Le Rire des autres

Publié le 17 Avril 2024

Le Rire des autres

Anna, fraîchement diplômée en philosophie, n'a ni contrat doctoral ni vocation d'enseignante. Le jour où une conseillère de Pôle emploi lui annonce que ses études de philosophie ne valent rien sur le marché du travail, elle accepte un emploi alimentaire, payé le Smic, sur le plateau d'une émission de télévision. Ce boulot est inintéressant et à l'opposé des valeurs de la jeune femme : "La philo nous avait appris à mépriser les biens matériels". Mais, toute à sa joie de vivre son amour avec son récent petit ami Charles-Lucien, dit Lulu, elle s'accroche en espérant obtenir un CDI. Un jour, Lulu, à qui elle vient de proposer d'emménager dans son petit appartement, se met à vomir des billets de 20 euros. Dès lors, tout change. Pendant qu'il expulse à une cadence soutenue de quoi lui acheter des sacs de luxe et un appartement à moulures, Anna s'interroge : doit-elle s'alarmer pour la santé de Lulu ? Comment s'assurer que ce précieux flux ne tarisse jamais ?

 

De la modeste banlieue parisienne à la pluvieuse ville de Dublin en passant par Tahiti, les deux inséparables, à l'image de leurs oiseaux au vif plumage, vont vivre d'amour et d'eau fraîche avant d'expérimenter une relation contrariée par la "maladie" de Lulu. Il est évidemment beaucoup question d'argent : de celui qui se vomit, de celui qui manque et de ce qu'on fait de celui qui abonde. L'importance de l'apparence dans notre société est également présente à travers l'émission de télé pour laquelle travaille Anna (tri du public selon le physique, narcissisme de l'animateur vedette, mensonge de sa collègue Sandrine sur sa situation de femme battue...) ou lors du voyage à Tahiti (alimentation du compte Instagram, remarque sur la tenue vestimentaire de Lulu, discussion sur la chirurgie esthétique...). Les références à la pièce de théâtre En attendant Godot de Samuel Beckett (noms des oiseaux, ville de Dublin...) soulignent l'absurdité de la situation et de l'élément fantastique qui surgit dans le récit. Elle laisse à penser que le thème du roman est aussi l'impuissance : les contradictions dans lesquelles sont prises les jeunes gens aujourd'hui, l'attente d'une vie meilleure, la fatuité. On peut aussi penser à l'Écume des jours de Boris Vian : la référence à la philosophie, à la maladie absurde (le nénuphar qui se développe dans le poumon de Chloé versus l'argent qui "sort" du corps de Lulu), à la question de l'émancipation par le travail et l'argent. Après un temps de réflexion suite à ma lecture, et malgré une fin un peu plate, je me dis que j'ai aimé l'écriture et les idées en germe dans ce récit. C'est à la fois un conte et une satire sociale. Une réflexion conduite de manière originale sur l'amour, l'argent et surtout la vanité de l'existence.

 

C'est Descartes qui entre dans un bar. Le gars derrière le comptoir lui lance : "Vous prendrez bien quelque chose ?" Il répond : "Je ne pense pas", et là, il disparaît.

La rue avait changé de texture. Les façades d'immeubles paraissaient confortables, j'avais envie de m'y adosser. Le sol n'exhalait plus la chaleur emmagasinée la veille. Finis, le goudron fumant et le plastique des semelles qui colle un peu.

On est arrivés à l'aéroport de Faaa après dix-huit heures de vol. Notre baptême de l'air à tous les deux. En première classe, bien sûr. Sièges en forme de cocon, de la taille d'un lit, totalement inclinables, avec menu gastronomique. Moi, je connaissais les cocktails classiques, ceux qui font du bien à la tête mais donnent des aigreurs d'estomac. Effet détartrant puissant, comme le Sex on the Beach trop amer à cause du pamplemousse. Là, c'était un autre niveau. A commencer par le barman qui, ici, s'appelait un mixologue. On a appris un nouveau mot. Il pressait lui-même les fruits pour des créations originales qu'il composait à partir de notre prénom et de notre signe astrologique. Un délice. Le nec plus ultra de la personnalisation.

Il faisait encore nuit sur le parking. Les cigarettes allumées semblaient figées dans l'espace, dessinant de petites étoiles. Constellation du pauvre. Les portes du bus se sont enfin ouvertes. Bien vite, j'ai remarqué que la plupart des passagers avaient opté pour la même technique que moi. Des couches et des couches de vêtements qu'ils renonçaient à retirer car, à un moment, il faudrait les remettre. Ca tirait sur les cols roulés, visages suintants. Les bras engoncés rendaient tout mouvement difficile., hasardeux et maladroit. Le trajet s'annonçait étouffant. Des haut-parleurs diffusaient de vieux tubes. Le conducteur fredonnait Lovemepleaselooooveme et peinait dans les aigus. Derrière moi, un adolescent regardait une sitcom sans écouteurs. [...]

[...] Une famille mangeait des sandwichs triangles. J'ai essuyé la vitre avec ma manche pour avoir une lucarne bien nette et je me suis mise à compter les voitures vertes. A cette heure matinale, il y en avait peu. Je me suis laissé bercer par le ronronnement du véhicule et mes paupières se sont closes. Soudain, un Espagnol a crié quelque chose en espagnol : nous étions arrivés à l'aéroport.

Rédigé par Nota Bene

Publié dans #Je lis

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