La ville grise

Publié le 19 Février 2024

La ville grise

𝑀𝑒𝑟𝑐𝑖 𝑎̀ 𝑙𝑎 𝑚𝑎𝑖𝑠𝑜𝑛 𝑀𝑖𝑗𝑎𝑑𝑒 𝑝𝑜𝑢𝑟 𝑙𝑒 𝑝𝑎𝑟𝑡𝑎𝑔𝑒 𝑑𝑒 𝑐𝑒𝑡 𝑎𝑙𝑏𝑢𝑚

 

 

Nina vient de déménager. Est-ce son humeur maussade qui lui fait voir les choses en gris ou est-ce qu'il y a quelques chose qui cloche dans cette ville ? Bâtiments, véhicules, vêtements... tout semble se décliner en cinquante nuances de gris. La fillette décide alors de ne plus quitter son ciré jaune. Elle vient d'entrer en résistance.

Est-ce que toute la ville était vraiment aussi grise, ou était-ce la vue depuis sa chambre qui lui donnait cette impression ? Nina cherchait des couleurs. Mais au détour de chaque alignement d’immeubles gris, il y avait seulement d’autres rues grises pleines de voitures grises, de panneaux gris et de passants gris. Même dans la vitrine d’une papeterie, les tubes et les flacons de peinture ne contenaient que du gris. Gris souris, gris anthracite, gris granit… lut-elle, incrédule.
"Quelque chose ne va pas dans cette ville", pensa Nina en contemplant cet étrange étalage.

Plongé dans un gris terne et oppressant, dont les cadrages renforcent l'impression d'enfermement, le lecteur s'attache à la silhouette lumineuse de Nina. Le texte, un peu bavard, et les magnifiques illustrations qui mêlent crayonnés et aquarelle se répondent dans une dramaturgie certaine. Nous découvrons en même temps que Nina que ce monde dans lequel elle évolue désapprouve la couleur. Plus encore, les couleurs sont la métaphore de l'expression artistique et culturelle. Ainsi, sans que rien ne soit clairement énoncé, on devine qu'un système totalitaire essaie de prendre complètement le contrôle de l'imaginaire et de l'opinion des habitants.

 

Dans sa nouvelle école, Nina se fait remarquer dès le premier jour en arborant son ciré jaune et en faisant un dessin plein de couleurs. En retenue, elle doit visualiser un film pédagogique en noir et blanc rappelant les règles de vie en communauté intitulé "Les comportements sociaux souhaitables : adaptation, obéissance, discipline". Elle fait la connaissance d'un garçon, Alan, également puni. Il lui fait rencontrer son oncle et des amis, tous artistes sur le carreau. Par la suite, Nina, suivant son instinct et la piste d'un arc-en-ciel, trouvera à son pied un trésor : une bibliothèque et sa réserve clandestine. D'un documentaire scientifique sur l'optique à l'usine de gris, il n'y a alors plus que quelques pas.

 

La ville grise

Indirectement, sur un mode presque poétique, l'album dissèque les rouages d'un régime totalitaire, ou peut-être l'influence disproportionnée que pourrait avoir une entreprise digne d'un géant du net. Les ingrédients dystopiques sont rassemblés : la privation de liberté, l'endoctrinement, la propagande, l'espionnage, l'intimidation, la répression. Comme la novlangue mis en scène par George Orwell dans 1984, la palette de couleurs utilisables est ici réduite pour restreindre la capacité de pensée par eux-mêmes des citoyens. L'obscurantisme, donc. On pense évidemment aussi à un autre récit où la couleur a son importance : Matin brun de Franck Pavloff. A la fois aventure dystopique et récit poétique, cet album allemand signé Torben Kuhlmann s'apprécie pour son message et ses illustrations. On note qu'elles oscillent entre un charme intemporelle voire vintage (teintes utilisées, vêtements des personnages, télévision cathodique, téléphone à cadran...) et des éléments de modernité (graffiti, casque audio...).

 

Subtilement, l'auteur nous laisse percevoir différentes formes de résistance et de subversion : s'habiller comme on le souhaite, peindre un graffiti sur une façade, jouer et écouter de la musique, lire et faire circuler les livres, se forger une culture scientifique... Soyez donc sans crainte : le brouillard et les gaz d'échappement laisseront place aux arcs-en-ciel.

 

La ville grise
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Rédigé par Nota Bene

Publié dans #Je lis des albums

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