Etre sans destin
Publié le 1 Février 2015
Un livre lu il y a environ 10 ans
et relu à l'occasion de la commémoration des 70 ans
de la découverte du camp d'Auschwitz-Birkenau :
La quatrième de couverture :
De son arrestation, à Budapest, à la libération du camp, un adolescent a vécu le cauchemar d'un temps arrêté et répétitif, victime tant de l'horreur concentrationnaire que de l'instinct de survie qui lui fit composer avec l'inacceptable. Parole inaudible avant que ce livre ne vienne la proférer dans toute sa force et ne pose la question de savoir ce qu'il advient de l'humanité de l'homme quand il est privé de tout destin. Cette oeuvre dont l'élaboration a requis un inimaginable travail de distanciation et de mémoire dérangera tout autant ceux qui refusent encore de voir en face le fonctionnement du totalitarisme que ceux qui entretiennent le mythe d'un univers concentrationnaire manichéen. Un livre à placer à côté du Si c'est un homme de Primo Levi. Enfin reconnu, Imre Kertész a reçu le prix Nobel de littérature pour son "oeuvre qui dresse l'expérience fragile de l'individu contre l'arbitraire barbare de l'histoire".
Mon avis :
Un texte difficile publié en Hongrie en 1975 et en 1997 en France qui délivre une histoire singulière s'inscrivant dans l'Histoire avec un grand H. Avec un recul naïf voire froid, l'écrivain nous fait part de sa douloureuse expérience d'enfant juif déporté à 15 ans à Auschwitz puis très vite transféré à Buchenwald. De son arrestation à Budapest à son retour des camps, la distanciation dont fait preuve Imre Kertész est déstabilisante mais trouve dans les dernières pages du récit une lumineuse et souffrante explication. C'est cette distance qui lui aura probablement permis de survivre au quotidien dans l'horreur. Revient d'ailleurs à de très nombreuses reprises dans le récit l'adverbe "naturellement". Aussi fou que cela puisse paraître, le narrateur adolescent semble s'habituer à la barbarie et même y trouver une certaine quiétude : "Et malgré la réflexion, la raison, le discernement, le bon sens, je ne pouvais pas méconnaître la voix d'une espèce de désir sourd, qui s'était faufilée en moi, comme honteuse d'être si insensée, et pourtant de plus en plus obstinée : je voudrais vivre encore un peu dans ce beau camp de concentration". Ainsi, il provoque chez le lecteur une interrogation sur les conditions nécessaires au bonheur. De même, Imre Kertész livre sa réflexion sur la destinée : "S'il y a un destin, la liberté n'est pas possible. Si la liberté existe, alors il n'y a pas de destin. Nous sommes nous-même le destin." Pour le narrateur, revenir des camps et faire face à ceux qui ne les ont pas traversés paraît presque le plus difficile. Une lecture bouleversante, déroutante mais assurément indispensable.
Kertez, Imre.
Etre sans destin
Ed. 10-18
2002/366 p.