Bleu de Rose
Publié le 19 Janvier 2021
C'est l'histoire d'une prof doc en lycée qui fait du désherbage dans les rayonnages dédiés à la fiction. Elle est rendue à la lettre C. Et soudain, en passant à la cote 840 CHA, un livre accroche son regard. Sa couverture n'est pourtant pas particulièrement sophistiquée. Elle est simple. D'un rose pâle qui évoque une tendresse, une fragilité. Le livre arbore le nom d'une autrice qu'elle ne connaît pas mais aussi un titre dont la poésie résonne en elle. Alors, elle le retourne, lit sa quatrième, l'ouvre, le met de côté. Pas sur la pile de ceux qui, jaunis, rejoindront bientôt son bureau pour subir une intransigeante suppression informatique mais un peu plus loin, sur le coin vide d'une étagère à la hauteur de ses yeux. Plus tard dans la journée, il serra glissé dans un sac fourre-tout et ramené dans le confort de son foyer pour être délicatement découvert.
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Rose est une adolescente de 15 ans solitaire, lestée par un poids trop lourd à porter pour l'innocence dont elle devrait pouvoir faire preuve à son âge. Elle est accablée de chagrin parce que son frère aîné, Nathan, est atteint de mucoviscidose. Elle appréhende les nuits noires où "les araignées" viennent s'emparer des poumons de son frère et le malmène devant des parents impuissants. Parce qu'elle ne peut pas vivre alors que son frère se contente de survivre, parce qu'elle ne peut pas occulter ce qui se passe dans la chambre à côté de la sienne chaque nuit, Rose s'oublie. Elle se renferme. Elle n'a plus le goût de s'intéresser aux autres. Et puis, un beau jour, surviennent dans sa vie un drôle de garçon, qu'elle appelle Zeus, et sa grande sœur, Iris. Elle se dit qu'il a une drôle d'obsession, à vouloir capter l'intensité du bleu chloré de la piscine municipale. Elle se dit que sa sœur, aux tenues vestimentaires improbables, serait peut-être de bonne compagnie pour Nathan, dont l'état vient soudain de se dégrader et qui est entré à l'hôpital. Rose va alors s'ouvrir précautionneusement et tenter le tout pour le tout pour redonner le sourire à son frère, pour lui faire le cadeau de goûter à la vie.
Ainsi, avec des mots simples et percutants à hauteur d'adolescent, Marie Chartres explore avec son premier et court roman la thématique sensible de la maladie d'un proche, pendant la période déjà complexe qu'est l'adolescence. L'écriture est parfois saccadée, empressée, comme un essoufflement qui traduirait la colère, l'angoisse, l'affolement. Rose se débat avec un sentiment d'injustice et la peur de l'incontrôlable inéluctabilité. Mais ce n'est pas larmoyant. C'est touchant et même souvent drôle. C'est plein d'une douce et poétique extravagance qui m'a fait penser à La vie en confettis. Le récit est ponctué de sous-titres savoureux : "Certaines questions ont des couleurs qui me plaisent", "Les pantalons de maman sont la cause de tous nos problèmes", "Le mot placé entre esplanade et esprit dans le dictionnaire est interdit de séjour chez nous", "Les yeux de papa changent de couleur quand il voit maman", "Tout est peut-être trop bleu", "J'ai un grand coquelicot devant les yeux", etc. J'ai beaucoup aimé ce roman, même si j'ai eu peur qu'il ne tombe dans un précipice de vulgarité à un moment donné. Mais non, la morale est sauve, toute en sensibilité et en fantaisie. Rose est une jeune fille pleine de nœuds qui ne demandent qu'à être démêlés pour enfin vivre pleinement d'amour, d'eau fraîche et de couleurs.
J'aurais pu avoir l'angoisse esthétique ou du moins sociable : fumer en sortant des cours, c'est une garantie pour faire connaissance. Je connais de vue certaines personnes qui ont rencontré leur petit ami de cette manière. Ce n'est pas forcément ce qu'il y a de plus romantique mais ça a le mérite d'être efficace, de faire ses preuves, comme on dit.
Le vent bousculait les immensités du ciel blanc tandis que je marchais à leurs côtés.
[...]
- Est-ce que tu trouves que quinze ans, c'est un bel âge ?
Il recommençait avec ses phrases hameçons.
J'ai voulu lui dire que quinze ans, ce n'était pas seulement un âge, il fallait prendre en compte des tas de facteurs, qu'on ne pouvait pas l'isoler dans un simple constat mathématique, qu'en quinze ans, on pouvait avoir vécu une vie de chien, c'est-à-dire qu'on devait multiplier par sept, que tout était relatif.
Dans la salle d'attente de l'hôpital, il n'y a rien à faire. Simplement observer, les murs tristes et froids, les portes closes, les yeux vides et noirs de ceux qui patientent. Certains font déjà une tête d'enterrement, d'autres esquissent un sourire, tentent d'engager une conversation comme si leur mission était de sauver les meubles. Nous, on n'a rien à sauver. Papa, maman et moi, on fait tous la même tête. La tête de ceux qui voient la douleur s'abattre devant eux. Tous les trois, nous nous taisons. Pas parce que nous n'arrivons pas à parler mais parce que la seule chose qui puisse sortir de nos bouches, ce sont des hurlements.
Zeus s'est approché de moi pour me faire la bise. Nos visages se sont emmêlé les pinceaux et se sont retrouvés dans la même direction. Il s'est brusquement reculé et semblait tout embêté. Les pinceaux lui avaient laissé plein de rouge sur le visage.
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