme elle dit avoir été surnommée par certains membres de sa famille, d'une bookish.
Bookish : adjectif. Se dit d'une personne qui adore la lecture, qui est studieuse. Synonyme : intello.
J’imagine que j’ai souri, mais je ne sais pas. Je sais seulement que j’ai lu ses livres, dès que j’ai appris à déchiffrer l’alphabet, j’ai exploré chaque recoin du palais qu’elle m’avait construit, je me suis perdue et retrouvée, j’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour la satisfaire, la réparer, la récompenser de l’effort immense qu’il avait dû lui falloir pour signifier cela à son premier enfant. J’ai lu. J’ai lu des livres sans cesse, dans une frénésie panique, en cherchant à rattraper le temps, à rattraper ma mère qui semblait tout savoir.
Ma vie je la passe à lire des livres pour remettre les choses en place, pour me déplier, et c'est comme chanter tout bas à ma propre oreille pour me réveiller.
Comme des repères, les livres nous mènent à d'autres livres, ils nous font ricocher - nous lisons comme Dante se laissant guider par Virgile dans la forêt sauvage du péché. Dans les bibliothèques, dans les librairies, les voir tous côte-à-côte, si nets, comme des compartiments dans un columbarium, chacun renfermant une voix, une aria, je ne connais rien de mieux. Je reviens toujours là. C'est tout.
Dans mon enfance, l'excès ne m'a pas été désigné comme un défaut - et sans doute était-ce une erreur - mais depuis j'arpente la littérature comme un champ dans lequel mes pas laissent l'herbe ployée un instant derrière moi, juste le temps de voir le chemin parcouru, et l'immensité encore inconnue.
Maintenant, mes livres sur des étagères de librairies paraissent logiques, évidents, on peut s’en servir pour justifier tous mes manquements, mais je me rappelle du moment où mes failles n’avaient pas encore d’explication, où il était possible qu’elles n’en aient jamais, et que je reste pour toujours à la porte de ce qui est important.