Fabriquer une femme

Publié le 22 Février 2024

Fabriquer une femme

Quel âge avais-je quand j'ai lu Truismes ? Dix-neuf ans peut-être ? Comment ne pas se souvenir - même de façon floue - de cette lecture ? Peut-être, sans la rechercher, ma première lecture féministe. Une allégorie audacieuse et glauque des rapports de genre et de la condition féminine. Le premier roman publié de Marie Darrieussecq.

 

Près de 20 ans plus tard, je reviens à la lecture de sa prose avec Fabriquer une femme, roman dans lequel Marie Darrieussecq raconte les parcours contrastés de deux adolescentes issues du même village du sud-ouest, dans les années 80 : Rose et Solange. Si Rose va suivre des études de psychologie et rester fidèle à son premier amour, Solange va multiplier les aventures, tomber enceinte à 15 ans et tenter de faire décoller sa carrière d'actrice en s'égarant dans les nuits fiévreuses de Paris, Londres puis Los Angeles. Deux amies aux histoires opposées qui interrogent sur la construction des femmes dans une société patriarcale.

 

Du vilain petit canard du village à cette poule hollywoodienne, la métamorphose laisse toujours Rose médusée.

La même histoire est racontée d'abord du point de vue de Rose, à la vie bien rangée, puis du point de vue Solange, à la fois médiocre et flamboyante. Pour autant, il n'y a aucun effet de redite. Les deux personnages principaux (issus de précédents romans de l'autrice : Clèves puis La mer à l'envers) sont bien caractérisés et l'époque dans laquelle ils évoluent également. Un peu à la manière de François Bégaudeau dans son roman L'amour, les années 80-90 sont restituées par des marqueurs de temps indirectes tels que les musiques écoutées (les Rita Mitsouko, Massive Attack...), les actualités (la construction du tunnel sous la Manche, le Sida...), les films vus, les célébrités citées, les objets utilisés, etc. Je déplore certains passages décrivant des rapports sexuels bien trop crus et un intérêt un peu trop appuyé pour les nuits parisiennes. Cependant, j'ai globalement apprécié ma lecture. Le style de Marie Darrieussecq est original : composé de phrases courtes, ciselées et percutantes, souvent allusives voir elliptiques. Moins à l'aise avec les dialogues, elle arrive cependant à mettre en œuvre du discours rapporté de manière savoureuse. La langue énergique de Marie Darrieussecq se met au service d'un double roman d'apprentissage féminin tout à fait intéressant, dont il est déjà prévu un prolongement.

 

Fabriquer une femme

Sa meilleure amie est seule, allongée dans le vieux canapé débordant de couvertures. Ca sent la clope et le linge mal séché. [...] C'est incroyable mais tout dans l'attitude de Solange semble indiquer que la personne embarrassante ici, c'est Rose. La voilà qui allume une cigarette et souffle la fumée avec son air théâtral.

Solange la reçoit allongée. Elle aimerait que ça fasse pharaonne mais ça fait probablement pyramide écroulée.

La station passe en oscillant. Les sapins noirs, l'herbe verte, les rochers gris, le ciel bleu. Les Vuarnet métallisent les cimes en doré. Oxygène nuancé de gasoil. Un long sentier de traces, lièvre ou renard, suit le télésiège, petits mammifères dopés eux aussi par la chaleur, le bruit, et les miettes de barres énergétiques.

La mort de Maïder la leste d'un poids nouveau, différent. Maintenant la vie est une possibilité d'honorer une morte, la vie peut se dédier. [...] Il faut continuer pour Maïder, la pousse ramifiée, enracinée, du théâtre dans Solange.

Rédigé par Nota Bene

Publié dans #Je lis

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