Publié le 27 Septembre 2021
Je pensais que je n'irais jamais jusque-là, que je ne te permettrais jamais de faire ce que tu es en train de faire, et pourtant je suis assise ici, dehors, attendant que tu sortes de cette porte avec un sexe et un prénom différent.
Dans la lignée de mes lectures sur la thématique de la transidentité, j'ai lu le premier roman de l'italienne Silvia Ferreri. Comme pour Mon père, ma mère, mes tremblements de terre, le récit prend appui sur un moment crucial, à la fois la finalité d'un processus et le début d'une nouvelle étape de vie : l'opération chirurgicale qui transformera Eva en Alessandro. Cette fois, le narrateur n'est pas un adolescent évoquant le trouble de son père mais une mère revenant sur l'enfance et l'adolescence de sa fille. Pendant le temps suspendu de l'opération, dans le froid couloir blanc d'une clinique serbe, cette mère se livre à une introspection profonde et bouleversante. Sa fille Eva a tout juste 18 ans. Sa fille est un homme né dans un corps de femme. Toute sa vie elle a souhaité faire correspondre son corps à son identité de genre. Sa mère, "la mère" comme la désigne le personnel de la clinique, la mère d'Eva donc la mère de la première femme sur Terre, comme l'incarnation de la nature matricielle, se remémore et raconte leur parcours. L'incrédulité, la douleur, la colère, la tristesse, l'incompréhension, la volonté de protéger (sa fille mais aussi son compagnon et ses propres parents) : tout est percutant. Cette mère est parfaitement imparfaite tant elle est pleine d'un amour inconditionnel qui peut, non sans mal, déjouer les impatiences, les douleurs, les mal-êtres, les trop-pleins de larmes, le désarroi. C'est très bien écrit et intéressant car plus cru et "torturé" que le roman de Julien Dufresne-Lamy. Moins édulcoré. Les questionnements sont plus poussés : la narratrice revient sur son parcours maternel et interroge sa responsabilité supposée et sa culpabilité, la difficulté pour son compagnon de faire face, le rôle et la responsabilité du corps médical également. Les malaises des uns et des autres (jusqu'à la tentative de suicide d'Eva/Allessandro) et les transformations physiques à venir (ablation du vagin, hystérectomie, phalloplastie...) sont abordés de front. Les changements physiques sont énumérés d'un point de vue chirurgical mais aussi dans ce qui participe de l'identité et de la transmission : la perte de la possibilité de mettre au monde des enfants, de les allaiter, etc. Sur un sujet brûlant d'actualité, Silvia Ferreri offre un roman impactant et émouvant qui ne peut laisser indifférent.
Je suis là, Eva, je suis à côté de toi. Je suis assise dans le couloir froid à côté du bloc opératoire où tu es étendue, nue, pour la dernière fois fille, enfant, femme. Tu ne m'entends pas et tu ne me vois pas mais je suis là. Je ne te quitte pas.
Que va-t-il advenir de toi ? De quelle espèce de cocon vont sortir tes ailes ? Quelle sorte de papillon seras-tu ? Comment apprendras-tu à voler si tu ne peux même pas pisser ?