Le sanctuaire

Publié le 9 Septembre 2021

Alors je respire à fond, chasse de mon esprit la beauté et les baisers, les peluches et les armoires odorantes, tire l'un des couteaux à ma ceinture et me lance. La lame tournoie un instant à la lueur des chandelles avant d'atteindre la chouette au poitrail, giclée groseille. L'oiseau chancelle, tombe dans un froissement de papier. Au fond de moi quelque chose s'effondre. Ça et là des plumes volettent.

Le sanctuaire

Une famille vit retirée du monde dans une nature montagneuse et sauvage après une pandémie aviaire qui a décimé une grande partie de l'humanité. Leur refuge d'écorce et de mousse, surnommé "le Sanctuaire", leur offre une précaire sécurité. Il n'en est pas moins une sorte de prison dans laquelle le père a érigé la survie en religion. Il se montre assez imprévisible, tour à tour amène ou rude. La mère, elle, symbolise la chaleur du foyer, la transmission et l'éducation. Des deux sœurs à la relation assez fusionnelle, Gemma, née dans le Sanctuaire, est la seule qui n'a pas connu le monde d'avant. Du haut de ses neuf ans, elle sait chasser et asphyxier soudainement un chevreuil pour lui ôter la possibilité de s'enfuir hors des frontières du Sanctuaire, au-delà desquelles Gemma deviendrait une proie. Elle sait surtout tuer en plein vol n'importe quel oiseau. Chacun de leur cadavre est alors immédiatement brûlé pour éviter toute contamination. Dans son quotidien bien huilé où elle cherche à lire la fierté dans le regard de son père, Gemma s'aventure un jour un peu plus loin que d'habitude et voit un vieil homme caressant un aigle posé sur son bras. Dès lors, ses interrogations se multiplient.

 

Ce roman axé sur la vie en pleine nature me laissait dubitative au premier abord. Pourtant, dès les premières pages, l'écriture rythmée et organique m'a emplit de sensations. C'est un récit intelligent et savoureux jusqu'à la dernière ligne. Parfois cinglante, souvent musicale, l'écriture est maîtrisée et au service d'un malaise qui s'accentue au fil des chapitres. Tout comme l'aigle, le danger semble planer sur cette famille particulière. Ce vieil homme à l'allure platonicienne, étrange et libidineux, est-il une menace ? Pourquoi cette tension autour du caractère changeant du père ? C'est la sortie de l'enfance et la remise en questions de ses repères qui se jouent là pour Gemma. J'ai été gênée par le personnage outrancier du vieil homme dont j'ai du mal à comprendre pleinement le rôle mais j'ai aimé les réflexions induites par le récit sur l'emprise (principalement masculine), le libre-arbitre, la liberté. J'ai beaucoup aimé ce roman, conseillé et prêté en juin dernier (par une certaine B. qui se reconnaitra si elle passe par ici). J'ai découvert une écriture singulière au service d'un récit initiatique post-apocalyptique proche du conte.

 

Le sanctuaire
Le sanctuaire
Le sanctuaire
Le sanctuaire

Ainsi en est-il du coeur des mères : il bâtit des remparts de tendresse qui protègent les rires et conjurent le sort, mais toujours une porte reste ouverte sur l'abîme car il suffit d'un coin d'os ou de peau pour que la mort brise la lumière.

Tu ne le vois peut-être pas mais les troncs des arbres sont les barreaux de notre prison.

Rédigé par Nota Bene

Publié dans #Je lis

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