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Publié le 19 Décembre 2024

Les tops de 2024

 

 

 

Avec en moyenne un livre lu et chroniqué chaque semaine,

voici mes coups de cœurs littéraires de l'année !

 

  1. Célèbre de Maud Ventura 
  2. Terrasses de Laurent Gaudé 
  3. La police des fleurs, des arbres et des forêts de Romain Puertolas ♡
  4. Racines de Lou Lubie [BD] ♡

 

Dernièrement, j'ai été sous le charme de l'odieuse Cléo, personnage principal du roman Célèbre de Maud Ventura (que j'ai d'ailleurs de nouveau rencontré en librairie il y a quelques semaines). J'ai littéralement pleuré en lisant le magnifique Terrasses de Laurent Gaudé. J'ai adoré Racines de Lou Lubie. Au printemps, j'ai eu un coup de cœur inattendu pour le fantasque roman La police des fleurs, des arbres et des forêts de Romain Puertolas. Dans une moindre mesure, j'ai aussi apprécié ma lecture estivale de Dans la maison d'été de Karine Reysset. Je pourrai ajouter à ma liste l'incontournable Jacaranda de Gaël Faye, et bien sûr l'adaptation en BD par Julien Martinière du texte du regretté Joseph Ponthus : A la ligne. Enfin, en littérature jeunesse, je conseille avec enthousiasme pour clôturer l'année Comment le Père Noël descend par la cheminée.

 

 

Et pour retrouver mes tops de 2023 c'est par ici !

 

 

Les tops de 2024

Publié le 29 Novembre 2024

Messieurs, encore un effort...

Elisabeth Badinter donne à lire un bref état des lieux de la condition féminine et maternelle en France au regard de la dénatalité constatée par les démographes. Elle évoque, en s'appuyant sur des données chiffrées, les causes assez évidentes de la dénatalité : l'accès des femmes aux études longues et l'âge moyen de l'arrivée du premier enfant qui recul, les difficultés économiques, l'accès à des modes de garde. Mais elle pointe aussi et surtout la "révolte intime des femmes" : "𝐼𝓁 𝓃𝑒 [𝓈'𝒶𝑔𝒾𝓉] 𝓅𝓁𝓊𝓈 𝓈𝑒𝓊𝓁𝑒𝓂𝑒𝓃𝓉 𝒹𝑒𝓈 𝒹𝒾𝒻𝒻𝒾𝒸𝓊𝓁𝓉é𝓈 é𝒸𝑜𝓃𝑜𝓂𝒾𝓆𝓊𝑒𝓈 𝓆𝓊𝑒 𝓅𝑒𝓊𝓉 𝓇𝑒𝓅𝓇é𝓈𝑒𝓃𝓉𝑒𝓇 𝓁𝒶 𝓋𝑒𝓃𝓊𝑒 𝒹'𝓊𝓃 𝑒𝓃𝒻𝒶𝓃𝓉 𝓂𝒶𝒾𝓈 𝒹𝑒 𝒻𝒶𝒾𝓇𝑒 𝓁𝑒 𝒸𝒶𝓁𝒸𝓊𝓁 𝒹𝑒𝓈 𝓅𝓁𝒶𝒾𝓈𝒾𝓇𝓈 𝑒𝓉 𝒹𝑒𝓈 𝓅𝑒𝒾𝓃𝑒𝓈 𝓆𝓊𝒾 𝒶𝒸𝒸𝑜𝓂𝓅𝒶𝑔𝓃𝑒𝓃𝓉 𝓈𝒶 𝓋𝑒𝓃𝓊𝑒." Selon Elisabeth Badinter, le sentiment de responsabilité des mères d'aujourd'hui est écrasant : de la grossesse (ne pas boire, ne pas fumer...) à l'éducation dite positive (faire preuve d'empathie envers et contre tout) en passant par l'injonction de l'allaitement. Elle évoque la levée des tabous (les childfree, le regret maternel) et la situation des femmes dans d'autres pays (comme la Corée du Sud notamment). J'ai apprécié son propos succinct et clair mais j'ai eu l'impression que l'essentiel était déjà dit sur la quatrième de couverture. J'aurais aimé lire des propositions concrètes d'amélioration de la société.

 

Rédigé par Nota Bene

Publié dans #Je lis

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Publié le 26 Novembre 2024

"Les livres de chevet, comme la liste de courses ou le journal intime, ne sont pas censés être vus par d’autres. Ils relèvent du privé. C’est donc une chose importante. Ils s’accumulent là sans recherche, sans coquetterie, sans qu’on y prenne garde. Le tas se forme comme une sédimentation sur des fonds marin, grossie lentement au hasard des vents, des vagues et des courants. Des fragments épars, poussés par les cours d’eau et les tempêtes finissent par s’agréger là au fil du temps. Cette pile de livres est en quelque sorte la cartographie, le portrait d’un moment. Un cliché instantané, qui dure le temps qu’un intérêt s’érode, que l’édifice (précaire) s’écroule ou qu’un nécessaire rangement vienne balayer l’ensemble. On trouve là des livres depuis longtemps aimés et qu’on garde près de soi comme des grigris, des livres d’auteurs découverts récemment, des livres prêtés qu’on a oublié de rendre, des livres empruntés, des livres offerts, des livres tout juste retrouvés, des livres qu’on relit sans cesse, des livres qu’on aimerait relire, des livres auxquels on voudrait accorder une nouvelle chance, des livres qu’on aimerait lire mais qu’on ne lira jamais, des livres décidément trop compliqués, des livres décevants, des livres écrits par des amis, des livres qui nous sont tombés des mains, des livres dont on se dit qu’il faudrait tout de même les lire un jour (Quel manque de culture ! Tu ne l’as pas lu ? C’est pourtant un classique...), des livres qu’on nous a conseillés, des livres dont on a oublié pourquoi ils se trouvaient là... des livres, toutes sortes de livres sur ma table de chevet."

 

Clémentine Mélois

Dehors, la tempête

 

 

Sur ma table de nuit, il y a toujours des livres en attente : d’être lus, chroniqués, rendus, prêtés. On y trouve aussi une lampe de chevet, une gourde d'eau, une boîte de mouchoirs. En ce moment s’y trouve, attendant que mes mains soient occupées à autre chose qu'un tricot ou un puzzle (#cosyseason) :

  • Messieurs, encore un effort... d'Élisabeth Badinter
  • Racines de Lou Lubie
  • À la ligne de Julien Martinière

 

Publié le 6 Novembre 2024

Badjens

Voici un roman de Delphine Minoui, dont j'ai déjà lu Les passeurs de livres de Daraya, qui n'est pas catégorisé jeunesse mais qui pourrait. Il met en scène le monologue intérieur et l'émancipation de la jeune iranienne Zahra, 16 ans, au cœur de la révolte "Femme, Vie, Liberté" à l'automne 2022. L'adolescente évoque sa naissance indésirée, sa mère protectrice, son père castrateur, ses copines, ses amours, son corps assoiffé de liberté et pourtant si contraint. A travers le parcours de la jeune impudente - "Bad-jens : mot à mot, mauvais genre. En persan de tous les jours : espiègle ou effrontée." - on comprend mieux les tensions à l'œuvre en Iran. Ce n'est pas très poussé littérairement parlant mais c'est une nécessaire et accessible sensibilisation à la condition féminine iranienne.

 

Rédigé par Nota Bene

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Publié le 5 Novembre 2024

Terrasses

Dans une série de monologues intérieurs entrecroisés, Laurent Gaudé retrace la soirée du 13 novembre 2015. Les promesses d'un doux vendredi soir dans la capitale puis l'horreur en terrasse et la prise d'assaut du Bataclan. Les victimes convoquées le sont ici au sens large : simples civils tués ou blessés, otages, rescapés, pompiers, policiers, membres des forces spéciales, médecins, infirmiers, opérateurs téléphoniques, agents de nettoyage, habitants du quartier spectateurs du drame, parents de victimes, etc. Tous nous émeuvent profondément. J'ai été en larmes plusieurs fois et j'ai dû fractionner ma lecture pour mieux l'apprécier et la digérer. La narration est rythmée par un découpage bien pensé. La personnification du Hasard glaçante. L'écriture est sensible et poignante. Laurent Gaudé suspend le temps, nous fait goûter la terreur mais aussi l'empathie, l'amour et l'envie de vivre.

 

Nous sommes assis en terrasse. Nous bavardons. Buvons. Racontons notre semaine ou nos projets. Il y a des éclats de rire et des silences gênés. Des yeux qui se cherchent, des mains qui se touchent. Nous ne sentons pas que quelque chose a changé. Il est là. Le Hasard. Il s’avance, descend la rue de son pas irrégulier, murmurant entre ses dents une chanson au refrain effrayant : “Toi, oui… Toi, pas…” Mais qui l’entend pour l’instant ? Qui se doute qu’il est venu pour régner et que c’est lui, désormais qui va décider de nous, décider de tout.

p. 23

Je m’appelle Quentin et je suis pompier de Paris depuis un an. Ma mère me fait encore mon petit-déjeuner quand je retourne à Nantes pendant mes permissions. Je m’appelle Amélie, je suis pompière. Je suis Guillaume et moi, Karim, ambulanciers.Nous tous, force de secours ou de l’ordre, nous recevons ce message et certains déjà comprennent qu’il est différent des autres. Je m’appelle Quentin. J’ai vingt-deux ans. Je suis en binôme avec Amélie. Nous sommes de la même promotion. Mutés tous les deux dans la même caserne. Je découvre les premières victimes. Elles ont le même âge que moi et gisent là, le corps criblé de balles. Rien ne m’a préparé à cela. [...] mille fois répétés.

p. 45

Qu’avons-nous à opposer à leur sauvagerie ? Ces gestes, petits gestes d’humanité. S’agenouiller devant un homme ou une femme pour l’accompagner avec tendresse. Dire quelques mots. Tenir une main. Sourire à un visage pour essayer d’en chasser la terreur. Rester jusqu’au bout, même si cela ne sert plus à rien. [...] Nous nous sommes rencontrés en ce jour où les trottoirs saignaient, juste avant que tu ne meures, nous nous sommes parlés, touchés, j’ai dit ton nom, et il se pourrait bien que ce fût, Julie, la rencontre la plus importante de ma vie.

Je ne te connais pas mais je te remercie. Je te baise les mains. Tu ne sais rien de nous, de notre famille, mais tu en fais partie parce que tu étais là, penché sur elle au moment de la fin. C’est cela qui compte, Julie. Une main a pris la tienne. Des lèvres ont répété ton nom, Julie, ce nom que nous avions choisi, ta mère et moi… Je pourrais hurler, me frapper le visage pour ne pas avoir été là, avec toi. Je ne cesse d’imaginer que j’aurais fait mieux, que j’aurais fait plus, que je serais allé chercher un pompier, que je l’aurais ramené de force s’il avait fallu, que je t’aurais emmenée à l’hôpital le plus proche en te portant dans mes bras… Mais je sais que c’est faux. J’aurais été impuissant, détruit d’être à tes côtés sans parvenir à te sauver. Alors cela revient au même.

Tu n’es pas morte seule, ma fille, parce que quelqu’un qui s'appelait Mathieu s’est penché sur toi.

p. 105

Rédigé par Nota Bene

Publié dans #Je lis

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Publié le 7 Octobre 2024

Jaracanda

Le Rwanda est arrivé dans ma vie par la télévision, que nous regardions religieusement à l’heure du dîner. La première fois que le présentateur en avait parlé, je m’étais tourné instinctivement vers ma mère, tout excité, presque content qu’il soit enfin question de son pays natal au journal télévisé. Mais elle n’avait pas réagi, complètement absorbée par les images qui défilaient à l'écran...

On se souvient de Petit Pays, premier roman de Gaël Faye, faisant une irruption fracassante dans les librairies en 2016 et obtenant notamment le Prix Goncourt des lycéens. Depuis, il est préconisé dans les programmes scolaires (cycle 4 et lycée, en histoire et français ). Il a été adapté sur grand écran, au théâtre et en bande dessinée. En cette rentrée littéraire 2024, le deuxième roman de l'auteur aborde le même thème, les tourments du Rwanda, mais par le prisme de ce qui pèse aujourd'hui sur les jeunes générations.

 

En 1994, Milan, collégien qui a grandit en France, ne sait rien du génocide qui est en train de ravager le pays de sa mère, Venancia. Celle-ci est arrivée en France en 1973 et s'est mariée avec Philippe. Lorsque Venancia accueille à la maison un garçon blessé, Claude, Milan apprend qu'il a encore de la famille au Rwanda. Il n'aura de cesse de découvrir la vérité sur ce pays caché. Et mettra du temps à pardonner à sa mère de n'avoir pas su lui raconter la tragédie qu'elle a vécue.

 

Adolescent puis jeune adulte, Milan se rendra au Rwanda. Il fera la connaissance avec étonnement de sa grand-mère, de Sartre, de la petite Stella, de sa mère Eusébie et sa grand-mère Rosalie. Il découvrira les rues de Kigali, le jacaranda du jardin de Stella et les rives du lac Kivu à la frontière congolaise. Le jeune homme prendra conscience du silence pesant encore sur les victimes et des maux continuant à hanter le peuple rwandais. Il découvrira également les gatacas, juridictions populaires mises en place par le gouvernement. Il sera question pour lui d'appréhender la violence de l'Histoire, la libération nécessaire de la parole et la soif de vengeance.

 

J'ai aimé découvrir en profondeur et avec recul - car Milan est né après le génocide des Tutsi - l'histoire du Rwanda. Gaël Faye l'aborde avec pédagogie et clarté narrative. J'ai cependant regretté que l'on sente autant l'intention explicative derrière les mots. Cela reste un roman intéressant, incarné et poignant. Il exhume avec douceur et douleur les silences, les défiances et les espoirs d'un pays profondément marqué par l'horreur du génocide. Et, au-delà, traite de la question des origines et du sentiment d'appartenance.

 

Bien plus tard, au milieu de la nuit, je fus réveillé par l'odeur âcre de la fumée et les cris des pompiers, à quelques mètres de notre maison, derrière le muret en pierre du jardin. Je me levai en toussant pour fermer une fenêtre laissée entrouverte. Depuis ma chambre, je pouvais apercevoir de hautes flammes dans les marais salants. Le spectacle était beau et terrifiant. C'est là que je l'ai remarquée. Debout au milieu du jardin, pieds nus dans l'herbe, une chemise de nuit blanche, immobile et seule. Sa silhouette se détachait en une ombre énigmatique à la lueur vacillante des flammes.
Nous étions en juillet 1994. Au moment où j'observais ma mère de dos qui regardait la nuit en feu, un génocide prenait fin dans son pays natal. Je n'en savais rien.

Elle s’est reculée dans sa chaise, maintenant tout à fait sur la défensive.
- Il n’y a rien à comprendre. Je suis partie depuis bientôt quarante ans. Ce n’est plus mon pays. J’ai choisi ma vie, j’ai choisi de tourner la page, qui est-ce que ça gêne ?
- Moi, Maman. Ça me gêne parce que je ne connais pas la page que tu as tournée. Tu ne me l’as jamais lue.
- Arrête avec cette métaphore ridicule.
- Mais c’est toi qui viens de l’utiliser !
- Milan, tu m’embêtes avec tes questions.
- Et toi avec tes silences, Maman.

J'avais envie de m'enfuir, de quitter cette terre de mort et de désolation. Après tout, je n'appartenais pas à ce monde, ma mère m'avait mis en garde, je ne l'avais pas écouté. J'aurais voulu l'appeler, m'excuser de n'en avoir fait qu'à ma tête et la remercier d'avoir essayé de me protéger de cette histoire dont elle connaissait le hideux visage. Cette idée me traversait, puis je pensais aussitôt à Claude, à Eusébie, à Stella, et quelque chose se fissurait en moi qui laissait passer un soleil insensé, la possibilité, malgré tout, de la vie et de la beauté.

Rédigé par Nota Bene

Publié dans #Je lis

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