Florida

Publié le 10 Mars 2021

Florida

Merci aux éditions Finitude pour le partage

 

de ce roman tout juste paru

 

 

Qu'elle n'a pas été ma surprise, après les confidences d'Olivier Bourdeaut au printemps 2018, de prendre connaissance de la sortie de son dernier roman ! Mes yeux ont pétillé à la lecture du communiqué de presse. Après la fantaisie mélancolique de son premier roman En attendant Bojangles et celle plus polardeuse de Pactum Salis, l'auteur revient avec un roman musclé qui s'épanouit dans la démesure.

 

Dans un style direct, presque essoufflé, Elizabeth nous raconte son histoire. Dans les années 1990, en Floride, sa mère l'inscrit pour son septième anniversaire à un concours de mini-miss. Elle le remporte, pour son plus grand malheur... À partir de ce premier concours, son corps ne lui appartient plus. Sa mère, durant plusieurs années, chaque week-end, met toute son énergie à tenter de faire remonter sa princesse sur la première marche du podium. Répétition des discours, des chorégraphies, séances de coiffure, d'épilation, de manucure, opération des oreilles... Les rouages de l'immodéré prennent place. La fillette ressent de plus en plus de rancœur envers celle qu'elle appelle "la Reine mère" et son "Valet" de père inconsistant. Un jour, elle trouve le courage de manifester son dégoût et sa colère. Pourtant, le mal est fait. Adolescente puis jeune adulte, confrontée aux désirs qui s'éveillent et dévorée par le besoin de reconnaissance de sa souffrance, elle tombe dans d'autres formes de démesure. Elle prend du poids et s'enlaidit. Maigrit et séduit. Puis, encouragée par le hasard d'une rencontre avec un aspirant photographe prénommé Alec, devient bodybuildeuse. Elle rejette le culte du corps féminin hyper-sexualisé qu'on lui a imposé dans son enfance. Elle tente de s'approprier un corps victime d'une ambition par procuration en le malmenant, différemment mais autant que dans son enfance : il devient musclé, façonné jusqu'à en être dénaturé, étrangement laid. L'histoire, à la fois grotesque et tragique, rend compte du cheminement d'une jeune femme partagée entre tristesse et colère, amour et haine de son image, obsession et reconstruction. Elle cherche de l'aide. Elle interpelle d'ailleurs le lecteur à de nombreuses reprises.

 

Olivier Bourdeaut, par le biais de cette satire d'une société glorifiant l'apparence, se met à nouveau dans la peau d'un jeune narrateur en proie à la folie maternelle. Pour autant, il se réinvente avec un style plus cru, plus féroce. C'est ambitieux, douloureux, cynique, dérangeant et pourtant, la fin laisse entrevoir de la lumière. En un mot : c'est réussi.

 

 

Si je n'étais pas assez belle pour gagner, il fallait que je devienne plus sexy, plus femme, plus provocante, en clair que je devienne plus excitante. Sur les photos de mon avant-dernier concours, c'est bien simple, je ressemble à une pute, une pute de douze ans. Et sur une de ces photos, ma souteneuse me tient par la main, et elle a de ces yeux, mon Dieu, de ces yeux. Si vous pouviez voir cette image, ça m'éviterait d'écrire tous ces mots.

Avant d'arriver au concours, nous sommes passées devant un cirque. Nous nous sommes arrêtées en face le temps d'un feu rouge. A l'entrée, il y avait des manifestants avec des pancartes qui parlaient de bien-être animal. Un slogan m'accroche l’œil : la souffrance derrière les paillettes. Lorsque nous sommes arrivées dans mon dernier château moche, il n'y avait pas de manifestants, ni de pancartes,. C'est la seule fois de ma vie où j'ai envié une otarie.

«Des seins, des sens et des poils, voilà ce qui tombe sur le corps d’une adolescente. Du sang, voilà ce qui tombe du corps d’une adolescente. La belle affaire, on a déjà beaucoup de choses à gérer, on est débordée, devoirs scolaires, alimentation, ambiance à la maison et paf voilà plein de gros dossiers sur le bureau.

Le diable dans sa grande perversité nous a dotés d'organes génitaux et d'une libido, le paradis. Dieu dans sa grande générosité nous a fourni une cervelle et un cœur, l'enfer.

Mon image se résume à des chiffres bleus lumineux entre mes doigts de pieds et les chiffres ne sont jamais bons, ce n'est jamais suffisant, c'est toujours trop, c'est l'histoire de l'engrenage. Cette insatisfaction permanente crée la hargne nécessaire pour continuer, mais rapidement j'ai l'impression de ne plus progresser. Je souffre, je jouis, je brûle mais je stagne. En treize mois, j'ai gagné cinq kilos de muscles.

Tu sais quoi, t’as qu’à l’écrire, ta vie, les gens adorent ça, lire les malheurs des autres, ça les fait bander de voir combien les autres ont dégusté. Elizabeth Vernn à l’infini, voilà le titre de tes mémoires, de mini-miss à mini-monstre. Tu va faire un carton. Pauvre petite fille, papa maman méchants avec moi, alors moi me faire vengeance. Moi, toute musclée, moi plus belle du tout. Oui, j’étais trop belle, c’était mon problème vous comprenez. Oh, mais c’est grave tout ça, vous voulez en parler. Oui oui, j’ai écrit un livre pour tout expliquer. Passionnant, je vais l’acheter, ça me changera d’Alexandre Dumas.

Rédigé par Nota Bene

Publié dans #Je lis

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