Publié le 28 Février 2023

Pleine et douce

Ce roman choral donne la voix à une galerie de personnages féminins liés par la petite Eve, bébé né par PMA à Barcelone à l'initiative de sa maman Stéphanie. C'est ce petit bout de femme, Eve, qui prend la parole dans le premier chapitre. Puis ce sera au tour des femmes de son entourage : tantes, cousines, amies, nounou... unies par des liens familiaux ou affectifs. Toutes s'apprêtent à célébrer la naissance à l'occasion d'une fête au thème blanc immaculé. Chacune, en livrant une part de son quotidien, de ses pensées, de sa vulnérabilité, va se révéler un peu à nous et faire résonner son rapport à la féminité, à la maternité, à son corps. Vieillissement, intimité, puberté, procréation, maladie, consommation, désir, amour, féminin sacré, féminisme, modèle familial sont autant de sujet évoqués. Manon vit l'arrivée de ses premières règles au beau milieu de la cantine du collège. Charline ne peut pas raconter l'agression qu'elle a subit alors c'est son corps anorexique qui parle pour elle. Lucie, avocate et mère de famille, se rend violemment compte de l'absurdité de sa liaison fantasmée avec un collègue. Jamila a l'impression de ne pas avoir dormi depuis deux jours mais est reconnaissante au soleil de continuer à briller pour elle et les siens. Du fond de son jardin, Colette trouve parfois que les féministes d'aujourd'hui frôlent le ridicule en brandissant des clitoris multicolores mais se réjouit aussi de cet enthousiasme qui va au-delà "des mots et [des] annonces toujours déçues". Ancré dans le réel contemporain, ce roman offre des réflexions touchantes et intéressantes. Il évite l'écueil d'une happy end. Toutefois, j'ai eu du mal à m'attacher aux personnages. J'ai trouvé certains passages trop crus. Je n'ai pas été particulièrement séduite par l'écriture. Surtout, je n'ai pas compris ce que venait faire le personnage de la grand-mère aigrie voire haineuse dans cette histoire. On sent que le sujet de l'émancipation par la sororité tient au cœur de l'autrice mais on ressent aussi une certaine artificialité du récit. Un certain didactisme. Pour autant, ces corps qui parlent, jouissent, nourrissent, tremblent, grandissent et qui s'accordent dans ce récit pour chanter leurs désillusions et leurs espoirs méritent toute notre écoute.

 

Rédigé par Nota Bene

Publié dans #Je lis

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Publié le 27 Février 2023

Si l'hiver arrive dis-lui que je ne suis pas là

Voici un album jeunesse signé Simona Ciraolo paru en 2020 dans la collection Pastel de L'école des loisirs et destiné aux enfants à partir d'environ 4 ans. Ils apprécieront leur lecture, d'autant plus s'ils sont frileux et déprimés par le ciel blanc de l'hiver, rêvant aux plongeons chlorés et aux glaces acidulées de l'été. Nager, manger des glaces, jouer dehors, c'est effectivement ce que préfère notre petit protagoniste. Il voudrait que cela dure toujours. Mais sa sœur se fait un malin plaisir de lui apprendre qu'inéluctablement arriveront l'automne puis l'hiver. Elle lui dresse un tableau peu réjouissant de ces saisons : tristes, froides, humides, condamnant à squatter le canapé du salon... Inquiet, le petit frère ne peut que constater l'évidence : sa sœur a raison. Il observe les feuilles des arbres tombés, les jours raccourcirent et la pluie tombée. Mais finalement, on fil des pages, son sourire illumine son visage. Que c'est chouette de regarder la télévision en famille, de sauter dans les flaques d'eau, de déguster un chocolat chaud, de jouer dans la neige ! Les crayonnés faussement brouillon, aux couleurs lumineuses, dressent les tendres portraits des membres de la famille : frère et sœur, parents mais aussi chien et chat. Finalement, le changement est synonyme de nouveautés à explorer... jusqu'au retour du printemps !

Je n'ai pas eu envie d'une glace, même pas une seule fois.

Et même si le monde a perdu toutes ces couleurs je ne trouve pas ça triste. J'ai décidé d'en profiter au maximum. Juste au cas où il ne durerait pas très longtemps.

Publié le 11 Février 2023

Je vous souhaite de douces vacances égayées par le soleil hivernal.

De mon côté direction les sommets enneigés !

 

Rédigé par Nota Bene

Publié dans #Je blogue

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Publié le 10 Février 2023

Voici quelques livres déjà sorti ou à paraître dans les semaines à venir qui rejoignent ma pile à lire :

 

♥ BD

La couleur des choses de Martin Panchaud [Fauve d'or d'Angoulême 2023]

Les pizzlis de Jérémie Moreau [sélection Angoulême 2023]

Junk food : les dessous d'une addiction d'Emilie Greason et Arthur Croque

Brancusi contre États-Unis d'Arnaud Nebbache

 

♥ Romans

Tibi la blanche d'Hadrien Bels [sélection Prix du roman Coiffard 2023]

Blizzard de Marie Vingtras [Prix des libraires 2022]

Encabanée de Gabrielle Filteau-Chiba

Le bureau d'éclaircissement des destins de Gaëlle Nohant

 

♥ Lectures sur la lecture (et l'écriture)

Dictionnaire des clichés littéraires d'Hervé Laroche

T'as pas l'impression de prendre toute la couverture ? de L'indéprimeuse

Bibliothérapie jeunesse d'Aurélie Louvel

 

♥ Albums jeunesse

Si l'hiver arrive dis-lui que je ne suis pas là de Simona Ciraolo

Un meilleur meilleur ami d'Olivier Tallec [à paraître le 8 mars]

Papa d'Hélène Delforge et Quentin Gréban [à paraître le 20 avril]

 

Lectures à venir
Lectures à venir
Lectures à venir
Lectures à venir
Lectures à venir
Lectures à venir
Lectures à venir
Lectures à venir
Lectures à venir
Lectures à venir
Lectures à venir
Lectures à venir
Lectures à venir
Lectures à venir

Publié le 9 Février 2023

Cette nuit on part en vacances

Voici un album datant de 2020, signé Charlotte Bellière et Ian De Haes, que j'avais déjà évoqué dans la liste des Lectures d'été pour bambins adorés en 2021. Je vous le présente aujourd'hui plus en détails, à l'aube d'un inédit départ en vacances à la neige !

 

Un petit garçon, fébrile, nous parle. Cette nuit, toute la famille part en vacances. Son papa charge la voiture en râlant, sa maman l'incite à dormir. Le petit garçon n'en a pas très envie... mais lorsque sa maman vient le chercher dans son lit pour le déposer tendrement dans la voiture en pleine nuit, il est bien étonné de s'être finalement endormi. C'est parti pour une longue route. Pour passer le temps, on dort bercé par le ronronnement du moteur de la voiture qui file vers une destination lointaine. Puis on lit un livre, on écoute de la musique, on regarde les gouttes d'eau glisser sur les vitres de la voiture. On s'amuse des paysages qui défilent dans l'obscurité, des pauses sur l'autoroute, des chamailleries avec le petit frère. Et enfin, après avoir posé mille fois la même question - vous devinez de laquelle il s'agit - des champs de tournesols se dévoilent à perte de vue et on s'engouffre dans un petit chemin de terre... quelle joie d'être arrivé !

 

Du texte aux illustrations, cet album retranscrit magnifiquement les moments d'excitation et d'impatience jalonnant les longs trajets des vacances. Les images aux tons bleu nuit nous plongent dans une atmosphère particulière dès le départ, faisant ressortir les lumières (phares, lampadaires...) du format à l'italienne. Certaines double-pages sont muettes, laissant toute la place aux visuels, d'autres sont plus bavardes. Les illustrations semblent s'élargir au fur et à mesure des kilomètres. J'ai adoré la lumière rose de la fin du trajet, la végétation assombrie contrastant avec les lumières citadines.

 

C'est le récit à hauteur d'enfant d'une nuit pas comme les autres où voiture rime avec aventure. Une vraie bouffée de nostalgie pour les enfants devenus grands.

 

Cette nuit on part en vacances
Cette nuit on part en vacances
Cette nuit on part en vacances
Cette nuit on part en vacances
Cette nuit on part en vacances

Publié le 6 Février 2023

Comment accouche-t-on lorsqu'on n'est pas enceinte ?

Flagrant déni

Juliette est une adolescente aussi scolairement brillante que dure avec sa mère. Elle a soif d'absolu. Mais un jour, en voulant prendre trop tôt son envol, elle tombe du nid. Elle se retrouve à l'hôpital aux prises avec de gigantesques vagues de douleurs. Elle accouche. Sidérée, elle va devoir composer avec cet Autre qui se cachait dans le fin fond de son ventre plat. Avec une densité émotionnelle folle, Hélène Michalon nous parle de cet incroyable phénomène qu'est le déni de grossesse. Juliette rejette en bloc l'enfant. On lui précise qu'elle a deux mois pour prendre une décision : devenir sa mère ou ne plus jamais le revoir. Elle vit son post-partum en frôlant la folie. Elle sort sa tête de l'eau petit à petit, tangue, raccommodée par la présence discrètement et patiemment solide de sa famille. A travers ce sujet gravite aussi des thèmes tels que les rapports entre patients et personnels soignants, les rapports parents-enfants, le rapport au corps (tour à tour traitre, guerrier meurtri, matrice extraordinaire...), la césarienne, l'attachement maternel, etc. J'ai aimé suivre le cheminement de Juliette et de sa famille, tout en délicatesse et en parlé vrai (réalité de l'accouchement, du post partum...). Je regrette toutefois le manque de nuances et de développement concernant son changement de décision. En effet, Juliette, totalement épaulée par ses parents et sa jeune sœur, décidera finalement de devenir la mère de son enfant. Celle qu'elle nomme "l'Autre", "le parasite", "le terroriste", deviendra petit à petit "l'enfant", "le bébé" puis Solal. Observer les jeunes mères au parc et réparer une assiette cassée à l'initiative de sa mère - d'où la référence sur la première de couverture à l'art ancestral japonais du kintsugi, l'art de faire renaître les objets cassés - me semble un peu léger pour influer lourdement sur une telle décision. Tout se termine tellement bien que s'en est presque hors sol. Toutefois, le parcours traumatique de l'adolescente paraît justement raconté et nous plonge dans un riche panel d'émotions : l'incompréhension, la révolte, la colère, le désespoir, la tristesse, la honte, la culpabilité, le doute, l'apaisement... C'est une lecture au sujet sensible, bouleversant et brusque dont l'écriture subtile nous rend compte avec justesse du parcours à fleur de peau de l'héroïne. Car comme le dit Hélène Michalon, même si elle n'en a pas conscience, Juliette est bien une héroïne voire "une légende, une femme de la trempe des plus grandes guerrières" venant d'accomplir quelque chose "d'extraordinaire".

Elle était deux. Qui était-il ? Dans la même seconde, elle perdit sa verve, un peu de sa superbe et beaucoup de son enfance.

Le corps déformé de Juliette était devenu si phénoménal qu'elle le contemplait, sidérée. Il ne lui appartenait plus. Elle subissait cet autre dont elle ne voulait pas et qui l'assiégeait, qui la forçait. Comme un viol, elle se sentait sale et contrainte. L'enfant lui volait sa dignité et son innocence, il tuait son avenir. Il était le coprs du délit, l'aveu criant de sa sexualité. L'enfant, vorace comme un parasite, s'était introduit en elle, avait puisé dans ses ressources pour se développer. [...] La lycéenne se perdait entre l'envie d'éjecter l'enfant immédiatement ou de préférer qu'il ne sorte jamais. A présent, on ne voyait plus que lui. Juliette aurait voulu remonter le temps, redevenir petite fille. C'était trop. Trop haut, trop grave. Insurmontable.

Il était là, dans leur monde, inoubliable.

Ses rêves avaient fondu et elle se gaspillait dans le néant, elle se vautrait dans la mélancolie qu'à un autre moment elle aurait trouvée romantique.

Elle était la flamme sur laquelle sa famille soufflait pour la raviver. C'était donc ça l'amour fou : s'effacer pour laisser l'autre passer.

Dans un mouvement de recul, Agnès s'effaça pour laisser à sa fille jouer le premier rôle de sa vie. Une odeur agréable de lait de toilette flottait dans l'air, celle qui donne l'envie incontrôlable de se pencher pour embrasser la tête des bébés. Toutes les deux détaillaient ce petit bout de chair qui avait eu le pouvoir d'arrêter leur vie, il était si petit, si envahissant.

Déjà lu sur le même thème, à destination des ados : La décision d'Isabelle Pandazopoulos.

 

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Rédigé par Nota Bene

Publié dans #Je lis

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