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Publié le 9 Avril 2024

Les lectures naturelles

Suite à mon compte-rendu de lecture de l’essai de Céline Alvarez Les lois naturelles de l'enfantvoici une présentation de sa collection de livres pour jeunes enfants : Les lectures naturelles. Entre méthode Montessori, appuis neuroscientifiques et bienveillance, voici comment Céline Alvarez nous aide à faire entrer les enfants dans la lecture dès la maternelle.

 

 

 

 

 

Ma petite puce venant de fêter ses 5 ans et étant assez à l'aise avec le langage oral et l'écrit (la reconnaissance et l'écriture des lettres), je me suis intéressée aux livres proposés par Céline Alvarez pour "entrer dans la lecture dès la maternelle". Le pré-requis est de (re)connaître les lettres par leurs sons, et non pas forcément par leur nom. Par exemple, savoir que le M qui s'appelle "aime" fait en réalité le son "mmm".

 

En ajoutant au répertoire des enfants les principaux digrammes français (groupes de deux lettres représentant un seul son, comme CH dans "chat" ou IN dans "matin"), ils possèdent un bagage linguistique suffisant pour commencer à composer des mots simples puis pour commencer à en lire. Ainsi, à partir des conseils de Céline Alvarez listés ci-dessous et après quelques séances (toujours courtes et ludiques, jamais imposées) d'exercices (avec des lettres imprimées et plastifiées par mes soins), nous nous sommes lancées dans la lecture d'un des livres de la collection Les lectures naturelles.

 

 

 

 

 

Tous ces livres se présentent de la même façon : une très grande illustration sur double-page immerge le petit lecteur dans une scène introduite par une phrase courte (par exemple "La course démarre."). Cette scène peut être ponctuée d'onomatopées pour un premier niveau de lecture très simple et de bulles qui font parler les personnages. Tout est écrit en lettres capitales pour faciliter la reconnaissance. Les lettres muettes sont grisées afin de simplifier le décryptage. Les digrammes sont signalés en vert. C'est très bien pensé et encourageant pour les enfants. Seul bémol : ma fille a tendance à tenter de deviner certains mots au lieu de les lire (connaissant les personnages du livre, en voyant un L elle tente sa chance et dit le mot "lièvre" alors que ce n'est pas celui-ci, par exemple). J'ai trouvé judicieux que soit ajoutée à la fin du livre l'intégralité de la fable de Jean de La Fontaine ici adaptée.

 

La collection se compose d'imagiers accessibles dès trois ans (avec du vocabulaire précis pour éviter que l'enfant ne devine au lieu de lire), de contes ou fables de "niveau 1" comme le livre présenté ici puis d'albums de "niveau 2". Dans ces derniers, la taille de la police est légèrement réduite, les digrammes ne sont plus signalés en vert, certains nouveaux digrammes font leur apparition (ER et EN par exemple) et on introduit des mots-outils comme EST, ET ou UN. On s'approche des collections plus classiques de premières lectures de niveau CP. Il existe par ailleurs un coffret de lettres magnétiques pour apprendre les sons des lettres et des digrammes ainsi qu'un cahier d'activités avec des jeux, des autocollants et des coloriages.

 

Les lectures naturelles
Les lectures naturelles

Pour revenir sur l'apprentissage de la lecture, retenons que la partie du cerveau dédiée à la reconnaissance de l'alphabet n'est pas génétiquement prévue et qu'elle se développe dans la zone initialement prévue à la reconnaissance des visages et des objets. C'est pour cela qu'un profil gauche est associé à un profil droit... et qu'une confusion peut intervenir (pic de confusion vers 5-6 ans) entre des lettres miroirs comme le p et le q minuscules par exemple. C'est tout à fait normal mais à accompagner. Voici, en résumé, les principes d'apprentissage de la lecture préconisés par Céline Alvarez :

 

  • 𝑫𝒐𝒏𝒏𝒆𝒓 𝒆𝒙𝒑𝒍𝒊𝒄𝒊𝒕𝒆𝒎𝒆𝒏𝒕 𝒍𝒆 𝒄𝒐𝒅𝒆 𝒂𝒍𝒑𝒉𝒂𝒃𝒆́𝒕𝒊𝒒𝒖𝒆 aux enfants (c'est-à-dire le son des lettres) sans détour par le décompte des syllabes qui n'est pas franchement utile, voire qui peut gêner certains enfants. Le faire lettre par lettre puis à partir de mots simples mais aux sons variés, notamment au niveau du phonème d'attaque puis du phonème final. Associer éventuellement le geste au son (par exemple : mettre les doigts sur sa gorge pour indiquer que le son g se forme dans cette zone).
  • 𝑫𝒐𝒏𝒏𝒆𝒓 𝒍𝒆𝒔 𝒈𝒓𝒂𝒑𝒉𝒊𝒆𝒔 𝒅𝒆𝒔 𝒍𝒆𝒕𝒕𝒓𝒆𝒔 𝒆𝒏 𝒄𝒂𝒑𝒊𝒕𝒂𝒍𝒆𝒔 𝒅'𝒊𝒎𝒑𝒓𝒊𝒎𝒆𝒓𝒊𝒆 pour éviter les confusions de lettres miroirs et pour capter l'attention des enfants, car ils sont plus confrontés à des capitales dans leur vie quotidienne (panneaux indicateurs, emballages, boîtes de jeux, devantures de magasins, claviers informatiques...). Utiliser éventuellement dans un deuxième temps des lettres rugueuses cursives pour commencer à engrammer les gestes d'écriture.
  • 𝑳𝒆𝒖𝒓 𝒇𝒂𝒊𝒓𝒆 𝒄𝒐𝒎𝒑𝒐𝒔𝒆𝒓 𝒅𝒆𝒔 𝒎𝒐𝒕𝒔 𝒔𝒊𝒎𝒑𝒍𝒆𝒔 avec un alphabet mobile (lettres aimantées ou plastifiées). Voici des exemples de mots plutôt simples à constituer : papa, clé, moto, canari, chaton, cochon, panda, koala, mouton, etc.
  • 𝑳𝒆𝒖𝒓 𝒇𝒂𝒊𝒓𝒆 𝒍𝒊𝒓𝒆 𝒅𝒆𝒔 𝒎𝒐𝒕𝒔 𝒑𝒖𝒊𝒔 𝒅𝒆 𝒄𝒐𝒖𝒓𝒕𝒆𝒔 𝒑𝒉𝒓𝒂𝒔𝒆𝒔 de manière ludique avec des "enveloppes de lecture", des "messages secrets" ou des livres adaptés (comme la collection présentée ici). On peut souligner l'importance de posséder du vocabulaire : plus on connaît de mots et plus on est susceptible de les reconnaître en les lisant. Les premiers pas sur le chemin de la lecture sont ainsi soutenus par la démarche déductive.

 

 

En prolongement, cliquer pour lire mon précédent article sur

 

Publié le 4 Avril 2024

Les lois naturelles de l'enfant

 𝗜𝗡𝗧𝗥𝗢𝗗𝗨𝗖𝗧𝗜𝗢𝗡 / 𝗣𝗥𝗢𝗣𝗢𝗦 𝗗𝗨 𝗟𝗜𝗩𝗥𝗘

 

Céline Alvarez, diplômée en sciences du langage et un temps professeur des écoles, est autrice et conférencière depuis une expérimentation pédagogique, largement inspirée des travaux scientifiques et pédagogiques d’Edouard Seguin et Maria Montessori, menée en banlieue parisienne de 2011 à 2014. Dans ce livre, elle revient sur cette expérience et 𝗲𝘅𝗽𝗹𝗶𝗾𝘂𝗲 𝘀𝗮 𝗱𝗲́𝗺𝗮𝗿𝗰𝗵𝗲 𝗲́𝗱𝘂𝗰𝗮𝘁𝗶𝘃𝗲 𝗲𝘁 𝗹𝗲𝘀 𝗽𝗿𝗶𝗻𝗰𝗶𝗽𝗲𝘀 𝗯𝗶𝗼𝗹𝗼𝗴𝗶𝗾𝘂𝗲𝘀 𝗾𝘂𝗶 𝘀𝗼𝘂𝘀-𝘁𝗲𝗻𝗱𝗲𝗻𝘁 𝗹’𝗮𝗽𝗽𝗿𝗲𝗻𝘁𝗶𝘀𝘀𝗮𝗴𝗲 𝗲𝘁 𝗹𝗲 𝗽𝗹𝗲𝗶𝗻 𝗲́𝗽𝗮𝗻𝗼𝘂𝗶𝘀𝘀𝗲𝗺𝗲𝗻𝘁 𝗱𝗲 𝗹’𝗲𝗻𝗳𝗮𝗻𝘁.

 

 

𝗦𝗢𝗠𝗠𝗔𝗜𝗥𝗘 / 𝗦𝗧𝗥𝗨𝗖𝗧𝗨𝗥𝗔𝗧𝗜𝗢𝗡 𝗗𝗨 𝗣𝗥𝗢𝗣𝗢𝗦

 

𝗗𝗮𝗻𝘀 𝘂𝗻𝗲 𝗽𝗿𝗲𝗺𝗶𝗲̀𝗿𝗲 𝗽𝗮𝗿𝘁𝗶𝗲, Céline Alvarez présente l’état des connaissances sur la plasticité cérébrale des enfants et les mécanismes d’apprentissage connus sur lesquels s’appuyer, notamment chez les très jeunes enfants. 𝗗𝗮𝗻𝘀 𝘂𝗻𝗲 𝗱𝗲𝘂𝘅𝗶𝗲̀𝗺𝗲 𝗽𝗮𝗿𝘁𝗶𝗲, elle se concentre sur l’aide didactique concrète à mettre en œuvre selon elle, en grande partie déjà énoncée par les pédagogues Edouard Seguin et Maria Montessori, et développe plus particulièrement les domaines du temps et de l’espace, des mathématiques et de l’entrée dans la lecture et l’écriture. 𝗗𝗮𝗻𝘀 𝘂𝗻𝗲 𝘁𝗿𝗼𝗶𝘀𝗶𝗲̀𝗺𝗲 𝗽𝗮𝗿𝘁𝗶𝗲, Céline Alvarez aborde le soutien du développement des compétences-socles de l’intelligence, c’est-à-dire les compétences exécutives. 𝗘𝗻𝗳𝗶𝗻, elle insiste sur l’importance de la reliance et de l’empathie pour l’épanouissement de l’intelligence et le vivre-ensemble.

 

 

𝗣𝗥𝗜𝗦𝗘 𝗗𝗘 𝗡𝗢𝗧𝗘𝗦

 

  1. L’intelligence plastique de l’être humain

 

Céline Alvarez commence par expliquer que l'’enfant naît “câblé” pour apprendre. Avec "la potentialité de" et qu'il convient ensuite pour que ses compétences se développent et s'épanouissent qu'il bénéficie d'un environnement stimulant et bienveillant. L'enfant apprend au contact de l’environnement. D’où l’importance qu’il soit actif et bien entouré. Céline Alvarez poursuit en développant longuement ce que sont les "lois naturelles de l’apprentissage" : apprendre par ses 𝗲𝘅𝗽𝗲́𝗿𝗶𝗲𝗻𝗰𝗲𝘀 actives, avec la 𝗴𝘂𝗶𝗱𝗮𝗻𝗰𝗲 de l’autre, d’où selon elle l’indispensable mélange des âges dans les classes. Ces paramètres sont fondamentaux mais ne suffisent pas : il faut aussi une 𝗺𝗼𝘁𝗶𝘃𝗮𝘁𝗶𝗼𝗻 endogène (c’est-à-dire de l’individu lui-même) qui l’engage dans l’activité et qui active sa mémoire de manière optimale. L'autrice souligne aussi l'importance de l’𝗲𝗿𝗿𝗲𝘂𝗿, de l’itération (répétition) pour confronter ses connaissances à ses prédictions. Elle note aussi l'importance du contact avec la 𝗻𝗮𝘁𝘂𝗿𝗲. Elle dit qu'il est fondamental de proposer un environnement riche mais 𝗽𝗮𝘀 𝘀𝘂𝗿𝗰𝗵𝗮𝗿𝗴𝗲́ : laisser à l'enfant le droit de ne rien faire, de rêvasser, respecter son sommeil et son temps de jeu libre. Enfin, elle souligne le principe de 𝗯𝗶𝗲𝗻𝘃𝗲𝗶𝗹𝗹𝗮𝗻𝗰𝗲 comme catalyseur d’épanouissement. La posture de l’adulte consiste à veiller à l’environnement de l'enfant et à lui proposer des activités adaptées à sa 𝘇𝗼𝗻𝗲 𝗽𝗿𝗼𝘅𝗶𝗺𝗮𝗹𝗲 𝗱𝗲 𝗱𝗲́𝘃𝗲𝗹𝗼𝗽𝗽𝗲𝗺𝗲𝗻𝘁 (entre sa zone d'autonomie et sa zone de rupture, comme conceptualisé par Lev Vygotski).

 

  1. L’aide didactique 

 

Céline Alvarez développe longuement l'intérêt d'utiliser le 𝗺𝗮𝘁𝗲́𝗿𝗶𝗲𝗹 𝘀𝗲𝗻𝘀𝗼𝗿𝗶𝗲𝗹 inventé par Jean Itard, repris et développé par Edouard Seguin puis étoffé par 𝗠𝗮𝗿𝗶𝗮 𝗠𝗼𝗻𝘁𝗲𝘀𝘀𝗼𝗿𝗶, qui isole une qualité à explorer (longueur, couleur…) pour chaque activité. Elle présente des activités par domaine (géographie, mathématiques, lecture et écriture, etc.) avec du matériel et la façon de l’utiliser (les barres rouges, la tour rose, les clochettes, les deux globes, les encastrements, les chiffres rugueux, la frise numérique, les lettres et digrammes mobiles…). Autre outil dans sa trousse : la 𝗹𝗲𝗰̧𝗼𝗻 𝗲𝗻 𝘁𝗿𝗼𝗶𝘀 𝘁𝗲𝗺𝗽𝘀 d’Edouard Seguin : nommer, montrer, identifier. Le chapitre qui m’a plus particulièrement intéressé est celui sur l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Elle énonce le même constat scientifique que Michel Desmurget dans Faites-les lire ! : lire réorganise notre cerveau. C’est pour cette raison - je passe sur l’explication - que les jeunes enfants passent par une phase d’écriture en miroir. “Contrairement à l’apprentissage du langage oral, qui est naturellement induit par une prédisposition biologique, 𝗶𝗹 𝘀𝗲𝗺𝗯𝗹𝗲𝗿𝗮𝗶𝘁 𝗾𝘂𝗲 𝗻𝗼𝘂𝘀 𝗻𝗲 𝗽𝗼𝘀𝘀𝗲́𝗱𝗶𝗼𝗻𝘀 𝗽𝗮𝘀 𝗱𝗲 𝗰𝗶𝗿𝗰𝘂𝗶𝘁𝘀 𝗻𝗲𝘂𝗿𝗼𝗻𝗮𝘂𝘅 𝘀𝗽𝗲́𝗰𝗶𝗳𝗶𝗾𝘂𝗲𝗺𝗲𝗻𝘁 𝗱𝗲́𝗱𝗶𝗲́𝘀 𝗮𝘂 𝘁𝗿𝗮𝗶𝘁𝗲𝗺𝗲𝗻𝘁 𝗱𝘂 𝗰𝗼𝗱𝗲 𝗮𝗹𝗽𝗵𝗮𝗯𝗲́𝘁𝗶𝗾𝘂𝗲, c’est-à-dire à la lecture et à l’écriture. Les recherches actuelles en neurosciences cognitives indiquent que, pour lire, notre cerveau recycle une région cérébrale initialement destinée à un tout autre usage : la reconnaissance des visages et des objets.” Voici les grands principes énoncés par Céline Alvarez : 𝗳𝗮𝗶𝗿𝗲 𝗲𝗻𝘁𝗲𝗻𝗱𝗿𝗲 𝗹𝗲𝘀 𝘀𝗼𝗻𝘀, donner le code alphabétique, renforcer la compréhension du code, faire passer du décodage à l’automatisation, faire lire des mots, puis des phrases, voire des livres, favoriser l’entrée dans l’écriture.

 

  1. Le développement des compétences-socles et l'importance de l'empathie

 

Il faut avant tout savoir qu'il y a des périodes sensibles de développement des compétences : par exemple, un emmagasinement au niveau langagier et sensoriel avant même la naissance et jusqu’à 1 an puis un développement du langage, une véritable explosion de l’expression orale, vers 2 ans. 𝗟𝗲𝘀 𝗰𝗼𝗺𝗽𝗲́𝘁𝗲𝗻𝗰𝗲𝘀-𝘀𝗼𝗰𝗹𝗲𝘀 (𝗮𝘂𝘁𝗼𝗻𝗼𝗺𝗶𝗲, 𝗼𝗿𝗴𝗮𝗻𝗶𝘀𝗮𝘁𝗶𝗼𝗻, 𝗰𝗼𝗻𝘁𝗿𝗼̂𝗹𝗲, 𝗽𝗹𝗮𝗻𝗶𝗳𝗶𝗰𝗮𝘁𝗶𝗼𝗻) se développent également dès la première année de vie avec une croissance fulgurante entre 3 et 5 ans. En maternelle, il est donc primordial d'𝗲̂𝘁𝗿𝗲 𝗮𝘁𝘁𝗲𝗻𝘁𝗶𝗳 𝗮𝘂𝘅 𝗰𝗼𝗺𝗽𝗲́𝘁𝗲𝗻𝗰𝗲𝘀 𝗲𝘅𝗲́𝗰𝘂𝘁𝗶𝘃𝗲𝘀, 𝗰'𝗲𝘀𝘁-𝗮̀-𝗱𝗶𝗿𝗲 𝗹𝗲𝘀 𝗰𝗼𝗺𝗽𝗲́𝘁𝗲𝗻𝗰𝗲𝘀 𝗰𝗼𝗴𝗻𝗶𝘁𝗶𝘃𝗲𝘀 𝗽𝗲𝗿𝗺𝗲𝘁𝘁𝗮𝗻𝘁 𝗱’𝗮𝘁𝘁𝗲𝗶𝗻𝗱𝗿𝗲 𝘀𝗲𝘀 𝗼𝗯𝗷𝗲𝗰𝘁𝗶𝗳𝘀 : 𝗹𝗮 𝗺𝗲́𝗺𝗼𝗶𝗿𝗲 𝗱𝗲 𝘁𝗿𝗮𝘃𝗮𝗶𝗹 (𝗺𝗲́𝗺𝗼𝗶𝗿𝗲 𝗰𝗼𝘂𝗿𝘁𝗲), 𝗹𝗲 𝗰𝗼𝗻𝘁𝗿𝗼̂𝗹𝗲 𝗶𝗻𝗵𝗶𝗯𝗶𝘁𝗲𝘂𝗿 (𝗰𝗼𝗻𝗰𝗲𝗻𝘁𝗿𝗮𝘁𝗶𝗼𝗻), 𝗹𝗮 𝗳𝗹𝗲𝘅𝗶𝗯𝗶𝗹𝗶𝘁𝗲́ 𝗰𝗼𝗴𝗻𝗶𝘁𝗶𝘃𝗲 (𝗱𝗲́𝘁𝗲𝗰𝘁𝗲𝗿 𝘀𝗲𝘀 𝗲𝗿𝗿𝗲𝘂𝗿𝘀, 𝗹𝗲𝘀 𝗰𝗼𝗿𝗿𝗶𝗴𝗲𝗿, 𝗲̂𝘁𝗿𝗲 𝗰𝗿𝗲́𝗮𝘁𝗶𝗳). Chez les jeunes enfants en particulier, il est important de mettre en œuvre une intelligence d’action, c'est-à-dire de favoriser leur autonomie : mettre seul ses chaussures, aider à étendre le linge, à mettre le couvert, etc. permet de donner du sens à ses apprentissages et d'exercer ses compétences exécutives. “L’exigence du jeune enfant à vouloir absolument faire par lui-même n’est donc ni un caprice, ni une manie, ni un hasard, ni un trait de caractère : il s’agit d’une manifestation de l’intelligence qui demande à s’exercer.” La posture de l'adulte consiste à montrer les gestes-clés, laisser ensuite l’enfant pratiquer et trouver des solutions à son problème, lui apporter une aide discrète avant qu’il ne se décourage. Les mots d'ordre : 𝗽𝗹𝘂𝘀 𝗱𝗲 𝗹𝗶𝗯𝗲𝗿𝘁𝗲́, 𝗺𝗼𝗶𝗻𝘀 𝗱𝗲 𝘀𝘁𝗿𝗲𝘀𝘀, 𝗽𝗹𝘂𝘀 𝗱𝗲 𝗿𝗲𝗹𝗶𝗮𝗻𝗰𝗲. Comment ne pas voir que nous semons ce que nous déplorons par la suite ? En n’obéissant pas à cette loi qui exige que les être humains s’épanouissent dans la reliance, nous vivons collectivement en sous-régime empathique, mais également en sous-régime cognitif, en sous-régime métabolique, et en sous-régime créatif… Nous méconnaissons nos potentiels réels.

 

 

𝗔𝗩𝗜𝗦

 

𝗜𝗹 𝗻’𝘆 𝗮 𝗿𝗶𝗲𝗻 𝗱𝗲 𝗰𝗼𝗺𝗽𝗹𝗲̀𝘁𝗲𝗺𝗲𝗻𝘁 𝗻𝗼𝘂𝘃𝗲𝗮𝘂 dans le discours de Céline Alvarez. Elle le dit elle-même : elle doit beaucoup à “l’héritage exigeant et sensible” de Maria Montessori. Sa manière de se mettre pseudo-modestement dans sa droite lignée est d’ailleurs plutôt irritante. La plasticité cérébrale, le principe d’éducabilité, la pédagogie active, la zone proximale de développement… tout ça est loin d’être méconnu du corps enseignant. On peut d’ailleurs déplorer le fait qu’elle fasse l’impasse sur d’autres grands noms de la pédagogie, tel que Célestin Freinet (qui a mis en œuvre des principes tels que la coopération, le tâtonnement expérimental, l’autocorrection, la communication…).

 

𝗖𝗲́𝗹𝗶𝗻𝗲 𝗔𝗹𝘃𝗮𝗿𝗲𝘇 𝗰’𝗲𝘀𝘁 𝗮𝘂𝘀𝘀𝗶 𝘂𝗻 𝘁𝗼𝗻 𝗲𝘁 𝘂𝗻 𝘃𝗼𝗰𝗮𝗯𝘂𝗹𝗮𝗶𝗿𝗲 𝗴𝗿𝗮𝗻𝗱𝗶𝗹𝗼𝗾𝘂𝗲𝗻𝘁𝘀 : les enfants sont de “jeunes êtres humains” qui naissent avec des cerveaux bourrés de “potentiels”, “câblés pour retenir du beau, du grandiose” et des personnalités qui ne demandent qu’à être “révélées”. Ils sont “affamés d’expériences” et devraient bénéficier d'un “étayage individualisé, bienveillant et calme de l’adulte” pour que grandir soit “une conquête heureuse”. On peut être charmé ou agacé.

 

𝗔𝘂-𝗱𝗲𝗹𝗮̀ de toutes les nuances et critiques que l’on peut émettre au sujet de l’essai de Céline Alvarez, on peut souligner qu’il permet de réaffirmer et clarifier de grands principes pédagogiques et 𝗱𝗶𝗱𝗮𝗰𝘁𝗶𝗾𝘂𝗲𝘀. Les aspects pratiques qui s'attachent à décrire la posture de l’enseignant ou de l’ATSEM ainsi que la façon d’utiliser le matériel pédagogique sont très intéressants. J’ai été particulièrement sensible - et c’est ce pourquoi j’ai ouvert ce livre - à l’explication du procédé d’entrée dans la lecture. J'y reviendrai prochainement. J’ai également appris sur les compétences exécutives.

 

Cet essai est donc tout à fait 𝗶𝗻𝘁𝗲́𝗿𝗲𝘀𝘀𝗮𝗻𝘁 𝗺𝗮𝗶𝘀 𝗽𝗮𝘀 𝗿𝗲́𝘃𝗼𝗹𝘂𝘁𝗶𝗼𝗻𝗻𝗮𝗶𝗿𝗲 et mériterait d’être condensé car Céline Alvarez a une fâcheuse tendance à se répéter. Pour se faire une idée de sa posture / imposture, je vous renvoie vers cet article paru dans Libération en septembre 2019 : Céline Alvarez, un peu trop classe ? 

 

Publié le 3 Décembre 2023

Faites-les lire ! Pour en finir avec le crétin digital

 

𝗜𝗡𝗧𝗥𝗢𝗗𝗨𝗖𝗧𝗜𝗢𝗡 / 𝗣𝗥𝗢𝗣𝗢𝗦 𝗗𝗨 𝗟𝗜𝗩𝗥𝗘

 

Michel Desmurget est docteur en neurosciences et directeur de recherche à l'Inserm. Il est notamment l'auteur du livre La fabrique du crétin digital (2020) dans lequel il constatait l'ampleur de la consommation du numérique (smartphones, tablettes, télévision, etc.) par les nouvelles générations et pointait ses lourdes conséquences sur la santé, le comportement et les capacités intellectuelles.

 

Dans ce nouvel ouvrage, 𝗶𝗹 𝘀𝘆𝗻𝘁𝗵𝗲́𝘁𝗶𝘀𝗲 𝗽𝗼𝘂𝗿 𝗹𝗲 𝗴𝗿𝗮𝗻𝗱 𝗽𝘂𝗯𝗹𝗶𝗰, 𝗻𝗼𝘁𝗮𝗺𝗺𝗲𝗻𝘁 𝗹𝗲𝘀 𝗽𝗮𝗿𝗲𝗻𝘁𝘀, 𝗹𝗲𝘀 𝗰𝗲𝗻𝘁𝗮𝗶𝗻𝗲𝘀 𝗱'𝗲́𝘁𝘂𝗱𝗲𝘀 𝗾𝘂𝗶 𝗱𝗲́𝗺𝗼𝗻𝘁𝗿𝗲𝗻𝘁 𝗹𝗲𝘀 𝗯𝗲́𝗻𝗲́𝗳𝗶𝗰𝗲𝘀 𝗺𝗮𝘀𝘀𝗶𝗳𝘀 𝗱𝗲 𝗹𝗮 𝗽𝗿𝗮𝘁𝗶𝗾𝘂𝗲 𝗱𝗲 𝗹𝗮 𝗹𝗲𝗰𝘁𝘂𝗿𝗲 (sur papier). Pour Michel Desmurget, la lecture plaisir est un antidote majeur à l'émergence du "crétin digital". Aucun autre loisir (bien que certains aient des effets positifs, comme le jeu libre, notamment symbolique, ou la pratique d'un instrument) n'offrirait aux enfants un éventail de bienfaits aussi large, nourrissant les trois piliers fondamentaux de leur humanité : les aptitudes intellectuelles, les compétences émotionnelles et les habiletés sociales. Les études montrent en effet l'impact positif de la pratique de la lecture (qui inclut le fait d'entendre des histoires lues par un tiers) sur : le développement du langage, la culture générale, la créativité, l'attention, les capacités de rédaction, les facultés d'expression orale, la compréhension d'autrui et de soi-même, etc. Le but de Michel Desmurget en écrivant ce livre est de démontrer, en s'appuyant sur des centaines d'études scientifiques françaises et internationales, que 𝗹𝗮 𝗹𝗲𝗰𝘁𝘂𝗿𝗲 "𝗽𝗼𝘂𝗿 𝗹𝗲 𝗽𝗹𝗮𝗶𝘀𝗶𝗿" 𝗻𝗲 𝗰𝗼𝗻𝘀𝘁𝗶𝘁𝘂𝗲 𝗻𝘂𝗹𝗹𝗲𝗺𝗲𝗻𝘁 𝘂𝗻𝗲 𝗽𝗿𝗮𝘁𝗶𝗾𝘂𝗲 𝗲́𝗹𝗶𝘁𝗶𝘀𝘁𝗲 𝗺𝗮𝗶𝘀 "𝘂𝗻 𝗶𝗺𝗽𝗲́𝗿𝗮𝘁𝗶𝗳 𝗮𝗶𝗴𝘂 𝗱𝗲 𝗱𝗲́𝘃𝗲𝗹𝗼𝗽𝗽𝗲𝗺𝗲𝗻𝘁 𝗽𝗼𝘂𝗿 𝗻𝗼𝘀 𝗲𝗻𝗳𝗮𝗻𝘁𝘀".

 

 

𝗦𝗢𝗠𝗠𝗔𝗜𝗥𝗘 / 𝗦𝗧𝗥𝗨𝗖𝗧𝗨𝗥𝗔𝗧𝗜𝗢𝗡 𝗗𝗨 𝗣𝗥𝗢𝗣𝗢𝗦

 

𝗗𝗮𝗻𝘀 𝘂𝗻𝗲 𝗽𝗿𝗲𝗺𝗶𝗲̀𝗿𝗲 𝗽𝗮𝗿𝘁𝗶𝗲 il expose le fait que les habitudes de lecture des jeunes générations sont en baisse et les conséquences qui en découlent sur les compétences scolaires. 𝗗𝗮𝗻𝘀 𝘂𝗻𝗲 𝗱𝗲𝘂𝘅𝗶𝗲̀𝗺𝗲 𝗽𝗮𝗿𝘁𝗶𝗲, il nous explique en quoi la lecture est une compétence complexe qui va au-delà du décodage. 𝗜𝗹 𝘀𝗼𝘂𝗹𝗶𝗴𝗻𝗲 𝗲𝗻𝘀𝘂𝗶𝘁𝗲 le rôle irremplaçable du milieu familial pour l'apprentissage et le maintien des habitudes de lecture. 𝗗𝗮𝗻𝘀 𝘂𝗻𝗲 𝗾𝘂𝗮𝘁𝗿𝗶𝗲̀𝗺𝗲 𝗽𝘂𝗶𝘀 𝗰𝗶𝗻𝗾𝘂𝗶𝗲̀𝗺𝗲 𝗽𝗮𝗿𝘁𝗶𝗲𝘀, il indique que la lecture favorise l'appropriation de connaissances complexes et énumère les bienfaits scientifiquement documentés de la lecture sur le développement intellectuel, émotionnel et social. Enfin, dans un (trop) court 𝗲́𝗽𝗶𝗹𝗼𝗴𝘂𝗲, Michel Desmurget rappelle que l'on ne devient pas lecteur par hasard mais par acculturation et qu'à défaut d'une solution miracle, il convient d'asseoir son "éducation à la lecture" sur trois piliers fondamentaux : la valorisation de l'activité, le développement du plaisir à pratiquer cette activité et la limitation de l'accès au numérique. Il conseille enfin 𝗱𝗲𝘂𝘅 𝗹𝗲𝘃𝗶𝗲𝗿𝘀 𝗽𝗿𝗮𝘁𝗶𝗾𝘂𝗲𝘀 𝗽𝗼𝘂𝗿 𝗮𝗻𝗰𝗿𝗲𝗿 𝗹𝗮 𝗹𝗲𝗰𝘁𝘂𝗿𝗲 𝗮𝘂 𝗰œ𝘂𝗿 𝗱𝗲𝘀 𝗵𝗮𝗯𝗶𝘁𝘂𝗱𝗲𝘀 𝗱𝗲 𝗹'𝗲𝗻𝗳𝗮𝗻𝘁 : 𝗷𝗼𝘂𝗲𝗿 𝗮𝘃𝗲𝗰 𝗹𝗲𝘀 𝘀𝗼𝗻𝘀 (en soutenant les apprentissages scolaires de manière ludique et informelle) 𝗲𝘁 𝗳𝗮𝘃𝗼𝗿𝗶𝘀𝗲𝗿 𝗹𝗮 𝗹𝗲𝗰𝘁𝘂𝗿𝗲 𝗽𝗮𝗿𝘁𝗮𝗴𝗲́𝗲 (en sollicitant de différentes manières la parole de l'enfant).

 

 

𝗣𝗥𝗜𝗦𝗘 𝗗𝗘 𝗡𝗢𝗧𝗘𝗦 / 𝗔𝗩𝗜𝗦

 

Il prêche une convaincue... mais quelle satisfaction tout de même de voir écrit noir sur blanc par un scientifique tout ce dont mes convictions sont faites. Voici quelques uns des nombreux éléments relevés au fil de ma lecture qui m'ont paru importants, parlants et à retenir. D'abord une bonne nouvelle : 𝗹𝗲𝘀 𝗲𝗻𝗳𝗮𝗻𝘁𝘀 𝗲𝘁 𝗮𝗱𝗼𝗹𝗲𝘀𝗰𝗲𝗻𝘁𝘀 𝗱𝗶𝘀𝗲𝗻𝘁 𝗮𝗶𝗺𝗲𝗿 𝗹𝗶𝗿𝗲 𝗲𝘁 𝗮𝗶𝗺𝗲𝗿 𝗾𝘂'𝗼𝗻 𝗹𝗲𝘂𝗿 𝗿𝗮𝗰𝗼𝗻𝘁𝗲 𝗱𝗲𝘀 𝗵𝗶𝘀𝘁𝗼𝗶𝗿𝗲𝘀. Il faut pourtant nuancer aussitôt : les enfants et adolescents des pays dits développés 𝗹𝗶𝘀𝗲𝗻𝘁 𝗱𝗲 𝗺𝗼𝗶𝗻𝘀 𝗲𝗻 𝗺𝗼𝗶𝗻𝘀 𝗲𝘁 𝗮𝘂𝘀𝘀𝗶 𝗱𝗲 𝗺𝗼𝗶𝗻𝘀 𝗲𝗻 𝗺𝗼𝗶𝗻𝘀 𝗯𝗶𝗲𝗻. Pour exemple, le nombre de mots lus par minute (en préservant la compréhension du texte) augmente avec l'âge et le niveau de compétence. En moyenne, un élève de Terminale lit 1,2 fois plus vite qu'un collégien de 6e (192 contre 165 mots par minute). Mais l'homologue de 1960 du lycéen lisait 237 mots par minute ! La question de la fluidité de la lecture n'est pas anecdotique (comme je pouvais le penser) : c'est un marqueur global de compréhension de textes et de réussite scolaire. En effet, on observe une corrélation entre les compétences en orthographe et la compréhension des textes. Plus un lecteur est compétent, plus sa vitesse de lecture est élevée et plus son orthographe est fiable. La société s'est adaptée en rognant sur les attendus scolaires et la complexité et la richesse lexicale des manuels et fictions adressés à la jeunesse.

 

L'auteur nous explique que la lecture est apparue après le langage oral donc que 𝗹𝗲 𝗿𝗲́𝘀𝗲𝗮𝘂 𝗻𝗲𝘂𝗿𝗼𝗻𝗮𝗹 qui permet la lecture est le fruit d'une adaptation génétique, d'où l'effort considérable que demande à chaque enfant le ciselage des maillages neuronaux. La première difficulté est 𝗹𝗲 𝗱𝗲́𝗰𝗼𝗱𝗮𝗴𝗲 (b et a font ba) puis la richesse lexicale et syntaxique de l'écrit, fabuleusement plus importante et subtile que l'oral. Apprendre à décoder c'est apprendre à extraire les régularités orthographiques. Les langues dites opaques compliquent à court terme l'acquisition du décodage tout en facilitant à long terme la fluidité de la lecture. Une langue opaque comme le français ou l'anglais c'est une langue où une lettre ou suite de lettres peut correspondre à des sons différents ("er" = fer ou manger) et où un son peut s'écrire de différentes manières ([ɛ] = gèle, seigle, merci, volley, est...). A l'inverse, l'italien, le grec ou encore le finlandais sont des langues transparentes où un phonème correspond à un graphème. Pour autant, plus un enfant lit, plus ses facultés de décodage se développent et s'automatisent.

 

Michel Desmurget explique évidemment tout cela de manière très détaillée. Il évoque à ce propos the fourth-grade slump ou "𝗹𝗮 𝗱𝗲́𝗴𝗿𝗶𝗻𝗴𝗼𝗹𝗮𝗱𝗲 𝗱𝘂 𝗖𝗠𝟭". Il a été démontré que la contribution du décodage à la compréhension passait de 27% au CE1 à 13% au CM1 et à 2% en 4e. Il est donc primordiale d'être vigilant tout au long de l'apprentissage pour soutenir (l'apprentissage du décodage et la découverte lexicale) sans pour autant décourager (en proposant trop vite des textes trop riches). Michel Desmurget cite par exemple l'incipit d'un roman de M. Morpurgo, Le lion blanc, jugé accessible dès 9 ans, dans lequel le vocabulaire peut s'avérer "trop" riche pour un lecteur récalcitrant. On y trouve en effet des mots comme : chatoyant, croupin, engelure, babines...

 

Autre élément relevé au cours de ma lecture : il y a en moyenne plus de 𝗿𝗶𝗰𝗵𝗲𝘀𝘀𝗲 𝗹𝗶𝗻𝗴𝘂𝗶𝘀𝘁𝗶𝗾𝘂𝗲 dans les livres jeunesse destinés aux moins de 5 ans que dans les échanges oraux les plus courants (discussions ou programmes TV, même dits "éducatifs"). Ainsi, Michel Desmurget conseille, pour assurer de bonnes fondations verbales à ses enfants, de leur parler tout de suite et beaucoup et de commencer tôt et finir tard à lire des histoires. Il a été mesuré que les bébés exposés à la lecture entre 3 et 6 mois ont de meilleures performances langagières à 5 ans. De même, les enfants de 4-5 ans privés de lecture partagée ont à 8-9 ans dix fois moins de chances d'être des lecteurs avancés et deux fois plus de risques de se retrouver en grande difficulté. Au-delà de la simple lecture, les parents qui, lisant un texte à leur progéniture, interrogent cette dernière sur la signification des mots et le sens de l'histoire, ne se contentent pas de soutenir le déploiement du langage et de l'attention ; ils inscrivent au cœur du cerveau de l'enfant toute une mécanique inconsciente d'évaluation du 𝗽𝗿𝗼𝗰𝗲𝘀𝘀𝘂𝘀 𝗱𝗲 𝗰𝗼𝗺𝗽𝗿𝗲́𝗵𝗲𝗻𝘀𝗶𝗼𝗻.

 

La lecture aide à construire sa pensée. Lire du contenu sur le web serait donc tout aussi bénéfique ? 𝗟𝗮 𝗰𝗮𝗽𝗮𝗰𝗶𝘁𝗲́ 𝗮̀ 𝘂𝘁𝗶𝗹𝗶𝘀𝗲𝗿 𝗹𝗲 𝗴𝗶𝘀𝗲𝗺𝗲𝗻𝘁 𝘁𝗿𝗲̀𝘀 𝗱𝗶𝗳𝗳𝘂𝘀, 𝗿𝗲𝗱𝗼𝗻𝗱𝗮𝗻𝘁 𝗲𝘁 𝗺𝗼𝗿𝗰𝗲𝗹𝗲́ 𝗱'𝗶𝗻𝗳𝗼𝗿𝗺𝗮𝘁𝗶𝗼𝗻𝘀 𝘀𝘂𝗿 𝗹𝗮 𝘁𝗼𝗶𝗹𝗲 𝗱𝗲́𝗽𝗲𝗻𝗱 𝗲𝗹𝗹𝗲 𝗮𝘂𝘀𝘀𝗶 𝗱𝗲 𝗹𝗮 𝗰𝗮𝗽𝗮𝗰𝗶𝘁𝗲́ 𝗮̀ 𝗹𝗶𝗿𝗲 𝗲𝘁 𝘀𝗲 𝗿𝗲𝗽𝗲́𝗿𝗲𝗿 𝗱𝗮𝗻𝘀 𝘂𝗻 𝗹𝗶𝘃𝗿𝗲. Michel Desmurget développe ce point vers la page 234. Sur le net, le détail et le fondamental se côtoient et les fake news se mélangent au véridique. Chaque requête engendre une montagne de réponses que l'internaute doit trier et évaluer. En cela, les livres sont moins exigeants pour le lecteur au sens où ils font peser le travail de structuration sur l'auteur. Les livres minimisent les risques de distraction et favorise une représentation mentale des éléments énoncés, donc une meilleure compréhension et une meilleure mémorisation. De plus, selon lui, tous les documents ne se valent pas : les livres de fiction ont un impact très positif sur le déploiement intellectuel, les journaux d'information un impact moindre, les magazines et bandes dessinées un impact neutre voire négatif en ce qui concerne la lecture sur écran. On peut noter que l'imagerie cérébrale a révélé les ravages des 𝗲́𝗰𝗿𝗮𝗻𝘀 sur la mise en place des réseaux cérébraux du langage. L'objet-livre et sa comparaison avec son compère numérique est également traitée de manière tout à fait juste.

 

Un des grands avantages de la lecture c'est qu'elle développe 𝗹𝗲𝘀 𝗮𝗽𝘁𝗶𝘁𝘂𝗱𝗲𝘀 𝘀𝗼𝗰𝗶𝗼-𝗲́𝗺𝗼𝘁𝗶𝗼𝗻𝗻𝗲𝗹𝗹𝗲𝘀. Éprouver les émotions des personnages, par exemple la trahison, ce n'est pas juste la comprendre, comme on lirait la définition du mot dans un dictionnaire, mais en faire l'expérience, à travers les actes, pensées et émotions du traître et du trahi. D'un point de vue cérébral, lire un mot comme "vomi" active l'aire cérébrale du dégoût. De même que le mot "sonnette" active l'aire du traitement des sons. On remarque aussi qu'il y a en littérature environ deux fois plus de descriptions d'émotions complexes (désespoir, soulagement, anxiété, irritation, fierté, intérêt...) que dans les échanges oraux (TV + radio). Ainsi, les livres développent l'empathie et la théorie de l'esprit. 𝗟'𝗲𝗺𝗽𝗮𝘁𝗵𝗶𝗲 c'est le processus de reconnaissance et de partage de l'état cognitif et / ou affectif. Il existe notamment dans les livres pour enfant une forte concentration de termes et descriptions socio-émotionnelles (heureux, triste, accablé, espérer, imaginer...) : dans près d'une phrase sur trois ! 𝗟𝗮 𝘁𝗵𝗲́𝗼𝗿𝗶𝗲 𝗱𝗲 𝗹'𝗲𝘀𝗽𝗿𝗶𝘁 c'est la capacité à deviner ce qu'une autre personne est en train de penser (prendre en compte des croyances différentes ou comprendre que quelqu'un peut, à dessein, cacher ses émotions). C'est d'autant plus important à savoir que des analyses montrent, nous dit Michel Desmurget, l'existence d'une dynamique d'augmentation du narcissisme et de déclin de l'empathie depuis les années 1980.

 

Michel  Desmurget souligne qu'une méta-analyse récente "confirme que le simple fait d'𝗼𝗳𝗳𝗿𝗶𝗿 𝗱𝗲𝘀 𝗹𝗶𝘃𝗿𝗲𝘀 à des élèves accroît, quel que soit l'âge, la motivation à lire, le volume de pratique et le niveau de performance." il est aujourd'hui établi que le nombre d'ouvrages disponibles au sein d'un foyer est un prédicteur du devenir académique des enfants. Une large bibliothèque révèle l'importance que les parents accordent à la culture littéraire et à sa transmission ; même si en matière de lecture, rien ne remplace la persévérance. Un gros lecteur (= 31 min. / jour en moyenne) lit autant en 100 jours qu'un petit lecteur (1,8 min. / jour) en 10 ans.

 

𝗣𝗼𝘂𝗿 𝘁𝗲𝗿𝗺𝗶𝗻𝗲𝗿, 𝘃𝗼𝗶𝗰𝗶 𝗰𝗲 𝗾𝘂'𝗶𝗹 𝗳𝗮𝘂𝘁 𝗿𝗲𝘁𝗲𝗻𝗶𝗿 𝗲𝘁 𝗲𝗻𝘁𝗿𝗲𝗽𝗿𝗲𝗻𝗱𝗿𝗲 𝗲𝗻 𝘁𝗮𝗻𝘁 𝗾𝘂𝗲 𝗽𝗮𝗿𝗲𝗻𝘁 : 

  • 𝗩𝗔𝗟𝗢𝗥𝗜𝗦𝗘𝗥 𝗹𝗮 𝗹𝗲𝗰𝘁𝘂𝗿𝗲 : encourager, féliciter, dire l'importance mais aussi montrer l'exemple : lire soi-même, leur lire des histoires, les emmener en bibliothèque et librairie, posséder des livres...
  • 𝗗𝗘𝗩𝗘𝗟𝗢𝗣𝗣𝗘𝗥 𝗟𝗘 𝗣𝗟𝗔𝗜𝗦𝗜𝗥 𝗱𝗲 𝗹𝗶𝗿𝗲 : leur lire des histoires et surtout poursuivre au-delà des premières acquisitions de décodage du CP. J'évoquais ces idées dans un article en avril 2020 : Mes 5 astuces pour faire de son enfant un lecteur.
  • 𝗟𝗜𝗠𝗜𝗧𝗘𝗥 𝗹'𝗮𝗰𝗰𝗲̀𝘀 𝗮𝘂 𝗻𝘂𝗺𝗲́𝗿𝗶𝗾𝘂𝗲 : ne pas dire "Si tu lis un peu tu auras le droit de..." mais plutôt se mettre d'accord avec l'enfant sur un temps / rythme de visionnage d'écran raisonnable ; au pire interdire et laisser le choix entre ne rien faire, faire la vaisselle et lire : le cerveau humain a horreur de l'ennui 😊

 

Ce compte-rendu n'est bien sûr pas exhaustif et survol de multiples notions. Toute une partie consacrée à l'apprentissage du décodage est notamment particulièrement intéressante. Y sont détaillées les notions de VWFA (Visual Word Form Area), phonèmes, lettres hétéromorphes, conscience phonologique, etc. Michel Desmurget propose une présentation de son sujet claire, structurée et très intéressante. Je ressors de cette longue lecture à la fois plus riche de connaissances, rassérénée au sujet de l'importance accordée à cette passion au cœur de ma vie et de mon métier mais aussi, il faut l'avouer, un peu alarmée par certains constats détaillés. J'ai tous les jours face à moi des adolescents qui lisent de moins en moins et un fils à la charnière du décodage et de la "véritable" lecture. 𝗗𝗲 𝗾𝘂𝗼𝗶 𝗻𝗼𝘂𝗿𝗿𝗶𝗿 𝗺𝗮 𝗿𝗲́𝗳𝗹𝗲𝘅𝗶𝗼𝗻, 𝗺𝗮 𝗽𝗿𝗮𝘁𝗶𝗾𝘂𝗲 𝗾𝘂𝗼𝘁𝗶𝗱𝗶𝗲𝗻𝗻𝗲 𝗲𝘁 𝗺𝗼𝗻 𝗽𝗹𝗮𝗶𝘀𝗶𝗿 𝗱𝗲 𝗹𝗶𝗿𝗲.

 

[...] "intellos". Mot qui, pour nos enfants, relève dorénavant quasiment de l'insulte. Une évolution dont Ray Bradbury, auteur du mythique Fahrenheit 451, pressentait déjà l'inéluctabilité, dès le début des années 1950, lorsqu'il faisait dire à l'un de ses personnages : "Pourquoi apprendre quoi que ce soit quand il suffit d'appuyer sur des boutons, de faire fonctionner des commutateurs, de serrer des vis et des écrous ?"

Le décodage est au lecteur ce que la raquette est au tennisman : un élément essentiel mais inapte à fonder l'expertise.

L'écrit est un langage à part, plus riche, divers et subtil que l'oral.

[...] Je pense qu'il est temps de renouer avec le mot. Je suis aussi coupable que quiconque d'avoir exalté l'image au détriment du mot. Mais seule une génération de lecteurs engendrera une génération d'écrivains.

Citation de S. Spielberg en 1987

[...] les libraires et bibliothécaires peuvent être ici* d'un grand secours, par leurs compétences (à chacun son métier), mais aussi leur patience, souvent remarquable !

* pour le choix d'un livre

Plus l'enfant est entouré de livres et de lecteurs, plus il a de chances de lire, de lire précocement, de lire beaucoup et, au bout du compte, de lire efficacement.

Publié le 6 Novembre 2023

Longtemps je me suis couché de bonheur, avec mes livres et ma lampe de poche. Dès que j'allumais ma lampe, les personnages sortaient d'entre les pages. En foule. Avec les voisins, les chevaux, les oiseaux, les Martiens ambidextres, les héros peureux, les maléfiques, les surpuissants, les traîtres, les anodins, les ensorcelés, les injustement condamnés, les invisibles, les souterrains, les faces d'ange, les princesses à délivrer. Personne ne saura jamais combien nous étions sous la couverture.

Claude Ponti

Blaise et le château d'Anne Hiversère

L'École des Loisirs, 2004

 

 

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Publié le 19 Octobre 2023

Une activité respectable

Dans la catégorie "je persévère", j'ai repris entre mes mains ce très court livre autobiographique de Julia Kerninon. Pour valeur de test avant d'éventuellement me plonger dans son dernier roman Sauvage. Car cette jeune romancière nantaise, dont j'avais déjà essayé de lire ce fragment autobiographique ainsi que quelques lignes de Liv Maria, je me devais de la connaître, quand bien même ma lecture de Toucher la terre ferme n'avait pas été particulièrement enthousiasmante. Je suis allée au bout des quelques pages. Conclusion : malgré des phrases à rallonge, des qualités littéraires indéniables. Mais aussi la confirmation de ce dont j'avais eu l'intuition précédemment : un léger égocentrisme et une fierté mal placée d'intellectuelle.

 

Dans ce texte, elle revient sur son enfance, son adolescence et le début de sa vie d'adulte mus par sa passion pour la lecture et l'écriture. Elle nous parle de l'histoire de ses parents instituteurs, de sa reconnaissance pour ce qu'ils lui ont permis de devenir, de ses atavismes. Beaucoup moins de sa pauvre sœur qui ne semble être qu'un tardif élément de son décor. Elle évoque quelques frasques de jeunesse (heureusement pas autant que dans Toucher la terre ferme). Elle raconte aussi ses jeunes années avant d'être publiée, lorsqu'elle travaillait comme serveuse l'été au bord de l'Atlantique, tout en vivant des amours passionnés et en passant de nombreuses heures à écrire. C'est là qu'elle m'a perdu je crois : en faisant part du travail si harassant, si méritant, si besogneux qu'elle a expérimenté. Je dirais aussi : si banal.

 

Pour autant, elle écrit bien. Ce qui donne envie de voir ce que sa langue peut donner à l'épreuve de la fiction. Elle semble également faire preuve de convictions féministes intéressantes. En outre, dans ce texte, elle confie quelques anecdotes touchantes de son enfance autour de la thématique de la lecture qui ne peuvent que résonner dans le cœur, comme elle dit avoir été surnommée par certains membres de sa famille, d'une bookish.

 

Bookish : adjectif. Se dit d'une personne qui adore la lecture, qui est studieuse. Synonyme : intello.

J’imagine que j’ai souri, mais je ne sais pas. Je sais seulement que j’ai lu ses livres, dès que j’ai appris à déchiffrer l’alphabet, j’ai exploré chaque recoin du palais qu’elle m’avait construit, je me suis perdue et retrouvée, j’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour la satisfaire, la réparer, la récompenser de l’effort immense qu’il avait dû lui falloir pour signifier cela à son premier enfant. J’ai lu. J’ai lu des livres sans cesse, dans une frénésie panique, en cherchant à rattraper le temps, à rattraper ma mère qui semblait tout savoir.

Ma vie je la passe à lire des livres pour remettre les choses en place, pour me déplier, et c'est comme chanter tout bas à ma propre oreille pour me réveiller.

Comme des repères, les livres nous mènent à d'autres livres, ils nous font ricocher - nous lisons comme Dante se laissant guider par Virgile dans la forêt sauvage du péché. Dans les bibliothèques, dans les librairies, les voir tous côte-à-côte, si nets, comme des compartiments dans un columbarium, chacun renfermant une voix, une aria, je ne connais rien de mieux. Je reviens toujours là. C'est tout.

Dans mon enfance, l'excès ne m'a pas été désigné comme un défaut - et sans doute était-ce une erreur - mais depuis j'arpente la littérature comme un champ dans lequel mes pas laissent l'herbe ployée un instant derrière moi, juste le temps de voir le chemin parcouru, et l'immensité encore inconnue.

Maintenant, mes livres sur des étagères de librairies paraissent logiques, évidents, on peut s’en servir pour justifier tous mes manquements, mais je me rappelle du moment où mes failles n’avaient pas encore d’explication, où il était possible qu’elles n’en aient jamais, et que je reste pour toujours à la porte de ce qui est important.

Publié le 9 Mars 2023

Dictionnaire des clichés littéraires

Dictionnaire brièvement parcouru que j'ai trouvé savoureux bien qu'un peu inhibant. Il propose trois exercices de repérage de clichés (pas si évident !), avant d'énumérer sous forme de dictionnaire des clichés littéraires tels que : le silence enveloppant, les dettes dont on peut être criblé, le cœur qui bat la chamade ou palpite... Tics littéraires et expressions toutes faites sont ainsi listés sans concession mais avec un humour distrayant.

Dictionnaire des clichés littéraires
Dictionnaire des clichés littéraires
Dictionnaire des clichés littéraires