Les livres prennent soin de nous : pour une bibliothérapie créative

Publié le 6 Novembre 2019

Les livres prennent soin de nous : pour une bibliothérapie créative

Les livres prennent soin de nous. Nous prenons soin de nous par les livres. Quel amoureux des livres pourrait en douter ? Pour autant, le loisir culturel qu'est la lecture n'est pas forcément associé au domaine du soin. On pense plutôt à ses aspects instructif ou divertissant. Or, dans cet essai divisé en courts chapitres, Régine Detambel (romancière, kinésithérapeute de formation) prend appuie sur des citations d'écrivains et de théoriciens et sur des anecdotes personnelles pour nous présenter ce qu'est la thérapie par la lecture. Lire non seulement pour apprendre et comprendre mais aussi pour aller mieux.

Quels maux soignent les livres ? Ils sont innombrables : l'ignorance, la tristesse, l'isolement, le sentiment de l'absurde, le désespoir, le besoin de sens, parmi quelques autres. C'est que l'écriture est aussi un scalpel, un outil de compréhension de soi-même et du monde, d'accouchement de la pensée même qui s'élabore dans le texte.

Le terme de bibliothérapie ne fait pas encore partie du dictionnaire français. Et pourtant, cette médecine douce élaborée dans les pays anglo-saxons fait doucement son apparition dans l’hexagone. Elle est destinée à tous mais plus particulièrement aux personnes fragilisées : personnes malades, âgées, dépressives, etc. Ici, Régine Detambel s'adresse non pas aux potentiels patients mais plutôt aux professionnels - soignants, libraires, bibliothécaires - qui souhaiteraient se former à la bibliothérapie créative. Elle insiste d'ailleurs sur cet adjectif. Pour elle, il ne faut pas confondre le vulgaire coaching par les livres qui consisterait à faire lire des ouvrages feel good ou de vulgarisation psychologique avec la bibliothérapie créative. Créative dans le sens où les singularités de véritables textes littéraires vont se déployer au travers le prisme de l'intimité du lecteur et de ses questionnements du moment. Ainsi, à la lecture d'une œuvre intégrale ou d'extraits choisis, le lecteur a la possibilité de s'identifier à un personnage, se projeter dans le passé ou le futur, s'ouvrir à d'autres cultures, s'imaginer dans des réalités alternatives, se sécuriser...

C'est [...] cet incessant devenir, synonyme de santé, qui nous interdit de relire jamais le même livre !

Lire, c'est avoir le pouvoir de se concentrer, de retenir, ne pas oublier qui parle, ce qui vient de se passer. Alors je me déconcentre, brutalement, pour me prouver que je suis capable d'avoir un pied dans chaque monde. Je lève la tête, je secoue le livre, je soupire parce que la phrase était belle, je répète quelques mots pour être sûre que ma mémoire atteint ma bouche. Je regarde dehors, je reviens au livre : cela s'appelle accommoder. Passer ainsi d'un monde si proche à un monde tellement lointain, s'accommoder du réel et de la fiction, avec la même aisance, c'est vivre heureux.

Régine Detambel insiste sur le caractère charnel de la lecture sur papier (la douceur et l'odeur du papier...), sur l'importance de l'oralité (la lecture de passages importants à voix haute) et sur celle de l'écriture (le recopiage de citations, l’annotation dans les marges des livres...) qui concordent vers une assimilation corporelle du texte. Selon elle, lire ou écrire engage - et soigne - tout le corps.

Écrire, c'est jouer à grimper l'escalier quatre à quatre.

Il faut que le bibliothérapeute éveille des vocations, non pas de calligraphes, mais de carnettistes exhibant leurs citations et passages, les recopiant et les gueulant au besoin.

Recopier, c'est lire de tout son corps ; recopier quelques vers d'une poésie vaut le coloriage d'un mandala. Bien sûr, l'exercice a eu entre-temps une résonance cruelle de punition scolaire. Mais au-delà de la torture sadique, on peut vraiment y reconnaître une activité bénéfique, car on n'assimile pas ce que l'on n'a pas recopié. Et puis la caresse sur le papier, le tranchant de la main effleurant la feuille, ce n'est pas rien.

Le papier nous écoute. Il nous accompagne (on tâche d'avoir toujours sur soi un calepin et un crayon), il est un interlocuteur imaginaire. Comme dans une psychothérapie, le papier permet la symbolisation, c'est-à-dire que, grâce à lui, on peut construire des représentations personnelles de nos expériences. Symboliser, c'est tout à la fois se souvenir, figurer, représenter, jouer, nier... Quant au lecteur qui écrit dans la marge de ses livres préférés, alors il articule les deux processus de la catharsis et de la symbolisation, pour sa plus grande jubilation.

Ainsi, cet essai sur la façon de soigner les maux par les mots est intéressant. Pour autant, j'ai été frustrée de n'y découvrir aucun cas concret, aucune méthodologie applicable. Sans m'attendre à une liste qui ferait office d'ordonnance universelle, j'espérais tout de même des éléments tangibles pour appréhender la méthode à mettre en œuvre. Je suppose donc ici que l'objectif était de proposer une synthèse des différentes réflexions déjà menées sur le pouvoir soignant et cathartique de la lecture et qu'il s'agit d'une introduction à une éventuelle formation à suivre. Une piste, cependant :

J'ai peur du regard de l'autre, que puis-je lire ? On vient de m'enlever un sein, que dois-je lire ? J'ai peur de vieillir, quoi lire ? Magnifique réflexe car le bibliothérapeute est un documentaliste spécialisé dans la quête du plus humain en nous, et se doit de donner à un problème, par l'intermédiaire du choix d'un grand livre, les réponses les plus riches humainement. [...] La bibliothérapie nécessite l'empathie.

Rédigé par Nota Bene

Publié dans #Je lis sur la lecture

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