Publié le 31 Mars 2022
Ce recueil est une compilation de huit articles et d'une retranscription d'un discours écrits entre 2014 et 2017. On n'y évoque donc pas directement l'affaire George Floyd et l'envergure des réactions - l'amplification du mouvement #BlackLivesMatter - que sa mort a suscité en 2020. Pour autant, d'anciens faits similaires sont mentionnés et, à partir d'observations de l'actualité américaine, Brit Bennett convoque des éléments historiques afin de mieux mettre en lumière et interroger l'omniprésence du racisme aux États-Unis. Du marketing des poupées d'enfants à l'absence de plaque commémorant les victimes de l'esclavage, Brit Bennett désigne de façon percutante les manifestations de ce racisme. Sa voix est éclairante et pas si agressive que pouvait le laisser présager le titre. Par contre, au-delà du constat et de la dénonciation du racisme systémique, je suis restée suspendue à mon interrogation : mais alors, moi, gentille blanche, que puis-je faire ? Car elle déclare sans concession : "Je ne voulais pas être la chambre d'écho de sa [celle d'une "femme blanche bien intentionnée"] culpabilité."
La lecture de ce recueil m'a permis d'en apprendre plus sur l'Histoire des États-Unis, notamment la Guerre de Sécession. J'ignorais par exemple l'existence du drapeau des confédérés et sa réapparition appuyée depuis la campagne électorale de Donald Trump pour la présidence. J'ai appris à quel point la fréquentation des piscines et des plages avait pu être un élément sensible de la lutte pour les droits civiques. J'ai appris l'existence des poupées American girl de Mattel et aussi des gollywogs. J'ai été confronté à des termes tels que pickaninnies, minstrel show et wade-in. J'ai parfois été pantoise, par exemple en découvrant la blague faisant référence à Retour vers le futur version noire (cf. citation ci-après) ou en lisant la censure à laquelle peut être soumis le roman Beloved de Toni Morrison par certains parents d'élèves. Dans ce roman, comme dans Underground Railroad de Colson Whitehead qu'elle analyse également, Brit Bennett nous dit que "personne n'a le droit de détourner le regard" et que c'est justement là le rôle de la littérature : arracher le voile et interroger les silences de l'Histoire. Une prise de parole moderne et saisissante qu'il nous faut entendre.
Quel privilège que d'essayer de paraître bon, alors que nous autres, nous voulons paraître dignes de vivre.
Nous voulons tous croire au progrès, à l'histoire qui va de l'avant en suivant une ligne droite, à la transcendance des différences, à la progression de la tolérance, et au fait que les "gentils Blancs" sont vraiment devenus gentils. Alors, nous nous attendons à voir le racisme apparaître telle une caricature du mal, sous les traits d'un méchant à la Disney. Comme si un flic raciste était quelqu'un qui se levait le matin, tortillait sa moustache et se frottait les mains en se demandant de quelle façon il allait détruire des vies noires.
Un sketch récent de MTV Decoded imagine que, dans une version noire de Retour vers le futur, la DeLorean n'aurait jamais quitté le parking du centre commercial. "1955 ? demande un Marty McFly noir. Vous savez quoi, doc ? Je crois que je suis mieux ici." Ces plaisanteries me font rire, même si leur postulat est accablant : une vision de la négritude où la souffrance est permanente et inévitable. Nous pouvons imaginer un monde fantastique dans lequel on peut voyager dans le temps, mais nous ne pouvons pas concevoir une seule époque dans le passé, ou même dans l'avenir, où les Noirs peuvent vivre libres.
Moi-même, j'ai encore du mal à regarder [la violence historique de l'esclavage]. Mais les écrivains noirs arrachent le voile et je me réjouis de pouvoir voir.
La nostalgie est l'ultime safe space. La nostalgie, c'est la mémoire sélective.
Le monde devient plus vaste en même temps qu'il se rétrécit ; il se contracte et gonfle comme nos poumons. Alors, respirons profondément et mettons-nous au travail.