Publié le 30 Septembre 2019

Tu sais de mon temps, une nuit comme celle-ci, tu pouvais parler à la lune et elle te répondait.
Le monde d'aujourd'hui est si silencieux.

Eustis, satyre du cortège dionysiaque, a été déchu du royaume des Dieux. Il est condamné à errer dans notre triste monde de mortels et s'en désole, noyant son désarroi dans l'alcool. Un beau jour, par le hasard des rencontres, il apprend que s'ouvre à lui une possibilité de rédemption. Il se voit confier une mission qu'il va tenter d'accomplir - accompagné par de surprenants personnages : un vieux professeur et un fantôme de guerrier - afin de regagner sa place et de rentrer "à la maison".

 

 

Intelligente et drôle, cette bande dessinée magnifique est émaillée de multiples références artistiques. Fabrizio Dori nous offre un travail léché et lumineux : un exercice de style(s) ! Son graphisme, au fil des planches, reproduit de multiples styles picturaux : des silhouettes féminines de l'Art nouveau aux horreurs de la guerre représentées par Otto Dix en passant par des références à Van Gogh, Georges Méliès, Paul Gauguin, Katsushika Hokusai et bien d'autres. D'une sensibilité et d'une virtuosité singulière, la cocasserie de Fabrizio Dori va sans nul doute faire des étincelles ! Son roman graphique fait notamment partie de la sélection du Prix Utopiales BD 2019. En le lisant, on se prend à rêver de champs de tournesols, de lune qui pourrait répondre à nos interrogations, de nuits d'ivresse, de baignade au milieu des nymphes et de fêtes foraines... Procurez-vous cette pépite et embarquez pour l'ivresse d'un voyage incertain mais lumineux !

 

Publié le 27 Septembre 2019

Lecture d'été à la couverture acidulée, Les victorieuses, deuxième roman de Lætitia Colombani, dans la même veine que La tresse, a pourtant réussi le pari du renouvellement en partageant de nouveaux destins de femmes éprouvées par la vie.

 

Laetitia Colombani présente son deuxième roman

 

Solène, 40 ans, a tout sacrifié à sa carrière d'avocate : ses rêves, ses amis, ses amours. Un jour, elle craque et tombe en dépression. Tandis qu'elle cherche à remonter la pente, son psychiatre l'oriente vers le bénévolat : sortez de vous-même, tournez-vous vers les autres, lui dit-il. Peu convaincue, Solène répond pourtant à une petite annonce : "association cherche volontaire pour mission d'écrivain public". En parallèle, à plusieurs décennies d'intervalle, Blanche Peyron s'engage dans l'Armée du Salut et parvient, en 1925, à réunir les fonds nécessaires pour l'achat d'un grand hôtel parisien qui sera par la suite nommé le Palais de la femme et logera de nombreuses femmes en situation de grande précarité. Quand Solène posera son ordinateur portable dernier cri dans le hall du Palais, elle se sentira complètement déstabilisée.

 

J'ai retrouvé dans ce livre l'idée de combat, de volonté farouche de s'en sortir pour briser la chaîne malheureuse des générations. Des passages m'ont émue, comme la lecture de la lettre écrite par Solène pour une mère et destinée à son fils resté au pays. C'est plein de dignité, de constats amers mais aussi de paillettes d'espoir. L'auteur semble nous dire : c'est dur mais quand on veut et qu'on est bien entouré, on peut. Aide-toi et le ciel t'aidera. Un peu "macronien" sur les bords ! Mais retenons-en les encouragements. La lecture est simple, fluide, touchante. Les bons sentiments ne suffisent malheureusement pas à nourrir une attente littéraire exigeante. J'ai trouvé les ficelles aussi grosses que pour son premier roman et le style bien pauvre. Pour autant, comme souligné alors, le récit a le mérite d'être bien construit et accessible. Entre un cours de Zumba, une soupe distribuée par Blanche et une lettre à la Reine d’Angleterre, on se laisse happer par des portraits sensibles de femmes aux parcours singuliers.

 

Quels mots pour dire cela ? Ils sont si impuissants, les mots, les pauvres mots, devant tant de souffrance. Cette femme vient de livrer sa vie comme on livre un secret, un fardeau, un cauchemar. Et elle attend, les yeux pleins d’espoir, les mots que Solène va poser sur son histoire.

Rédigé par Nota Bene

Publié dans #Je lis

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Publié le 26 Septembre 2019

On n'est pas lecteur qu'au moment où on lit. Le champ d'une pratique culturelle ne se résume pas à l'objet à consommer. Être lecteur c'est aussi choisir les ouvrages, estimer de quel argent on dispose, décider de l'endroit où on les achète, chercher les livres, les attendre, en discuter... Or nous voulons former des lecteurs, et pas simplement des liseurs.

Jean-Marie Privat, prof. de litt. et d'anthrop. de la culture pour "Lecture jeune"

Publié le 24 Septembre 2019

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Le book tasting, littéralement "dégustation de livres", est un type d'animation littéraire anglo-saxonne destinée à sensibiliser les jeunes enfants au plaisir de la lecture. L'analogie entre la sphère littéraire et la sphère culinaire n'est pas nouvelle : ne dit-on pas d'une lecture qu'elle peut être "dure à digérer" ? Ou que ce livre nous l'avons "dévoré" ? C'est donc en faisant le pari d'adapter ce type d'animation à un public de lycéens plus ou moins renfrognés ou plus ou moins effrayés à l'idée de devoir lire des œuvres intégrales en version originale qu'un book tasting a été organisé au CDI dans le cadre d'un cours d'anglais (de spécialité) de 1ère.

 

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En arrivant, un menu fait saliver et propose pour l'entrée de se familiariser avec les lieux et les différents livres présentés sur des tables thématiques (romance, thriller, children's book...). Pour le plat, la consigne est de "goûter" un album pour enfant, un classique et deux autres livres au choix. Pour chaque ouvrage, une petite fiche à remplir et à remettre à l'enseignant donne droit à une gourmandise bien réelle (candy, cookie...). Une fois tous les livres "goutés" et les fiches rendues s'ouvre le droit de savourer un cupcake coloré. Bien sûr, plus la mise en scène est soignée et les gourmandises variées, plus l'enthousiasme est susceptible d'émerger ! Des petits post-it peuvent apporter des commentaires alléchants, mettre en exergue une citation qui fasse se lécher les babines, indiquer une page à lire en priorité pour humer la teneur de l'intrigue et se faire plus rapidement une idée du style. Des objets en lien avec les intrigues peuvent être exposés (une pomme bien rouge pour Twilight ou un coquillage pour Gift of the sea par exemple).

 

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Un élément supplémentaire fait partie des outils à intégrer : la règle des cinq doigts (five fingers rule). Si, en lisant la quatrième de couverture ou une des pages du livre, le nombre de mots inconnus s'élève à 0 ou 1, c'est un livre à la portée de son lecteur, à parcourir sans hésiter (et peut-être même un peu trop facile). Si ce nombre s'élève à 5, c'est que c'est trop difficile pour le moment et qu'il vaut mieux entrer dans la lecture d'une œuvre en VO par le biais d'un autre livre. Entre 2 et 4, on peut envisager de s'aider d'un dictionnaire ou d'un traducteur et accepter de ne pas toujours tout saisir.

 

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Une expérience intéressante qui pourrait s'avérer plus enthousiasmante encore avec une mise en scène enrichie (avec les plateaux du self dans les mains des élèves et une toque sur la tête des prescripteurs par exemple). En tout cas, et même si l'injonction est paradoxale, une savoureuse idée pour réactiver chez les adolescents des réflexes de "lecture plaisir" et dans ce cas précis démystifier la lecture d'une oeuvre intégrale en version originale.

 

 

 

 

Rédigé par Nota Bene

Publié dans #Je prof-doc

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Publié le 23 Septembre 2019

Je repense à toutes ces nuits où j'ai déambulé dans la ville, ivre et bruyant, en ricanant des vieux qui dorment alors que la vie n'est pas faite pour ça. Ma jeunesse prend sa retraite, tous les stratagèmes édifiés pour ne pas devenir adulte - et donc refuser la mort - vont s'écrouler face à trois kilos de chaire et d'os qui vont débouler chez moi. Le quotidien va changer dans des proportions encore inconnues. Je sais que je vais voir la vie différemment. Je ne sais pas encore comment.

Rédigé par Nota Bene

Publié dans #Je lis

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Publié le 20 Septembre 2019

De la mère potentielle à la mère concernée en passant par la mère blasée !

 

Et toi tu t'y mets quand ? de Myriam Levain : difficile pour moi de commenter ce témoignage. D’abord parce que je ne fais plus directement partie des lectrices qui pourraient être concernée par les questions que se posent l'auteur (j'ai déjà deux enfants). Ensuite parce que le propos tenu m'a laissé perplexe. À travers un texte autobiographique, engagé et documenté, Myriam Levain nous plonge dans une expérience singulière et ultra contemporaine : la congélation de ses ovocytes. Par le biais de son parcours, elle aborde ses questionnements de trentenaire sans enfant. Son témoignage mêle réflexion personnelle et enquête sur l’injonction à la maternité qui pèse sur les femmes. Le récit de son aventure de PMA en France et à l’étranger est enrichi d’interviews de spécialistes qui éclairent d’un jour nouveau les modèles de la maternité et de la famille : une femme peut être épanouie sans enfant, toutes ne sont pas prêtes pour être mères au même moment, il existe d’autres chemins de vie et, surtout, les femmes devraient être libres de faire leurs propres choix. Pour autant, j'ai eu du mal à être convaincue et à admettre qu'une femme devrait avoir le droit de devenir mère sur le tard en repoussant les limites biologiques. J'ai eu tendance à adhérer aux propos de Gérard Biard reportés vers la fin du livre (p. 159) : "La procréation n'est pas un "droit" mais une fonction biologique. On peut décider ou non de s'en servir, on peut traiter médicalement ses dysfonctions éventuelles ou les pallier, mais l'exiger au nom de la "justice sociale" comme le revendique Marlène Shiappa est parfaitement absurde."

 

 

Sois mère et tais-toi d'Olivia Moore : des réflexions légères et drôles sur la maternité, de la grossesse à l'éducation d'adolescents, en passant par l'accouchement et le post-partum. Des listes et des fausses publicités inpolitiquement correctes qui dédramatisent ce que vive les mères d'aujourd'hui. L'humoriste réclame le droit et même le devoir de rire de la charge de travail et de responsabilités qui incombent aux femmes. Elle pense avoir la solution : être, comme elle, divorcée, afin de pouvoir bénéficier d'une semaine sans enfant une semaine sur deux. Un livre-confession sans autre prétention que celle de faire rire. Pour se changer les idées entre deux couches à changer.

 

 

Tu seras un homme - féministe - mon fils ! d'Aurélia Blanc : un essai sur l'éducation des garçons et la masculinité dont les premières pages notamment m'ont interpellées. L'auteur évoque le fait d'avoir été déstabilisée à l'idée d'attendre un garçon et explique qu'une certaine frange éduquée et féministe de la société est aujourd'hui valorisée à l'idée d'éduquer une fille. C'est "avoir le sentiment de contribuer à lutter contre l'injustice et les inégalités". À l'inverse, éduquer un garçon est angoissant car tout à coup on prend conscience de son échec potentiel en tant que parent : sera-t-on capable de ne pas en faire "une partie du problème" ? Ici, le propos est de prendre conscience du chemin qui reste à parcourir et d'apporter des conseils pratiques pour s'engager dans une éducation anti-sexiste. L'auteur nous propose de prendre du recul sur le sexisme bienveillant véhiculé par la société, l'entourage ("Tu ne vas quand même pas lui offrir une poupée, c'est un jouet de fille !") et notre propre éducation. D'armer notre enfant face aux pressions sociétales et lui apprendre le respect de soi et des autres sans l'envahissement des codes de la virilité. J'ai d'ailleurs trouvé très intéressant ce passage sur la définition de la virilité. L'idéal viril repose, depuis toujours, sur les trois mêmes valeurs : la force, l'héroïsme et la puissance sexuelle. Mais, par définition, la virilité est un idéal qui reste inatteignable. Il nous faut cultiver l'empathie et l'expression des émotions de nos garçons plutôt qu'entretenir leur supposé esprit de domination (que ce soit par la rivalité comme par la séduction). Je note aussi quelques termes appris au détour des pages : les concepts féministes de mansplaining (tendance des hommes à expliquer aux femmes des choses qu'elles savent déjà), manspreading ("étalement des parties génitales") et manterrupting (tendance des hommes à couper la parole aux femmes). Ici, Aurélia Blanc use de paroles à bon escient et nous offre un début de déconditionnement du sexisme bienveillant pour permettre à nos garçons de vivre une masculinité équilibrée et apaisée.

Rédigé par Nota Bene

Publié dans #Je lis

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